Comédien, auteur, rappeur, metteur en scène, Emmanuel Schwartz est l'un des artistes (avec Olivier Kemeid, Olivier Choinière, Sasha Samar et Mani Soleymanlou) mis en lumière par le documentaire de Jean-Claude Coulbois, Nous autres, les autres, sur le théâtre et la quête identitaire (à l'affiche vendredi). Ce fils d'un musicien anglophone et d'une orthopédagogue francophone y parle de son enfance à Notre-Dame-de-Grâce, dans les années 80 et 90, entouré d'amis de «15 cultures qui parlaient sept langues». Entretien sur l'identité.

Marc Cassivi: J'ai vu la trilogie de Mani [Soleymanlou] dont parle le documentaire et votre dialogue dans Deux m'a beaucoup interpellé. J'avais envie de te parler de ta vision de ton identité biculturelle. À quel moment en as-tu pris conscience?

Emmanuel Schwartz: Au moment où je suis allé à l'école. Ç'a été déterminant pour moi. Mes parents voulaient que je profite d'une éducation bilingue dans la mesure du possible. Garder cet esprit-là d'ouverture, de coopération entre les cultures plutôt que de conflit. C'est là que j'ai commencé à comprendre. À NDG, il y avait autant de nationalités que de personnes dans mon groupe d'amis. On avait tous l'air d'être le poster child de...

Marc Cassivi: Des couleurs unies de Benetton?

Emmanuel Schwartz: Oui. Ou de Passe-Partout. Je ne peux pas dire que je le sentais à l'enfance, mais c'est à la préadolescence que le conflit est devenu clair pour moi. Ça coïncidait aussi avec le référendum de 95. Beaucoup de choses se sont clarifiées à ce moment-là pour moi. Dans la famille de ma mère, tout le monde était assez engagé politiquement. Avec tous les cousins de mon âge - je suis enfant unique -, j'ai pris le pouls de ce qui se passait. On parlait de mon père de manière assez épouvantable juste parce qu'il était anglophone. Mais ça n'avait pas grand-chose à voir avec la réalité.

Marc Cassivi: Il était la cible des préjugés habituels contre les anglophones?

Emmanuel Schwartz: Ils l'aimaient pareil, mon père! Même s'ils ne le comprenaient pas toujours bien. Il y avait déjà là une première dichotomie à laquelle je ne comprenais pas grand-chose, mais qui a contribué à ma sensibilité d'artiste. Ça m'a permis de prendre une certaine distance. J'adhérais au projet par mimétisme. J'arrivais de l'école avec des affiches souverainistes, mon père me demandait si j'étais d'accord et je disais: «Non, mais j'aime cet écusson avec une fleur!»

Marc Cassivi: Quand tu dis «conflit», tu parles du conflit entre francophones et anglophones ou d'un conflit intérieur?

Emmanuel Schwartz: Je fréquentais des milieux sociaux différents. Il y avait les amis qui habitaient dans ma rue à NDG, mes cousins et ma gang de l'école. Quand je me plongeais complètement dans l'un ou l'autre de ces milieux, ça devenait un conflit intérieur. Personne n'avait envie de m'entendre défendre l'autre camp ou parler de tempérance et de compréhension de l'autre.

Marc Cassivi: Ça ne devait pas être plus simple au cégep, à l'âge de l'affirmation des convictions politiques...

Emmanuel Schwartz: C'est vrai. Au début, j'étudiais au cégep de Saint-Laurent et à l'association étudiante, ça sentait le Québec libre! À Sainte-Thérèse [où il a étudié en théâtre], je l'ai moins senti, sinon dans le discours de certains professeurs. Nous, on travaillait avec la langue française, mais il était davantage question d'incarnation et de théâtre que de questions politiques. C'est ce qui m'a uni aux autres. Ça n'avait rien à voir avec une position idéologique.

Marc Cassivi: Peut-être que le projet souverainiste était moins évident pour ta génération, qui a connu le cégep dans le creux de vague post-référendaire de 95?

