Après une entrée remarquée dans le long métrage avec Continental, un film sans fusil, Stéphane Lafleur signe En terrains connus. Dans le prolongement de son premier opus, ce film explore les thèmes de la famille, des régions et des accidents qui modifient le parcours d’une vie.

Recoller les morceaux épars de sa vie, tant intime que familiale: entreprise réaliste ou mission pratiquement impossible, comme celle de... greffer un bras coupé?

Voilà un questionnement qui habite Maryse, un des personnages principaux d’En terrains connus, nouveau film de Stéphane Lafleur, présenté en première mondiale à Berlin aujourd’hui.

Maryse (Fanny Mallette) est une fille de région. Elle travaille à l’usine du coin. Un jour, elle est témoin d’un accident dans lequel un collègue perd un bras. À la lumière de ce coup du sort, Maryse reconsidère sa propre vie, y compris son couple avec Alain (Sylvain Marcel). En parallèle, son frère, Benoit (Francis La Haye), qui vit avec son père (Michel Daigle), tente de construire sa propre existence qui va nulle part. Jusqu’à ce qu’il rencontre un homme du futur (Denis Houle), porteur de l’annonce d’un malheur. Benoit décide alors de faire face à ce qui s’en vient, dans l’espoir de faire courber le mauvais sort.

«J’aimais l’idée de cette mise en garde qui arrive de l’homme du futur. Mais surtout, j’aimais cette idée d’avoir quelqu’un qui décide de ne pas suivre cette mise en garde», raconte le réalisateur Stéphane Lafleur en entrevue.

Son film aborde plusieurs thèmes: les relations frères-sœurs, les liens sanguins et familiaux et ces événements accidentels qui nous entraînent parfois sur des chemins insoupçonnés. Le tout à travers de puissantes évocations métaphoriques et un zeste de fantastique.

«Stéphane, je l’appelle mon anthropologue, dit Fanny Mallette. Ce qui l’intéresse, c’est l’humain. L’humain dans ce qu’il a d’étrange et de profondément anecdotique. Il regarde tout ce qui se passe autour de lui et l’analyse.»

Ceux qui ont vu Continental, un film sans fusil, premier opus de Lafleur qui a raflé de nombreux prix, retrouveront ici les mêmes teintes, la même facture, la même chronique du quotidien où il se passe tout et rien.

Le réalisateur dit travailler dans la continuité de son premier long métrage. «Dans le travail d’écriture, dans le ton, j’ai cette impression, dit-il. Dans l’équipe aussi. Je travaille avec les mêmes chefs de département que dans le premier film. Certains essaient de changer de style à chaque film. Moi, je peaufine le mien.»

En terrains connus témoigne toutefois d’un changement important. «Pour ce film-là, j’avais la volonté de raconter une histoire, d’avoir une trame narrative. Alors que Continental était plus constitué de fragments d’histoire.»

Grises, les régions

Le cinéma de Lafleur n’est pas d’approche facile. Le réalisateur le sait, l’assume et le défend. «J’ai accepté, il y a quelques années, que je n’allais pas plaire à tout le monde, peu importe ce que j’allais faire. Et depuis ce temps-là, je vis mieux.»

En dépit de son côté sombre, l’univers qu’il propose est pimenté d’éléments de spontanéité, qui nous font bien rigoler. Comme cet échange entre Maryse et Benoit qui s’est battu avec un... bonhomme de neige.

À l’image d’autres longs métrages québécois récents, le film de Lafleur suggère une lecture plutôt grise des régions. Un peu comme si elles mouraient à petit feu et que ses habitants y distillaient un mal de vivre endémique. Lafleur a une autre vision des choses. «Nous sommes plusieurs réalisateurs du même âge à avoir grandi dans des milieux et des décors similaires qui nous habitent beaucoup. Mais ce n’est pas un jugement. C’est un décor», dit le cinéaste originaire de Saint-Jérôme.

ajoute: «Nous sortons d’une décennie assez trouble qui déborde sur celle-ci. Dans les années 70, Gilles Carle faisait des films flyés, reflet d’une autre époque.»

Fanny Mallette (Maryse): un personnage riche

La comédienne Fanny Mallette aime l’idée de donner vie à un personnage aux prises avec une crise existentielle. Voilà un terreau riche pour travailler.

Selon l’actrice, l’accident dont Maryse est témoin la bouleverse de la même façon – mais à une plus petite échelle – que les attentats du 11 septembre 2001 en ont secoué plus d’un.

«C’est quelque chose de choquant qui te force à penser à ta propre vie», expose-t-elle.
Fanny Mallette ne voit pas de lien entre Maryse et Chantal, la réceptionniste d’hôtel qu’elle interprétait dans Continental, un film sans fusil. «Chantal est une fille qui ne se pose pas de questions. Elle est juste en train de créer des liens avec les humains sans trop savoir comment s’y prendre. Alors que Maryse est une femme qui traverse un moment de crise. Elle vit un bouleversement intérieur et cherche des réponses.»

Pour elle, Stéphane Lafleur manie ses films avec intelligence et humour. «Il sait ce qu’il veut et a une signature très personnelle. Ses films partent de lui, de choses qu’il a besoin d’exprimer.»

Francis La Haye (Benoit): «Benoit est attachant»

Lorsqu’on lui demande si son personnage pourrait être son ami, Francis La Haye répond spontanément par l’affirmative.

«Je le trouve attachant, dit-il. C’est un gars extrêmement sensible, incapable de gérer toutes les situations dans lesquelles la vie le plonge. Il est toujours en décalage avec les choix qu’il fait. Il est toujours en retard d’une seconde. Mais à un moment donné, il décide de prendre ça en main et de dire: "Ça suffit." Il veut réussir dans la vie même s’il n’a pas tous les outils nécessaires. Et j’aime ça.»

La Haye était aide-bruiteur pour le premier film de Lafleur et connaît bien l’univers du réalisateur. «Un mot pour le qualifier? Douceur, dit-il. Dans En terrains connus, il n’y a pas de sacres, pas de cigarettes, pas de violence, des trucs que certains réalisateurs utilisent pour donner une saleté à leur univers et à leurs personnages.»

«Stéphane parle tellement du petit et de l’ordinaire qu’à un moment donné, ça devient magnifique. Dans sa construction comme dans sa poésie.»

En terrains connus sort en salle le 18 février.