Raymonde Provencher en était à monter son documentaire Ces crimes sans honneur lorsqu'est survenue l'affaire Shafia.

Bouleversée mais peu surprise par une telle histoire où une femme et trois filles ont été victimes d'un crime d'honneur, la cinéaste insiste sur deux choses: le phénomène n'est pas religieux mais culturel et ne représente que la pointe de l'iceberg d'un problème plus large.

Résumé en cinq questions.

Q : Quel a été l'élément déclencheur de votre recherche?

R :  Cela fait 30 ans que je m'intéresse aux droits de la personne. En fouillant les dossiers concernant ces questions, je me suis intéressée aux crimes d'honneur. Un de mes constats est que cette question n'est pas religieuse, mais culturelle. C'est pour cela qu'on trouve une chrétienne et une musulmane parmi les femmes témoignant dans le film. Il était très important pour moi de faire cette distinction.

Q : Les sujets que vous abordez sont souvent très durs. Qui est d'abord interpellée chez Raymonde Provencher: la femme ou la cinéaste?

R : Le mot «interpellé» est juste. Il faut l'être profondément pour passer quatre ou cinq ans à fouiller un tel sujet. Les conflits, c'est le bout du bout de l'humanité. Et si je peux en parler en apportant un petit éclairage, tant mieux! En cette période où les sujets plus légers au cinéma sont la norme, le divertissement ne m'allume pas et ne m'intéresse pas.

Q : Vous avez commencé votre film avant l'affaire Shafia. Comment avez-vous réagi à cette histoire?

R : J'ai été la personne la moins surprise au Québec. J'étais convaincue que ça allait arriver. C'était sans doute arrivé auparavant, mais ça a dû demeurer sous la table. Dans les communautés culturelles, on montre peu d'intérêt d'en parler. Il faut un événement déclencheur comme le drame des Shafia. Mais en Europe, où le phénomène des crimes d'honneur est plus ancien, il y a déjà eu des événements déclencheurs. Ç'a été le cas avec Fadime, femme assassinée il y a 10 ans en Suède où je suis allée tourner. De tels événements nous forcent à ouvrir les yeux. On se dit: que fait-on maintenant? J'espère que mon film peut aider à ouvrir la discussion.

Q : Où en sont le Québec et le Canada avec les crimes d'honneur?

R : On est en arrière. Nous sommes une jeune société d'accueil qui a essayé d'appliquer un principe: le multiculturalisme. Or, ça ne marche pas. Le multiculturalisme amène les communautés culturelles à se replier sur elles-mêmes. Les femmes et les jeunes filles en sont les premières prisonnières et elles ont de la difficulté à parler le français. On n'a aucune idée de ce qui se passe dans ces communautés, mais plusieurs jeunes femmes sont séquestrées, battues et forcées à se marier. En ce sens, le crime d'honneur est la pointe de l'iceberg. Parce qu'avant d'en arriver là, les victimes subissent toutes sortes de préjudices en amont.

Q : On sent que les gens touchés hésitent à dénoncer les responsables des agressions, car ils se retrouvent seuls. Qu'en pensez-vous?

R : En effet, les victimes y pensent deux fois avant de parler. Dans le cas de ces femmes qui ne veulent pas suivre les codes culturels du milieu, leur famille élargie les abandonne complètement. Elles se retrouvent seules. Elles ont de la difficulté à se faire d'autres amis, à garder des emplois, etc. Et il y a aussi de jeunes hommes, comme on peut le voir dans le film, qui refusent de suivre ces codes et qui sont tout autant ostracisés.

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Ces crimes sans honneur sort en salle le 11 mai.