Francis Leclerc l'avoue, il lui fallait devenir un cinéaste établi pour revisiter l'héritage de son célèbre père, Félix Leclerc, et tourner un film inspiré d'une de ses oeuvres, le roman Pieds nus dans l'aube, qui raconte l'année de ses 12 ans à La Tuque, en 1927. La Presse a visité le plateau de tournage, situé dans le Village québécois d'antan de Drummondville, modifié par la directrice artistique Marie-Claude Gosselin pour ressembler au La Tuque d'autrefois. Boucler une boucle personnelle, c'est probablement ce que le cinéaste est sur le point d'accomplir.

«Je me suis battu toute ma vie pour me tenir loin de mon père, surtout que je me lançais dans un métier artistique, mais quand tu as 22 ans et que tu gagnes un Félix pour un vidéoclip, ça part mal, confie Francis Leclerc. Ce n'est pas toujours positif d'avoir un père célèbre. Mais à 20 ans, je m'étais fait une promesse. Si je continuais à faire du cinéma, à 40 ans, à l'âge où il a eu du succès, j'allais peut-être adapter une de ses oeuvres. Je pensais au Fou de l'île ou à Pieds nus dans l'aube. À 40 ans, j'avais fait assez de chemin seul, je me suis dit: c'est maintenant. À 44 ans, ça fait partie de mon trajet. »

La grande difficulté de la transposition historique du roman, nous explique la directrice artistique Marie-Claude Gosselin, a été de faire ressembler le bucolique Village québécois d'antan de Drummondville, très XIXe siècle, à la ville de La Tuque en 1927, au début de sa modernité. Ici, on a fabriqué une façade pour représenter le magasin général. «Il fallait apporter une petite touche plus moderne. La Tuque était une ville prospère», dit-elle. Et l'électricité était arrivée...

«Il faut beaucoup chiner», résume Marie-Claude Gosselin, pour expliquer son travail lorsqu'il s'agit de recréer les intérieurs de maisons pour les besoins du film. Ici, on a reconstitué une pièce de la maison d'enfance de l'histoire, avec le «divan pour pleurer». «Marie-Claude est allée puiser des détails dans le roman que je n'avais même pas mis dans le scénario», note Francis Leclerc.

Un autre défi de reconstitution, souligne Marie-Claude Gosselin, est qu'il faut rajeunir ce qui était neuf à l'époque, et vieillir d'autres éléments recréés. Comme ces trottoirs de bois avant le béton, qu'on a dû «user» pour qu'ils soient crédibles.

Le producteur Antonello Cozzolino rappelle qu'il reste très peu de reliques et de bâtiments pouvant représenter la ville de La Tuque des années 20. «C'est très difficile à reproduire.» L'usine que l'on voit sur un croquis, au bout de la rue Principale, sera recréée par ordinateur. En revanche, tout le reste, ce sont des décors construits sur place.

C'était une superbe journée à Drummondville. Le tournage de Pieds nus dans l'aube a profité de cet été exceptionnel et presque sans pluie. Ce qui ravit le producteur Antonello Cozzolino, puisque les 25 jours de production s'étalent sur plusieurs saisons. «Je ne connais personne qui n'est pas fier de travailler sur ce film, dit-il. Pieds nus dans l'aube, c'est un triumvirat, les trois F: Félix, Francis et Fred.» Car Fred Pellerin cosigne le scénario, plus particulièrement les dialogues. «Mais ce n'est pas du Fred Pellerin, précise le cinéaste. Et c'est ce qui lui fait plaisir, je pense.»

Le plateau de Pieds nus dans l'aube est multigénérationnel. Même le fils de Francis, Léo, figure dans le film. Est-ce un tournage émouvant pour le cinéaste? «Je ne pensais pas que ça allait faire ça, mais oui, admet-il. C'est vraiment plaisant et je pense que tout le monde le sent. Ce n'est pas pour rien que je suis allé chercher des acteurs avec qui je me sens bien, mes coups de coeur des 20 dernières années. Guy Thauvette, Roy Dupuis, Catherine Sénart... Dès la première version du scénario, c'était ces trois-là.»

«Roy, il n'a jamais été personne d'autre que mon grand-père dans ma tête, quand je lisais le roman, confie Francis Leclerc. Il joue Léo, et mon fils s'appelle Léo. Des fois, je suis complètement mêlé.» Le cinéaste dit rester très proche des acteurs de ses films, particulièrement les enfants. Il dit revoir régulièrement ceux qui ont joué dans Un été sans point ni coup sûr, et qui ont aujourd'hui dans la vingtaine. Quant à Roy Dupuis, il est l'un de ses acteurs fétiches depuis Mémoires affectives. Francis Leclerc avait 16 ans quand son père est mort. «Ça fait une cassure. Le lendemain de sa mort, j'avais 25 ans.»

Francis Leclerc en compagnie de sa directrice artistique Marie-Claude Gosselin. Tous les deux, et toute l'équipe, travaillent de façon à respecter une oeuvre et une époque. Qu'est-ce que cela donnera finalement?

«Je ne sais pas, dit Leclerc. Il y a quelque chose de très libre dans ce récit, pas du tout attaché à de mauvaises valeurs. C'est simple; c'est l'amitié, l'amour, la mort. C'est vraiment ça et il n'y a rien de plus universel pour faire un bon film. C'est plein de surprises en cours de route, mais tout tombe pile. Je ne sais pas ce que je vais faire sortir du roman, je ne le saurai que le soir de la première, je pense.» 

La sortie du film est prévue pour 2017.

Photo François Roy, La Presse