L'angoisse des jeunes adultes face à une vie à choix multiples est un thème à la mode au cinéma québécois. On l'a vu récemment dans Tu dors Nicole de Stéphane Lafleur et Qu'est-ce qu'on fait ici? de Julie Hivon. S'ajoutent maintenant les personnages de Love Projet de Carole Laure.

Si les personnages des deux premiers films sont au début de la vingtaine, les Louise, Alex et Julie de Love Projet sont davantage en transition vers la trentaine. Mais leurs angoisses se ressemblent.

«Chacun travaille avec son regard, glisse Carole Laure, qui n'a pas vu les films de ses deux collègues. Pour ma part, j'ai voulu faire un film sur des jeunes très angoissés face à leur avenir et les choix qu'ils ont à faire parce que tout est possible. Ce qui est très différent de ma génération, où nous n'avons pas été élevés avec un écran au bout des doigts.»

Ce qu'elle appelle les «nouvelles angoisses» n'empêche pas ceux qui les traînent d'avoir des sentiments traversant les générations. Avec, au premier rang, l'amour. Les histoires de chaque personnage du film en témoignent. Alex (Benoît McGinnis) est amoureux de Louise (Magalie Lépine-Blondeau), qui peine à s'abandonner. Alors que Julie (Natacha Filiatrault) mène une vie très insatisfaisante faite de sexe de consommation.

En quête d'amour, ces personnages oublient parfois qu'ils réussissent à en répandre, même maladroitement, autour d'eux, que ce soit Alex envers son père, Louise pour Ève (Alice Morel-Michaud), «petite soeur» dont elle s'occupe, ou Julie pour son fils Diamond.

«Au-delà des angoisses, je voulais montrer l'humanité de chacun», dit la réalisatrice.

Centrés sur un seul personnage, ses films précédents étaient, au dire de Carole Laure, «plus thérapeutiques». Love Projet est davantage le résultat de ses observations sur la génération de ses enfants. Il est aussi construit autour d'une mosaïque (elle n'aime pas l'expression film choral) dont les différents éléments sont reliés par la préparation d'un spectacle multidisciplinaire dirigé par Touga (Céline Bonnier).

L'usage du spectacle multidisciplinaire (chants, musique, danse contemporaine) dans le scénario n'est pas fortuit. Il constitue une caisse de résonance aux choix pluriels auxquels font face les personnages.

Pour la première fois, Carole Laure a misé sur le talent créateur de son compagnon, Lewis Furey, pour la composition de la trame sonore. «Il a l'habitude d'écrire en tenant compte de la dramatique d'un film. Il savait que je voulais que les chansons et la musique fassent avancer l'histoire», dit-elle.

C'est le cas, par exemple, lorsque Alex fait une déclaration d'amour à Louise. Comment lui répond-elle? Par sa gestuelle, son abandon, durant un tango qu'ils dansent ensemble.

Gilles Carle, le maître

Chanteuse, danseuse, actrice, scénariste, productrice, réalisatrice, Carole Laure a tout fait. Mais son premier métier, c'est le cinéma, insiste-t-elle. Et ce, en raison de son travail aux côtés de Gilles Carle.

«J'ai adoré jouer avec Gilles qui, en plus, m'a fait découvrir toutes les facettes du cinéma, dit-elle. Il était très pédagogue, il m'a amenée dans la salle de montage, m'a fait découvrir la réalisation. Toute jeune, après avoir fait quelques films avec lui, il m'a dit: «Toi, un jour, tu vas réaliser.» Il fut le premier à me le dire.»

Carole Laure n'y a pas cru tout de suite. Elle avait tant à faire, tant de propositions de rôles à défendre! Un jour, après qu'un ami lui eut gentiment reproché de toujours collaborer et lui eut confié qu'il serait temps d'être à la tête d'un projet personnel, elle s'est lancée. Cela a donné Les fils de Marie, film qui s'est retrouvé à la Semaine de la critique à Cannes.

«Lorsque je me suis retrouvée là-bas, à qui croyez-vous que j'ai pensé sinon à lui? Grâce à Gilles, je suis avant tout une fille de cinéma. Je serais très fière qu'il voie mes films.»