Notre directrice invitée, Chloé Robichaud, a choisi la jeunesse comme thème central des reportages du présent numéro. Or, la jeunesse est au coeur de l'oeuvre de la scénariste Catherine Léger qui travaille autant pour la télévision que pour le cinéma et le théâtre. Dans la foulée, elles ont parlé du travail de scénariste, un métier de l'ombre.

Chloé Robichaud : Peux-tu nous présenter à ton travail ?

Catherine Léger : J'ai toujours voulu écrire. Intéressée par la littérature, j'ai étudié en écriture dramatique. Ça m'a permis de découvrir l'écriture théâtrale. De là, il n'y avait qu'un pas vers la scénarisation. À mes débuts, j'ai participé à l'écriture de séries jeunesse. Je m'attaque aujourd'hui à ma première série télé comme auteure principale avec Les invisibles, qui sera diffusée cet hiver à TVA.

CR : Avec le film Charlotte a du fun que tu as scénarisé, j'ai l'impression que tu parles aux jeunes de la bonne façon...

CL : Dans les visionnements, on nous a dit : « On se reconnaît, mais on préfère que nos parents ne le voient pas [rires]. » Dans les films d'ados, les gars qui veulent perdre leur sexualité, c'est banal. Mais si tu regardes la même situation du point de vue d'une fille, on n'est pas habitué. J'ai voulu écrire ce film en réaction au fait que durant toute mon adolescence, on disait aux filles qu'on a le droit de dire non et d'attendre d'être amoureuse pour coucher avec un gars. Mais qu'est-ce qui arrive si on a envie de dire oui sans être amoureuse ? Ce que j'aime dans Charlotte, tant dans l'écriture que dans la réalisation, c'est qu'elle n'est pas érotisée. On est en train de parler de son expérience à elle. Nous ne sommes pas dans un voyeurisme déguisé.

CR : Dans ton travail, dois-tu parfois faire taire l'adulte en toi pour refaire de la place à l'adolescente ?

CL : En vieillissant, on s'améliore d'un point de vue professionnel. Mais avec ça vient le désir de vouloir faire la bonne chose. Sauf que tu ne peux pas écrire en essayant de faire la bonne chose. Chaque fois que j'ai écrit quelque chose de bon, c'est parce que je me suis reconnectée avec l'adolescente qui disait : « Je m'en fous, j'écris ce que je veux. » Si tu écris en fonction de ton expérience, tu finis par trop analyser ton travail. Pour moi, me reconnecter à mon adolescence est une bonne pulsion pour écrire.

CR : Dirais-tu que tu as une approche féministe ?

CL : Je me souviens d'un débat où des féministes affirmaient que ce n'est pas parce qu'on est une fille qu'on ne peut écrire que des affaires de filles. Je suis d'accord, mais j'ai aussi compris qu'il y a des choses dont je peux mieux parler parce que je suis une fille. À partir du moment où j'ai pris cette position, une prise de parole plus forte est apparue dans mon théâtre. Et puis, j'ai ce souci d'avoir des personnages féminins forts, qui donnent une autre vision de ce qu'est être une femme. Mais par moments, je revendique aussi le droit de ne pas l'être. Je ne suis pas dans un mandat pamphlétaire. Ce qui m'anime d'un projet à l'autre est changeant. Je ne suis pas une théoricienne et je ne le serai jamais.

CR : Ce que j'aime de ton travail, c'est justement que tes personnages ont des contradictions comme nous en avons tous dans la vie...

CL : Oui. La plus féministe des féministes ne peut pas l'être dans chaque détail de sa vie. Je suis écologique, mais je suis en train de boire dans un verre en carton. Si on ne se donne pas la place à la contradiction, on s'éloigne de la vérité. Dans les scénarios, on a des personnages de gars qui sont menteurs, tricheurs, ténébreux, etc. On les aime ! Mais des personnages féminins qui sont comme des bad girls, rapidement, on les trouve connes. Je revendique le fait que les filles ont des travers et sont nuancées. On peut tout à fait avoir des héroïnes avec des failles.

CR : On sent, malgré l'aspect comédie de ton travail, un certain engagement social. Est-ce plus difficile à faire passer ?

CL : Il est plus irrévérencieux de faire de l'humour sur un truc que tu n'es pas censé aborder ainsi. Par exemple, on n'est pas censé faire des blagues sur le harcèlement sexuel. C'est un sujet très sérieux. Si tu es la seule à aller dans cette zone, tu as plus de chances de puncher que si tu abordes la question avec un angle archiconnu. Si j'aborde, au théâtre, la question du harcèlement de façon très pamphlétaire, je vais, en cinq minutes, diviser ma salle en deux. Une moitié ne t'écoute plus et l'autre est heureuse de ton propos sans rien apprendre. Si tu abordes le sujet avec humour, tu vas garder un public qui ne croit pas à ta cause, mais qui va t'écouter parce que tu le fais rire.

CR : Parlons de la place des scénaristes dans notre milieu. Dans le cinéma québécois, le réalisateur est beaucoup au premier plan. Est-ce difficile de se faire une place en scénarisation ?

CL : Personnellement, je trouve que les scénaristes ont beaucoup d'occasions. Ils se font offrir toutes sortes de projets dans différents contextes. Être scénariste, c'est être au début de la chaîne de travail d'une oeuvre en devenir. Donc, tu as du travail. Par contre, comme on développe beaucoup de choses qui ne se rendent pas à la production, on a beaucoup de deuils à faire. J'ai développé des séries sur de longues périodes et qui n'ont pas vu le jour. Par ailleurs, la reconnaissance du travail du scénariste dépend toujours des équipes avec qui on travaille. Moi, j'ai la chance de travailler avec des gens qui sont reconnaissants.

- Propos recueillis et adaptés par André Duchesne, La Presse

QUI EST CATHERINE LÉGER ?

Catherine Léger a étudié en écriture dramatique à l'École nationale de théâtre du Canada. À sa sortie, en 2005, elle a travaillé à la scénarisation d'émissions de télévision telles Toc Toc Toc et La job. Toujours à la télévision, elle a fait partie de l'équipe de scénaristes de la série Marche à l'ombre. Au théâtre, elle a écrit la pièce Voiture américaine, pour laquelle on lui a attribué le prix Gratien-Gélinas en 2006. Ont suivi d'autres pièces telles J'ai perdu mon mari, Princesses et Baby-sitter. Au cinéma, elle a coécrit le scénario du film La petite reine avec Sophie Lorain, ainsi que le scénario du récent film Charlotte a du fun, dont Sophie Lorain a signé la réalisation.

Photo David Boily, La Presse

Notre directrice invitée Chloé Robichaud discute avec la scénariste Catherine Léger qui travaille autant pour la télévision que pour le cinéma et le théâtre.