Dans son nouveau film, Bernard Émond parle de littérature, de poésie, de dépouillement, et met en exergue la quête de sens d'un individu en retrait. Cinéaste à contre-courant? Oui. Mais il ne se sent pas seul...

D'abord, il y a l'anecdote. Dans Tout ce que tu possèdes, Pierre, prof de littérature désillusionné, refuse par sens moral la fortune que compte lui laisser son père malade, car il estime que la somme amassée par le riche industriel provient d'une exploitation honteuse des ressources naturelles et humaines. À une époque où l'argent n'a plus d'odeur, et où la course effrénée aux biens matériels fait office de religion, ce renoncement peut sembler incompréhensible. L'écriture du scénario découle d'abord de ce questionnement.

«En fait, l'étincelle fut d'abord provoquée par la fresque de Giotto La renonciation aux biens paternels qu'on peut voir à Assise, explique l'auteur cinéaste. Une reproduction de cette oeuvre est d'ailleurs accrochée au mur derrière le bureau de Pierre dans le film, comme elle le fut dans mon propre bureau. Le film s'est transformé au fil de l'écriture, mais c'est de là qu'est venue la prémisse de l'histoire. Cet épisode de la vie de saint François est particulièrement révélateur: il se dépouille de ses vêtements et les remet à son père - qui veut le déshériter - pour rester fidèle à ses valeurs. Je trouve qu'il est assez symptomatique qu'à notre époque, un geste comme celui-là est pratiquement inconcevable. Pour nos grands-parents, en tout cas bon nombre d'entre eux, ce refus aurait été tout à fait normal parce que cet argent a été mal acquis. Aujourd'hui, tourner le dos à l'argent constitue le nouveau péché contemporain.»

 

Une remise en question

Au-delà de ce point de départ, Tout ce que tu possèdes suit surtout le parcours d'un homme qui, à l'aube de la quarantaine, remet en question ses principes. Pendant toute son existence, Pierre Leduc (Patrick Drolet) s'est jusqu'ici fait un devoir de ne s'attacher à rien ni personne, sinon à des livres écrits par les auteurs qu'il affectionne. Sa quête de dépouillement s'accélère au lendemain d'un long séjour en Pologne, pendant lequel il a refait le parcours du poète Edward Stachura, mort en 1979. Depuis son retour, Pierre se consacre à la traduction des oeuvres du poète suicidé. «Stachura est une icône en Pologne, mais il reste très peu connu à l'extérieur de son pays, explique Bernard Émond. Or, il se trouve que le poète est venu au Québec dans les années 70. Il a rencontré Gaston Miron et il a même traduit ses poèmes en polonais! J'avais envie de parler de littérature et de poésie, mais je me suis demandé comment montrer l'acte d'écrire au cinéma. C'est un défi. En faisant de Pierre un traducteur, ça rend la chose plus dynamique. Un traducteur travaille dans le concret. Il se lève pour aller fouiller dans un ouvrage, fera en sorte de rester fidèle à la pensée de l'auteur. L'acteur y est pour beaucoup aussi. Patrick est un acteur remarquable.»

Un nouveau tournant

La vie de Pierre prend pourtant un tournant le jour où une adolescente inconnue frappe à sa porte. Adèle (Willia Ferland-Tanguay) est sa fille, née d'une union furtive avec une femme dont il ne fut pas vraiment amoureux, avant même son départ pour le pays de Mickiewicz.

«Je n'ai pas voulu faire de Pierre un personnage vertueux», fait remarquer le cinéaste, qui propose ici sa première offrande post-trilogie (La neuvaineContre toute espérance et La donation). «Il s'est isolé de tout, mais voit enfin une occasion de se raccrocher à l'humanité à travers cette fille inconnue, dont il soupçonnait peut-être l'existence, mais qu'il n'aurait jamais voulu reconnaître.»

S'il admet volontiers être à contre-courant dans «l'industrie culturelle», Bernard Émond trouve réconfort à l'idée de pouvoir compter sur un public fidèle. «À contre-courant, oui, certainement, dit-il. Mais je ne suis pas tout seul. Mes films n'ont rien de difficile, mais il faut quand même accepter d'entrer dans un certain style. Je constate que plusieurs jeunes cinéastes québécois partagent cette esthétique. Et je suis impressionné par l'étendue de leur culture cinématographique, tout comme celle du public, d'ailleurs. À force de voyager avec les films, on constate qu'il existe partout des cinéphiles qui partagent une même communauté d'esprit et qui ont envie d'autre chose que des productions tapageuses destinées aux complexes multisalles.»

Tout ce que tu possèdes prend l'affiche le 2 novembre.

Photo La Presse

Bernard Émond