Philippe Falardeau est ravi de retourner sur les lieux mêmes où Monsieur Lazhar a connu son tout premier triomphe. Il sait toutefois que les attentes sont grandes.

Il y a quatre ans, Philippe Falardeau a vécu l'un des plus grands émois de sa vie au Festival de Locarno. Là-bas, il a présenté Monsieur Lazhar à un tout premier public dans des circonstances exceptionnelles.

La projection du film, en primeur mondiale, sur la Piazza Grande avait en effet suscité une vive émotion auprès des 6000 spectateurs présents. Le prix du public lui avait été attribué, de même que le Piazza Grande Award, remis par un jury formé de critiques du journal spécialisé américain Variety.

De là est partie une rumeur qui a ensuite entraîné l'oeuvre vers les plus hauts sommets. Et même jusqu'aux Oscars.

À la veille de son départ vers Locarno, où son nouveau film Guibord s'en va-t-en guerre aura aussi droit à une prestigieuse projection à la belle étoile, le cinéaste québécois est ravi à l'idée de retourner sur les lieux de son triomphe. Mais il est aussi fébrile. Et un peu nerveux.

«Cette fois, j'arrive avec une comédie politique, explique-t-il au cours d'un entretien accordé à La Presse. Je souhaite sincèrement que le public de Locarno soit sur la même longueur d'onde que les sélectionneurs du festival, qui ont semblé beaucoup apprécier le film. Est-ce que le propos politique, et le genre d'humour qu'on y trouve peuvent bien voyager?»

Un propos universel

Bien qu'il soit campé dans un contexte québécois et canadien, il reste que le récit aborde la notion de démocratie dans un sens plus large. Et emprunte alors une forme plus universelle. Les programmateurs du festival ont d'ailleurs fait remarquer aux producteurs Kim McCraw et Luc Déry, de la société micro_scope, à quel point des résonances pouvaient être établies avec la réalité suisse.

Dans ce pays confédéré, où pas moins de quatre langues officielles sont mises à l'honneur, le paysage politique est tout aussi complexe que le nôtre.

«Peut-être ont-ils fait l'amalgame, commente le cinéaste. Peut-être peuvent-ils s'identifier au genre de bordel démocratique qu'on évoque dans le film. Je pense d'ailleurs trouver lundi une présentation qui va correspondre à cet état d'esprit.»

L'autre objet de préoccupation, à la veille du départ, réside dans les attentes que suscite le film à l'aune du succès exceptionnel de Monsieur Lazhar.

«Guibord s'en va-t-en guerre n'est pas un film qui peut susciter le même genre d'émotion, prévient Philippe Falardeau. Donc, il ne faudrait pas s'attendre à ce qu'il suive le même parcours. Il en suivra un autre, peut-être tout aussi surprenant, mais assurément pas de même nature.»

Après The Good Lie, son premier film américain, Philippe Falardeau propose ainsi une comédie politique dont il a écrit le scénario.

Au coeur du récit, le député fédéral d'une immense circonscription située dans le nord du Québec (interprété par Patrick Huard). Par un concours de circonstances, ce député d'arrière-ban détient l'ultime voix lors d'un vote au Parlement qui décidera si le Canada entre en guerre ou non. Pour prendre un vote éclairé, le politicien parcourt sa circonscription en compagnie de sa famille (Suzanne Clément joue l'épouse et Clémence Dufresne-Deslières est sa fille), de même qu'avec un stagiaire idéaliste haïtien (Irdens Exantus).

Un public plus large

Patrick Huard, Irdens Exantus et le musicien Martin Léon accompagneront le cinéaste sur la grande scène de la Piazza Grande lundi.

«Quand tu soumets un film dans les festivals de l'automne, tout ça devient un petit peu une enchère, fait remarquer le cinéaste. Nous l'avons proposé aussi à la Mostra de Venise, qui a lieu un mois plus tard, mais les gens de Locarno nous sont revenus très vite en nous offrant une projection sur la Piazza Grande. Comme il s'agit d'une plateforme magnifique, nous n'avons pas hésité. Les films que sélectionne le Festival de Locarno sont en général plutôt pointus, mais ceux qui se retrouvent sur la Piazza Grande, même s'ils sont tous de style très différent, ont le potentiel de rejoindre un plus large public.»

