Martin Doepner a fait ses classes en fréquentant les plateaux de tournage. Après avoir bossé pendant 10 ans comme assistant réalisateur sur de nombreux films (dont The Curious Case of Benjamin Button et The Trotsky), il a eu envie de se lancer dans l'arène. Pour son premier long métrage, le cinéaste natif d'Ottawa s'est entouré d'une solide équipe au centre de laquelle se trouvent deux brillants comédiens, Isabelle Guérard et Lothaire Bluteau.

Ce premier film, Martin Doepner voulait qu'il lui ressemble. Sans se précipiter, et surtout sans improviser, il a échafaudé son projet de film avec soin. «Je voulais faire un suspense, explique-t-il. C'est un genre que j'aime beaucoup. Un film où les éléments s'emboîtent, où on place des indices. Je voulais aussi que ce soit un huis clos, au centre duquel se trouverait une femme seule dans sa maison... Tout est parti de là.»

De fil en aiguille, le scénario s'est étoffé, notamment grâce à la participation des coscénaristes Jean Tourangeau et Joseph Antaki, avec qui il avait aussi fait équipe pour son court métrage Les enfants des soleils couchants. À force de remue-méninges, l'histoire de Rouge sang a pris forme. Celle d'Espérance, mère de trois enfants, seule dans la maison de campagne familiale durant l'absence de son mari, parti temporairement dans le village voisin. Avec un petit détail important: une tempête de neige empêche le mari de rentrer. Et force un détachement de l'armée britannique à trouver refuge chez elle pour la nuit.

Car, autre détail important à signaler, l'action se passe la veille du jour de l'An 1799. Quelque part dans un village reculé du Québec. À l'époque où les Britanniques sont (depuis la Conquête de 1759) les occupants de la Nouvelle-France. Mais ne vous méprenez pas, il ne s'agit absolument pas d'un film historique. «J'ai choisi de camper l'action en 1799 pour renforcer l'isolement d'Espérance, pour que ce soit un huis clos presque parfait. La nature isole, mais la période et la langue isolent aussi. À cette époque-là, les habits rouges de l'armée britannique sont les occupants. Elle n'a pas de recours, c'est eux la justice!»

Sans dévoiler les détails de ce suspense qui vire en bain de sang, disons que notre héroïne est convaincue que son mari a été tué par ces hommes-là et que sa vie, comme celle de ses enfants, est menacée. «Le plus grand défi était de rendre l'escalade crédible, confie la comédienne Isabelle Guérard (Détour, Derrière moi), qu'on verra ce printemps au Théâtre La Chapelle dans la pièce Empreintes. Mon personnage est d'abord une bonne mère de famille, mais c'est aussi une femme de caractère. Une fois convaincue que son mari est mort, sa douleur se transforme en vengeance. Elle passe ensuite en mode survie.»

Atomes crochus

Beaucoup de non-dit, donc, dans le jeu nuancé d'Isabelle Guérard, que Martin Doepner voulait absolument diriger dans ce film. «Je devais trouver quelqu'un d'assez juste pour être à la fois une bonne mère et une tueuse en série. On a beaucoup travaillé l'arc émotionnel de son personnage, et tout a pris sa place. Je suis convaincu qu'Isabelle y joue le rôle de sa vie.» L'admiration est manifestement réciproque, Isabelle Guérard n'hésitant pas à saluer le travail du réalisateur. «J'ai adoré travailler avec Martin. Mon personnage est d'une infinie richesse, qui exigeait beaucoup d'abandon. Quand j'ai lu le scénario, j'étais à la fois fébrile et emballée.»

Même enthousiasme du côté du comédien Lothaire Bluteau, qu'on n'avait pas vu dans un film québécois depuisLe confessionnal, de Robert Lepage, sorti en 1995. «J'aime jouer dans les premiers films, dit le comédien originaire du Lac-Saint-Jean, qui s'est notamment fait connaître dans Jésus de Montréal, de Denys Arcand, et dans Black Robe, de Bruce Beresford. Les premiers films des réalisateurs sont souvent leurs meilleurs, parce qu'ils n'ont pas encore de signature.» Lothaire Bluteau, qui vit à New York depuis de nombreuses années, a répondu favorablement à l'invitation de Martin Doepner seulement trois heures après avoir reçu le scénario.

«J'ai tout de suite aimé le sujet», nous dit celui qui campe le rôle du capitaine des habits rouges (il joue en anglais), sans doute le plus sympa des hommes qui débarquent comme des taureaux chez Espérance. «Le capitaine est un homme timide et complexé. Aux États-Unis, je joue surtout des rôles de méchant, donc j'ai trouvé ça intéressant. Et j'ai beaucoup aimé la démarche de Martin, qui savait exactement où il s'en allait. Il a fait un thriller psychologique sur la peur. Un film qui nous confronte à nos premières impressions et à nos préjugés. Le sujet m'intéressait, mais l'équipe aussi, les acteurs. Je connaissais aussi la directrice photo Nathalie Moliavko-Visotsky.»

L'équipe de production n'a pas lésiné sur le décor, pour que le huis clos soit le plus efficace possible. «On a dessiné les plans de la maison en fonction du scénario, explique Martin Doepner. Ce n'est pas une maison typique de ces années-là. Par exemple, l'âtre est au milieu de la maison et non aux extrémités, comme c'était le cas dans ces années-là. On a construit la structure de la maison sur les terrains de L'Arboretum Morgan [réserve forestière de 245 hectares du campus Macdonald de l'Université McGill, à Sainte-Anne-de-Bellevue], où se trouvent des arbres centenaires. Mais l'intérieur a été construit en studio.»

Toute cette nature immense et déchaînée, Martin Doepner la mêle au destin des personnages de ce huis clos, quiprend fin, à la suite d'une nuit agitée, dans des circonstances pour le moins dramatiques.

Rouge sang prend l'affiche le 1er février.

Photo Atopia

Isabelle Guérard dans Rouge sang.