Charles Binamé a signé les succès Maurice Richard et Séraphin - Un homme et son péché. Il a aussi marqué les esprits grâce à une trilogie urbaine (EldoradoLe coeur au poing et La beauté de Pandore) où la jeunesse s'exprimait. Il a également offert des films plus expérimentaux comme Vanier présente son show de monstres. Plus récemment, il a aussi mis en scène Xavier Dolan dans Elephant Song.

Jusqu'au 2 octobre, grâce à une rétrospective présentée à la Cinémathèque québécoise, les cinéphiles peuvent voir ou revoir la plupart de ses oeuvres et en discuter avec le principal intéressé.

«Investiguer» et «investir» sa terre d'adoption

Originaire de Belgique, Charles Binamé arrive au Québec par bateau à l'âge de 7 ans. Tôt dans sa vie, il se passionne pour sa terre d'élection et voyage dans tous les coins de la province pour «l'investiguer et l'investir». Il chasse, canote, campe, tombe amoureux d'une Amérindienne... «Je me suis inscrit dans le paysage. C'est vraiment un choix d'immigrant que j'ai fait», dit l'homme dans la soixantaine. En 1974, il signe le documentaire Juste pour partir le monde qui raconte le quotidien des Montagnais de Bersimis. Il réalise aussi des oeuvres à propos de personnages fictifs ou réels qui ont marqué l'imaginaire collectif, comme Maurice Richard et Séraphin Poudrier. «C'est important, parce que ça parle de nous. Nous sommes la somme des gens qui nous ont précédés. Mais il faut le réaliser, il faut en tenir compte, et ce, que nous aimions ou pas ces personnages. Il faut nommer nos réalités désirables et non désirables, parce que nous sommes faits de tout ça aussi», explique le réalisateur.

Des êtres plus grands que nature

Dans ses documentaires, Charles Binamé cherche aussi à mettre en lumière des êtres plus grands que nature, comme le peintre Pierre Gauvreau, le cinéaste Gilles Carle et le poète Denis Vanier. Le film à propos de ce dernier traduit une révolte, notamment au sujet de la société québécoise et de son milieu artistique. «Qu'est-ce que Vanier dirait de la culture aujourd'hui? Qu'est-ce qu'elle nous donne, la culture ambiante? Oui, elle donne de bonnes pièces, elle donne de bons auteurs, des films intéressants, des Marie Chouinard... Mais je trouve que l'ensemble a cédé à l'entertainment. Quelque chose qui est plus facile à digérer et plus près du selfie collectif. On se regarde plus qu'on ne commet de commentaires vraiment inspirés. [...] Je crois que sa révolte serait la même aujourd'hui, même qu'il serait encore plus révolté», avance Binamé. Hunt for Justice - The Louise Arbour Story est aussi un film qu'il a trouvé extrêmement important de faire, puisqu'il s'intéresse à la lutte que la Québécoise Louise Arbour a menée lorsqu'elle était procureure en chef du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et qui a permis de faire le procès de Slobodan Milošević pour crimes contre l'humanité. «Je pense qu'il faut laisser des jalons à propos de choses qui sont importantes pour notre société», ajoute Binamé.

Brasser sa baraque

Il y a deux ans, Charles Binamé a accordé une entrevue à notre collègue Chantal Guy pour les 20 ans du film Eldorado. «L'impulsion était de remuer la baraque un peu», avait alors dit le réalisateur au sujet du film qui met notamment en scène Pascale Bussières. Interrogé à ce propos, le cinéaste explique que, tout au long de sa carrière, son modus operandi a été de s'étonner, de se mettre en danger et de ne pas retourner à ses vieilles pantoufles. Il cite l'exemple de la télésérie Blanche, qu'il a réalisée alors qu'il n'avait précédemment «jamais fait quelque chose d'aussi gros et grand». Toujours pour le petit écran, la minisérie H2O, tournée à Toronto, lui a aussi donné des sueurs froides.

En ce moment, il s'attaque à l'opéra le plus joué dans le monde, Carmen de Georges Bizet, qui sera présenté à l'Opéra de Montréal en 2019. Pour entreprendre cette tâche sans tomber dans les clichés, il s'est offert un voyage en Andalousie pour en apprendre davantage sur l'ambiance qui règne dans cette région d'Espagne et il se documente sur l'histoire de cette époque. «Il y a toujours un élément de prospection de l'inconnu et de risque dans mes choix de projets. Ma cinématographie est hétéroclite et inégale dans ses succès, mais je suis très fier de ça, parce que ça veut dire que je n'ai pas appliqué une recette. Chaque fois, j'ai été là où je ne m'attendais pas à être pour risquer de trouver quelque chose de nouveau», dit le réalisateur du Piège américain.

Son legs

S'il devait choisir une oeuvre qui serait visionnée par tous les élèves des écoles secondaires du Québec, Charles Binamé hésiterait entre deux de ses documentaires: Vanier présente son show de monstres et Gilles Carle ou l'indomptable imaginaire. Le premier, parce que les jeunes pourraient être interpellés par le cri de révolte du poète. Pour le deuxième, il explique: «C'est un de mes films les plus réussis, je pense. Gilles avait écrit un film autobiographique, alors je l'ai mis en scène dans son film. Il est dans une maison de personnes âgées et il se fait pseudo-enlever par Chloé Sainte-Marie. Elle l'emmène à l'île Verte où il va mourir dans l'étang derrière chez lui. Je me sers de ce prétexte pour parler de lui. Les didascalies sont lues par Donald Pilon et j'ai juste filmé Gilles dans son quotidien, parce qu'il était rendu loin dans son parkinson.»

Avec la rétrospective présentée à la Cinémathèque, une exposition permet aux cinéphiles de découvrir les méthodes de travail du cinéaste. Il a fait don de ses multiples carnets de notes, de photographies, de scénarimages qu'il crée lui-même, etc. Par exemple, grâce au carnet de notes du tournage de Séraphin - Un homme et son péché, nous pouvons suivre l'évolution de la construction du village, ses inspirations, et voir de nombreuses photos du plateau.

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La rétrospective et l'exposition sont présentées jusqu'au 2 octobre à la Cinémathèque québécoise. Le cinéaste sera présent à chaque projection.

photo Pierre Dury, fournie par la Cinémathèque québécoise

Pascale Bussières dans Eldorado