Pascale Bussières a campé des rôles dans pas moins de cinq longs métrages au cours de la dernière année. Trois d'entre eux prennent l'affiche quasi simultanément. Dans Les démons, elle incarne la mère d'un enfant angoissé.

C'est un peu difficile à croire. Mais le fait est que Pascale Bussières a été révélée au monde en tant qu'actrice il y a un peu plus de 30 ans. Dans Sonatine, le deuxième long métrage de Micheline Lanctôt à titre de réalisatrice, elle incarnait une adolescente désespérée qui, en compagnie d'une amie (Marcia Pilote), mettait à exécution un pacte de suicide.

Ce film sombre, célébré à la Mostra de Venise en 1984 (où, étrangement, il a obtenu le Lion d'argent du meilleur premier film), a scellé le destin d'une jeune fille âgée de 14 ans.

«Je n'avais aucun lien avec le milieu du cinéma, rappelle l'actrice quand on lui demande de replonger dans les souvenirs de cette époque. Je n'avais pas un intérêt particulier ni d'idole, même si je trouvais Terence Hill bien beau dans les films de Sergio Leone. Je me souviens aussi d'avoir vu Le tambour de Schlöndorff à la télé avec mon père - j'avais peut-être 12 ans - et en être restée marquée. Mais pas au point de faire naître chez moi une vocation d'actrice.»

Grâce à Sonatine, la jeune comédienne découvre la synergie d'un plateau de tournage, l'esprit d'équipe, l'efficacité d'une machine bien huilée, où les rôles de tous les artisans sont bien définis.

«Ça m'a fascinée, dit-elle. J'étais très attirée par tout ce qui se passait derrière la caméra, par le processus créatif. La réalisation m'intéressait, mais le destin en a décidé autrement. Je ne ferme jamais la porte, cela dit. Je laisse les choses arriver en faisant confiance à la vie. J'arrive toutefois à un moment où je devrais peut-être forcer le destin un peu!»

Aucun regret

Au cours des années 90, Pascale Bussières devient l'égérie du cinéma québécois. De Jacques Leduc (La vie fantôme) à Manon Briand (La turbulence des fluides) en passant par Léa Pool (Emporte-moi), Jean Beaudin (Souvenirs intimes), Denis Villeneuve (Un 32 août sur Terre) et quelques autres, les cinéastes de tous horizons font appel à elle.

L'une des rencontres les plus déterminantes sera celle qu'elle fera avec Charles Binamé. En 1993, ce dernier signe en effet la réalisation de la série télévisée Blanche. Cette suite des Filles de Caleb révèle l'actrice au grand public et la catapulte dans les plus hautes sphères de la notoriété et du vedettariat.

«C'est à ce moment-là que j'ai pu comprendre l'impact de la télévision dans la vie des gens, souligne-t-elle. J'entretenais un rapport un peu ambigu avec tout ça, mais à l'arrivée, ce ne fut que du bon. Il faut dire qu'à l'époque, il y avait encore ce tiraillement entre les milieux du cinéma et de la télévision. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. J'étais très attirée par le cinéma d'auteur. Mes amours étaient là, même si ces films n'attiraient pas grand monde. Mais c'est une chance inouïe que d'être vue chaque semaine par des millions de personnes. Quand ma propre grand-mère a commencé à m'appeler Blanche, j'ai compris à quel point l'impact était fort! J'étais constamment en train d'essayer de rétablir la normale par rapport à ça, car ce succès était démesuré. Cela dit, un phénomène de cette ampleur procure beaucoup d'avantages. Il te donne notamment accès aux plus beaux projets.»

Au début des années 2000, Pascale Bussières incarne un personnage français dans un film de Catherine Corsini. La répétition, dans lequel elle donne la réplique à Emmanuelle Béart, est sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes. La présence de l'actrice québécoise ne passe pas inaperçue aux yeux de la presse française. Et annonce peut-être le début d'une carrière plus internationale.

«J'ai ensuite tourné un autre film français - Petites coupures (Pascal Bonitzer) -, mais cette époque correspond aussi à celle de la naissance de mes fils, fait-elle remarquer. Je ne me voyais pas du tout les élever à Paris. Leur père non plus, d'ailleurs. J'ai fait quelques allers-retours, mais après quelques années, j'ai constaté que pour faire carrière là-bas, il fallait vraiment s'installer. Je n'en avais pas envie. Et je n'ai aucun regret par rapport à ça. Je trouve même que le cinéma québécois est plus vivant que le cinéma français en ce moment.»

Bien de son époque

L'actrice s'estime en outre privilégiée d'être sollicitée par de jeunes cinéastes comme Guy Édoin (Ville-Marie), Charles-Olivier Michaud (Anna) et Philippe Lesage (Les démons). «Le cinéma québécois regorge de jeunes cinéastes inspirants, qui, tout en ayant leur propre vision, font aussi le lien avec le legs qu'ont laissé les plus vieux, observe-t-elle. Il y a vraiment une belle continuité. Ils n'ont plus de complexes par rapport à l'international non plus. »

Jusqu'à présent, Pascale Bussières a mené sa carrière au gré des propositions. L'actrice compte emprunter une approche plus proactive.