Emmanuel Schwartz: Je pense que oui. Aussi, l'arrivée du projet de charte a récemment forcé beaucoup de gens à la remise en question de leurs valeurs. Que pensent-ils de la mosaïque culturelle? Les nouveaux médias ont changé notre perception des langues aussi, je crois. Moi, j'écris du rap en français et en anglais.

Marc Cassivi: Dans Deux, tu affirmes t'être peu posé de questions sur ton identité. C'est pour l'effet dramatique de la pièce ou tu ne t'étais vraiment pas trop interrogé sur le fait que ton père est juif, par exemple?

Emmanuel Schwartz: Je ne dirais pas que je ne me suis pas posé de questions. Tout ce que je viens de te raconter témoigne d'une réflexion et d'un cheminement conscient, qui n'est peut-être pas de l'ordre d'une analyse en profondeur, mais certainement d'une évolution instinctive qui m'a obligé à me positionner et à faire des choix. La plupart du temps, maintenant, ce choix, c'est de me taire. J'ai tenté à différents moments d'exprimer mon point de vue, mais il tombait toujours un peu dans le beurre...

Marc Cassivi: Il était trop nuancé? Pas assez franc?

Emmanuel Schwartz: Trop mitigé, je crois. Ma position n'en est pratiquement pas une. Ma position est plutôt une contemplation. Et je trouve qu'autour de la question identitaire, il y a le piège de penser que l'identité est archétypale, unilatérale, monochrome. Je suis plutôt de l'avis que l'identité est multiple et changeante. Une personne n'est pas la même dans un contexte ou dans un autre. C'est de la philosophie concrète. Il faut observer une situation, dénuée d'émotion, pour constater que l'on vit tous les mêmes problèmes. Que l'on cherche tous à correspondre à un modèle culturel légué en héritage, imposé par notre entourage. Mais très peu de gens peuvent dire de façon marquée qu'ils sont comme ceci ou comme cela. Qu'ils sont définis. Je trouve que c'est une belle énigme, l'identité.

Marc Cassivi: As-tu souffert de ne pas correspondre à un archétype? Ou est-ce que de ne pas pouvoir être mis dans une case a été libérateur?

Emmanuel Schwartz: Ç'a été pédagogique pour moi. J'ai peut-être appris à être acteur comme ça.

Marc Cassivi: À te transformer au gré des désirs des uns et des autres?

Emmanuel Schwartz: Oui, et de mes propres désirs dans tel ou tel contexte. À un moment donné, avec des amis francophones, je préférais faire de la musique en jouant du Harmonium, être dans une pensée révolutionnaire et penser aux Patriotes. Ça m'appartient aussi. Je vis ici, je suis né ici, mes parents viennent d'ici.

Marc Cassivi: C'est une identité parmi d'autres pour toi. Tu es parfaitement bilingue...

Emmanuel Schwartz: Je déteste cette expression. Je ne suis parfait dans rien. Je pense dans les deux langues. Dans la création, je respire comme je réfléchis. Parfois, je vais écrire quelque chose en anglais pour cerner la nuance d'une idée qui m'apparaît plus claire dans un phrasé anglophone. Mais je rappe aussi en français. Je vais t'en faire un petit (il rappe en français).

Marc Cassivi: Il y a de la musique! Pour revenir à Deux, Mani te confronte sur la question de la religion. Il te dit: «On tient quelque chose. Je suis l'Iran, tu es Israël.» Et tu réponds que ton nom de famille te fait surtout penser à «moutarde, smoked meat, pickle»... Est-ce que le fait que ton père soit juif a nourri ta réflexion sur l'identité autant que le fait qu'il soit anglophone?

Emmanuel Schwartz: À la base, le gag m'a dérangé un petit peu. Parce que je trouvais que c'était vraiment un cliché. Ce genre de lieu commun ne me dit absolument rien. Mais on a vite compris que c'était un punch efficace. Oui, je m'identifie très fortement, pas à la religion, mais à la culture juive. Mon père, c'est comme un croisement de Woody Allen et James Brown, né à Montréal! Il aime parler français et il est très drôle quand il le parle. Je suis tout ça: anglo, franco, de père juif. Mais je ne vois pas ces choses-là de manière compartimentée. Pour moi, c'est une osmose.