Samedi soir dernier, un message texte illumine mon portable : «On va faire ensemble un film sur l'automobile quand j'aurais 19 ou 20 ans.»

C'est Charles-Étienne, 11 ans. J'ai fait sa connaissance quelques heures plus tôt, au cours d'un souper chez sa grand-mère. Il fallait voir les yeux de Charles-Étienne à mon arrivée.

 

«C'est toi Éric?» me lance-t-il. «Je ne t'aurais jamais reconnu. Il y a longtemps, ta photo dans La Presse, non ?» Oui, elle date un peu, lui ais-je répondu, sans véritablement chercher à savoir ce qu'il l'amenait à penser cela. À 11 ans, on ne sait pas encore que toute vérité n'est pas forcément bonne à dire.

 

Charles-Étienne aime les voitures et fait mentir les sondeurs d'opinion qui prétendent que les générations montantes s'en désintéressent complètement. Lui, il les connaît toutes. Les plus récentes surtout. Et d'entendre un pré-ado de 11 ans vous entretenir avec la même émotion de Ferrari et de Mitsubishi et qui vous détaille les ouvrages annuels consacrés à l'automobile, votre coeur se serre. Le mien, en tout cas.

 

Car, avouons-le franchement, pour se piquer d'automobile à 8 ou 11 ans, il faut en vouloir. Surtout en cette ère d'autophobie ambiante qui inciterait le plus innocent des enfants à cacher au père Noël son souhait de recevoir le dernier coffret de Hot Wheels ou une Volkswagen à pédales. Des années à grandir à l'arrière d'automobiles rangées au cordeau sur des kilomètres d'asphalte finissent par lasser. Parce que, voyez-vous, l'automobile devient alors bien plus un mode de transport qu'une diva mécanique ou de style.

 

Rafraîchissant

 

Il est plaisant de voir que la passion automobile perdure auprès de jeunes. Hélas, Charles-Étienne n'a que 11 ans. Il découvrira bien assez vite que l'automobile, jadis symbole de liberté et de mouvement, est traquée de toutes parts et que l'étau se resserre.

 

De nouvelles mesures, plus restrictives encore, s'annoncent : l'avènement des centres-villes payants comme à Londres ou à Stockholm; l'interdiction de stationner et des stationnements de plus en plus rares et à des coûts toujours plus prohibitifs, en attendant la mise en place de mesures anti-CO2 encore plus contraignantes; la multiplication des radars et de mesures répressives. Bref, des contraintes politiquement acceptées et qui poussent la population à reconsidérer la nécessité de posséder une automobile.

 

Charles-Étienne finira aussi peut être par penser, comme la génération qui l'aura précédé, que la possession d'une voiture n'est pas une priorité absolue. Ce phénomène s'observe d'ailleurs déjà au Japon, en Europe, voire en Amérique : de plus en plus d'adolescents et de jeunes adultes n'ont pas de permis de conduire, estimant qu'un logement et, surtout, la possibilité de voyager sont désormais plus importants. Là n'est pas la seule raison de leur détachement. Il faut également tenir compte de la situation financière précaires des jeunes.

 

Progressivement, la forte symbolique identitaire associée à l'automobile s'efface pour laisser place à une image plus brute d'un simple moyen de transport. D'ailleurs, plusieurs constructeurs réfléchissent secrètement à l'image de la voiture, de manière à en faire un objet de service et non de propriété comme c'est actuellement le cas. Mais ce revirement prendra du temps.

 

Le meilleur indicateur de la lenteur de cette évolution, c'est la publicité qui continue de présenter la voiture comme un objet de plaisir plutôt que de la décrire comme un prolongement naturel de l'habitat de l'homme. 

La fin ?

Plusieurs observateurs anticipent la fin de l'ère du tout-à-l'automobile. Vrai ou faux ? Chose certaine, des mesures dissuasives, voire parfois coercitives de la part des autorités et des groupes de pression vont assurément remettre en question notre mobilité. Déjà, un grand nombre de personnes jouent la carte de la complémentarité : train, métro, autobus et voiture de location. Un signe que l'on commence à accepter de considérer la voiture comme un simple maillon de la chaîne des transports publics ?

 

Charles-Étienne n'est pas de cet avis. Sa voiture à lui, il la souhaite de taille modérée, dotée d'une forte personnalité, d'un coût abordable, amusante, de couleur vive (vive le jaune canard ou l'orange éclaté) et respectueuse de l'environnement. C'est-à-dire une automobile plus économe en essence et, surtout, en émanations nocives et autres gaz à effets de serre.

 

Bref, toujours la voiture-plaisir, mais moins d'encombrement, de pollution, de consommation et de déchets irrécupérables rejetés dans l'atmosphère.

 

Alors, tant qu'il y aura des passions qui naissent et de vraies mécaniques, toujours plus sûres et plus vertes pour les nourrir, l'automobile continuera, malgré ses détracteurs, à séduire Charles-Étienne et ses amis. En ces temps où les anciennes croyances sont boudées et les nouvelles idoles fugaces, avoir l'automobile pour moteur me semble être une occupation aussi saine que celle de tourner un film sur son évolution. Charles-Étienne, rendez-vous dans huit ou neuf ans !