Elles nous feront rire, mais aussi réfléchir ces femmes savantes qui ont séduit les Français. Nous en avonsrencontré trois qui sont aussides actrices de haut vol.

Les femmes savantes ont fait un tabac à Grignan, en France, l'été dernier. À un point tel que tout le monde croyait que la distribution était française. Lorsque des spectateurs croisaient les actrices de la distribution, dans ce village provençal, ils s'étonnaient de les entendre parler avec un accent québécois.

Pour Christiane Pasquier, Sylvie Léonard et Noémie Godin-Vigneau, l'expérience est inoubliable: «Avoir le plaisir de jouer Molière en France, c'est déjà exceptionnel, reconnaissent-elles. Le faire en Provence dans le château où ont résidé Mme de Sévigné et sa fille, c'est magique!»

Hélas, les trois actrices ne joueront plus à l'ombre du château médiéval. Mais elles ont la chance de reprendre la pièce de Molière, mise en scène par Denis Marleau, dès le 2 octobre, au TNM. Attablées au café du Nouveau Monde, les actrices ne savourent pas leur triomphe pour autant. «On doit répéter à nouveau, refaire la mise en place, s'adapter à l'espace et au décor, explique Sylvie Léonard. Bref, c'est une production semblable, mais dans un autre véhicule.»

Elle est longue, la marche de l'émancipation des femmes. Si elle continue son avancée, non sans écueils, c'est grâce à des pionnières. Comme Mme de Sévigné ou Madeleine de Scudéry, femme de lettres qui tenait un salon littéraire tous les samedis chez elle, dans le Marais. Molière s'en est inspiré pour ses Précieuses ridicules.

Dans Les femmes savantes, son avant-dernière pièce créée au Palais-Royal en 1672, il renoue avec les précieuses. Cette fois, ces dernières se heurtent au sens commun des bourgeois. L'auteur fait dire à Chrysale (Henri Chassé), l'époux dominé de Phylaminte (Christiane Pasquier) «qu'il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, qu'une femme étudie, et sache autant de choses».

Car les savantes de la pièce estiment que l'érudition, la connaissance et la noblesse des sentiments sont les clés de liberté des femmes. Elles ne jurent que par la science, la philosophie et la poésie, au point d'en perdre leur jugement. La mère est subjuguée par Trissotin (Carl Béchard), un faux poète pédant et vaniteux. Et elle ira jusqu'à lui promettre sa fille Henriette qui est éprise d'un jeune bourgeois plus sensuel et terre à terre.

Chastes et dures

«Ces femmes savantes dans la France de Louis XIV font penser à des féministes radicales, avance Noémie Godin-Vigneau. Car elles ne ménagent rien pour se dissocier de l'emprise des hommes.» La comédienne explique que son personnage, Armande, veut continuer le combat des précieuses, «mais en sacrifiant une part de soi, en se refusant tout ce qui est chair et sentiments amoureux».

«Mais il ne faut pas confondre les précieuses et les savantes, ajoute Christiane Pasquier. Les premières ont voulu changer les rapports hommes-femmes pour améliorer leur sort. Mais leur libération allait à l'extrême. Par exemple, elles prônaient la chasteté et refusaient le mariage. Elles voyaient l'amour comme seulement platonique et courtois. Les femmes savantes, de leur côté, n'excluent pas la séduction.»

Féministes avant l'heure

«Le théâtre a une grande vertu pour la correction, a écrit Molière dans sa préface de Tartuffe. Rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts.»

Dans Les femmes savantes, Molière souligne les traits excessifs, ridicules et hypocrites de la bourgeoisie. Spécifions que l'auteur du Bourgeois gentilhomme écrivait ses pièces... pour la Cour.

Satire sociale qui dénonce la pédanterie et la fausse culture qu'on étale comme de la confiture, Les femmes savantes soulève aussi la question de la situation de la femme dans la société. Il s'agit d'une comédie à la fois légère et grave. Pas surprenant qu'elle ait pu intéresser un metteur en scène solide et rigoureux comme Denis Marleau qui signe ici son premier Molière.

Musique

Puis, il y a ces vers savoureux, cette musique d'un autre siècle qui parvient encore à séduire nos oreilles. «Pour moi, les alexandrins représentent davantage un plaisir qu'une contrainte. D'ailleurs, au bout de 10 minutes, le public oublie que c'est écrit en vers», confie Sylvie Léonard qui joue Bélise, une «folle sympathique» qui croit que tous les hommes sont amoureux d'elle.

Autre point fort de la production d'UBU, c'est le contraste entre les costumes des années 50 et ce texte du XVIIe siècle, livré sans coupures ni adaptation. On voit sur la scène l'ombre de Simone de Beauvoir, de Sagan ou de Cocteau se profiler. «Pour Denis, c'était important de situer l'action après la Seconde Guerre mondiale, relate Christiane Pasquier. Une époque charnière qui marque la naissance du féminisme.»