«Cela veut dire que dorénavant, je ferai savoir mon intérêt aux gens avec qui j'aurais envie de travailler. C'est difficile de toujours être à la merci du désir des autres. Quand on vieillit, ça devient inévitable. Les propositions sont moins nombreuses. Je sais très bien que ça risque d'arriver, mais je n'ai pas le goût de vivre ça dans l'amertume. On remarque que les femmes plus mûres ont quand même des rôles plus intéressants qu'il y a 20 ou 30 ans. J'espère devenir une vieille actrice. Mais pas trop quand même...»

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Ville-Marie (Guy Édoin) et Anna (Charles-Olivier Michaud) sont actuellement à l'affiche. Les démons (Philippe Lesage) prend l'affiche le 30 octobre.

Filmographie commentée

Pascale Bussières revient sur cinq films marquants de sa carrière.

Sonatine (1984) de Micheline Lanctôt

«J'avais 13 ans quand ce film a été tourné. C'est l'âge qu'ont mes fils aujourd'hui et ça m'émeut. C'était un contexte complètement excentrique par rapport à ma vie normale. J'ai manqué l'école, le tournage avait lieu de nuit et j'adorais ça! Comme l'impression d'avoir accès à un autre monde. Dès les premiers moments, Micheline Lanctôt fut pour moi une grande inspiration. Je trouvais extraordinaire qu'elle puisse réaliser des films, jouer, enseigner, avoir des enfants, et en plus de tout ça, être entièrement prise par son désir de faire ce métier.»

Eldorado (1995) de Charles Binamé

«Après l'aventure Blanche, ce film procède d'une volonté de revenir à quelque chose de moins lourd, tant pour Charles que pour moi. Nous sommes allés complètement à l'opposé avec un film très urbain, très contemporain, très léger dans sa structure. Ce fut une expérience formidable qui a mis tous les acteurs à l'épreuve. On improvisait et on participait activement à la création de nos personnages. Tout le monde signait le scénario d'une certaine façon. J'ai été agréablement surprise à la sortie de la projection. Ça résonnait vraiment dans l'époque et auprès des gens issus de la génération X. Aujourd'hui, c'est un film-culte, mais on ne peut pas le trouver nulle part!»

Emporte-moi (1999) de Léa Pool

«Je sortais alors du tournage d'Un 32 août sur Terre, le premier long de Denis Villeneuve. Qui reste un de mes films favoris. C'est extraordinaire de voir ce qui arrive à Denis maintenant. Mais je pense qu'il reste toujours un ti-cul avec un Kodak qui tripe sur ce qu'il fait. Quant à Emporte-moi, il s'agit aussi d'un très beau film. Karine Vanasse avait le même âge que moi quand j'ai tourné Sonatine. Et je jouais sa mère! C'était l'année de mes 30 ans et mon emploi a commencé à changer. On m'a offert des rôles de femmes plus mûres. J'ai beaucoup aimé la touche européenne qu'a su mettre Léa dans ce film. J'en garde un très beau souvenir.»

La répétition (2001) de Catherine Corsini

Il est de notoriété publique que l'actrice et la réalisatrice n'ont pas développé d'atomes crochus lors du tournage de ce film français. Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes, La répétition a valu de bons papiers à Pascale Bussières dans la presse française, mais la vie familiale a pris le dessus sur la carrière internationale à l'époque. «C'est drôle, car j'ai revu Catherine cette année au festival de Toronto. Elle y était pour présenter son nouveau film, La belle saison, et moi, pour accompagner la présentation de Ville-Marie. Comme le temps arrange bien les choses, ça s'est bien passé. Mais à l'époque, ce fut difficile. Pour moi, ce film est très lié à la maternité. J'avais appris être enceinte sur le tournage à Copenhague. Quand je suis allée à Cannes, j'ai emmené mon fils avec moi. Je l'avais mis au monde deux semaines auparavant!»

Ma vie en cinémascope (2005) de Denise Filiatrault

«J'ai été très étonnée quand mon agent m'a appris que Denise voulait me voir en audition. Je ne connaissais pas Alys Robi du tout. Pourquoi Denise venait-elle me chercher pour faire ça? Je crois qu'elle a vu des choses que je ne soupçonnais pas moi-même. Rien n'est plus stimulant que quelqu'un qui te dit: "T'es capable!" Alys était déjà passablement affligée à ce moment-là. Mais je suis allée manger avec elle. Malgré sa maladie, cette femme était encore très vive, drôle et spirituelle. Elle se recomposait dès que la lumière était posée sur elle. Je remercie beaucoup Denise. Cette proposition est arrivée alors que j'étais certaine que ma carrière était en flottement!»

PHOTO PIERRE DURY, COLLECTION CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE

Eldorado