Les observateurs n'ont pas été étonnés non plus d'apprendre que la première nord-américaine de Guibord s'en va-t-en guerre aura lieu au festival de Toronto. Philippe Falardeau y a présenté pratiquement tous ses films.

«Je me croise les doigts chaque fois parce que rien n'est jamais gagné d'avance, dit-il. D'autant que ça risque de se jouer différemment au Canada anglais. J'ai hâte de voir comment ils vont réagir face au personnage qu'interprète Paul Doucet, qui incarne un premier ministre qui ressemble à Stephen Harper! Honnêtement, j'aurais été peiné si le TIFF n'avait pas retenu le film.»

La belle vitrine

Les producteurs Kim McCraw et Luc Déry sont maintenant des vétérans du circuit des grands festivals. Les films produits par leur société micro_scope, dont le catalogue contient notamment Incendies et Tu dors Nicole, sont souvent lancés sur la scène internationale avant d'aboutir au Québec. Le tandem s'apprête à mettre le cap sur Locarno pour une quatrième fois.

«Nous y sommes allés une première fois il y a 10 ans avec Familia, le premier long métrage de Louise Archambault, rappelle Kim McCraw. Guibord s'en va-t-en guerre est le troisième de nos films sélectionnés pour une projection sur la Piazza Grande. Les deux fois précédentes, Monsieur Lazhar en 2011 et Gabrielle en 2013, font partie des plus belles projections que j'ai vues dans ma vie!»

Les producteurs du nouveau film de Philippe Falardeau estiment que les projections de ces deux films devant un parterre constitué de quelques milliers de spectateurs leur ont jusqu'ici porté chance.

«Cette vitrine est magnifique, fait valoir Luc Déry. Les films sélectionnés pour des projections sur la Piazza Grande sont ceux qui, potentiellement, peuvent rejoindre un plus large public, tout en étant inscrits dans un festival reconnu pour la qualité et la rigueur de sa programmation. Avec une sélection au festival de Toronto en septembre, nous avons là une combinaison redoutable sur le plan des ventes internationales. Et ça prépare bien la sortie du film au Québec!»

Guibord s'en va-t-en guerre prendra l'affiche chez nous le 2 octobre.

À Montréal comme à Locarno (ou presque!)

Environ quatre heures à peine après la fin de la projection sur la Piazza Grande à Locarno, Guibord s'en va-t-en guerre aura droit à une autre projection à la belle étoile, cette fois sur l'Esplanade Financière Sun Life du Parc olympique de Montréal.

Un millier de spectateurs, qui ont obtenu leurs billets d'entrée grâce à des concours organisés par différents médias et organismes, se réuniront pour assister à cette avant-première inusitée.

«L'idée est venue du distributeur Christian Larouche, le patron des Films Christal, explique Philippe Falardeau. Quand je lui ai dit trouver un peu dommage que le public québécois doive encore une fois attendre plusieurs semaines avant de voir un film présenté en primeur mondiale ailleurs, il a allumé tout de suite!»

Ainsi, les privilégiés munis de billets auront droit dès lundi à une projection qui, même à plus petite échelle, rappelle le contexte de la Piazza Grande.

«Ce sera un bel événement, renchérit le producteur Luc Déry. Nous allons d'ailleurs encourager les spectateurs à s'exprimer sur les médias sociaux. Des mots-clics seront suggérés. En attendant la projection, nous montrerons en outre sur le grand écran les photos que les spectateurs diffuseront sur leurs comptes Instagram. Ce sera une belle soirée!»

PHOTO FOURNIE PAR CHRISTAL/SÉVILLE

Guibord s'en va-t-en guerre, avec Patrick Huard et Suzanne Clément.