Autour des années 50, alors que la société montrait aux femmes le chemin du retour au foyer, en leur disant que Papa a raison, celles-ci vont plutôt commencer à entrer dans les cercles universitaires et sur le marché du travail. Elles n'ont plus peur d'afficher leur désir de s'élever par l'instruction et l'éducation.

Une aspiration qui remonte aux femmes savantes du siècle de Molière. Et qui va jusqu'à celui de Pauline Marois.

Les femmes savantes. Au Théâtre du Nouveau Monde, du 2 au 27 octobre. Durée du spectacle: 1h45 sans entracte.

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La troupe encensée en France

Produite par le Théâtre Ubu, la pièce a été présentée en juillet au château de Grignan, en Provence, et vue par 30 000 spectateurs. Les critiques de la presse hexagonale ont été dithyrambiques ! Le Monde souligne l'excellente performance des acteurs québécois « qui font entendre la langue de Molière à la perfection ». Le Figaro qualifie la composition de Carl Béchard en Trissotin de géniale! Et d'ajouter:  Il y a dans le regard de Denis Marleau quelque chose d'aigu qui actualise sans forcer le propos.»

La revue Marianne a trouvé Sylvie Léonard éblouissante ! Le Canard enchaîné a écrit que Philaminthe est « superbement interprétée par Christiane Pasquier dont la voix tranchante donnerait des cauchemars aux enfants. » Odile Quirot, dans Le Nouvel Observateur, a vanté la mise en scène : « Tout cela est charmant, pétillant. Et ce ne serait qu'une bulle de champagne si Denis Marleau, fin lecteur, n'y ajoutait un peu d'alcool fort. »  Jusqu'à La Croix qui a parlé « des costumes magnifiques de Ginette Noiseux » (oui oui, la directrice de l'Espace GO) en concluant que « ces Femmes savantes sont fidèles à l'esprit de Molière et de... Mme de Sévigné».

- Luc Boulanger

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Le premier Molière de Marleau

Par Jean Siag, La Presse

Q: C'est la première fois que vous montez une pièce de Molière? Était-ce un auteur que vous snobiez?

R: Oui, c'est la première fois. Ma seule expérience de scène avec Molière est celle d'avoir joué dans Le médecin volant à l'école secondaire. Ce n'est pas la question de snober ou non. J'ai, disons, une relation tardive avec les grands classiques, même vis-à-vis de Shakespeare que j'ai abordé pour la première fois il y a cinq ans... Les raisons sont diverses, mais il est vrai que mon parcours s'est fondé sur des oeuvres et des auteurs moins connus, moins balisés par une culture institutionnelle du grand répertoire. Retourner à Molière, c'est comme rencontrer un auteur étranger, nouveau pour moi.

Q: Quel est l'intérêt des Femmes savantes aujourd'hui?

R: Je pense que Molière avait un regard très direct et moderne sur ses contemporains, sur la société qui l'entourait. Si certaines références nous semblent parfois datées, sa façon de transcender les archétypes sociaux en fait surgir aussi l'humanité des personnages. Il y avait de vraies femmes savantes à l'époque de Molière, des femmes qui étaient auteures et qui tenaient des salons où l'on débattait autant de science, de littérature que de règles et des lois qui conditionnaient leur société. Il y avait aussi des bourgeois obtus qui résistaient à l'avancement de la pensée ou des imposteurs qui cherchaient à s'incruster auprès des puissants. Molière dessine cette réalité en accentuant les traits jusqu'au risible, en n'épargnant personne.

Q: Parlez-nous de la création au château de Grignan. Quelle importance avait ce lieu dans la mise en scène?

R: Une importance fondamentale pour le choix de la pièce, mais aussi pour la conception de la mise en scène. Nous jouions à l'extérieur, sur le parvis devant la façade Renaissance, mais les personnages apparaissaient aux fenêtres, entraient et sortaient de cette maison d'été, dans laquelle ils arrivaient en début de spectacle pour s'installer pour les vacances. Les seuls éléments ajoutés étaient une grande terrasse, des projections vidéo à travers les fenêtres et un bassin qui prenait modèle sur un autre existant dans une cour arrière du château. Nous avons donc joué sur le vrai et le faux. Au TNM, nous souhaitions préserver cette relation à l'extérieur et à la continuité du temps qui passe, de la fin de la journée au début de la nuit.

Q: Y aura-t-il à Montréal des artistes de cirque dans le spectacle?

R: La présence des circassiens est venue naturellement quand nous avons réfléchi sur la place des valets dans le récit de la pièce et que nous souhaitions les intégrer dans la vie de cette famille dysfonctionnelle. Nous avons pour Grignan fait appel à des circassiens de la région de la Drôme, mais ici au TNM, nous travaillons avec un duo de jongleurs montréalais qui reprennent la partition. Encore là, ce n'est pas dans une optique spectaculaire et performative qu'ils interviennent : ils jouent des valets, mais avec une qualité spécifique et des habiletés en plus.