Vingt ans après avoir lui-même revêtu le costume d'Hamlet, Marc Béland dirige la célèbre pièce de Shakespeare avec 14 comédiens, dont Benoît McGinnis dans le rôle du prince danois, qui cherche à venger la mort de son père. Son pari? Construire un suspense politique contemporain à partir des personnages vieux de 400 ans.

Son Hamlet était révolté. Il avait le crâne rasé en dessous d'une grosse perruque, façon de souligner son état éthéré. Son costume, lui, faisait référence à l'époque élisabéthaine. Cette fois, Marc Béland avait envie de situer la pièce dans une réalité plus contemporaine.

L'histoire d'Hamlet est d'une actualité déconcertante, nous dit-il. «Quand on pense à toute la pourriture, la corruption, à tout ce qu'on veut taire, aux apparences du monde politique, on réalise à quel point cette pièce est moderne. Hamlet veut amener à la lumière ce qui s'est passé dans l'obscurité, mais il n'y parviendra pas. Il y a un effondrement des idéaux, une perte de repères. Hamlet nous remet ça sous le nez 400 ans plus tard.»

C'est dans ce contexte que l'acteur et metteur en scène a construit le spectacle. Dans un décor qui évoque un lieu de pouvoir «aujourd'hui», qui pourrait être la chambre des communes. C'est pour cela que nous verrons les hommes politiques en complet cravate, «manière prince Harry» et les femmes, «habillées comme le serait Michelle Obama». Hamlet lui-même sera vêtu d'un uniforme inspiré de ceux que portent les élèves des grandes écoles anglaises.

Traduction québécoise

Cela dit, le texte de Shakespeare, traduit par Jean-Marc Dalpé dans une version allégée et beaucoup plus fluide que les traductions françaises existantes, demeure intact. «C'est l'histoire d'une vengeance, précise Marc Béland. Mais aussi d'une certaine folie qui s'empare d'Hamlet, un déséquilibre émotif extrême provoqué par la mort de son père, le remariage de sa mère avec son oncle, et l'apparition du spectre de son père qui lui révèle qu'il a été empoisonné par son frère.»

Notre jeune prince est donc en état de choc. C'est cet état émotif extraordinaire et cette hypersensibilité qu'a tenté de traduire Benoît McGinnis, que Marc Béland a dirigé il y a trois ans dans Le fou de Dieu. Mais le comédien a aussi fait ressortir son côté bipolaire, à l'origine de ses exaltations et de ses excès de rage, comme des nombreux replis sur lui-même et de ses abattements, qui mèneront au fameux «Être ou ne pas être...»

«Il arrive un moment où il ne fait plus confiance à personne, où il devient carrément paranoïaque, nous dit Benoît McGinnis. Moi, j'ai voulu partir de l'humain, en y ajoutant des couleurs à chaque scène. Parce que son comportement change beaucoup en fonction de ses interlocuteurs.»

Les murs ont en effet tendance à se refermer sur Hamlet. Son oncle Claudius (qu'interprète Alain Zouvi) se méfie de plus en plus de lui, tandis que sa mère Gertrude (Marie-France Lambert) prend ses distances. «Il ne faut pas oublier que le remariage de sa mère est une trahison pour Hamlet, rappelle Marc Béland. Ce faisant, il perd toutes ses illusions par rapport aux femmes, et sa relation amoureuse avec Ophélie (Émilie Bibeau) en est affectée.» Lorsque le père d'Ophélie mourra de la main d'Hamlet (croyant avoir affaire à Claudius), c'est son fils Laërte (Denis Savard) qui cherchera à le venger.

Un suspense

«Tout l'intérêt de la pièce réside dans l'intrigue, poursuit Marc Béland. Nous l'avons construite comme un suspense. C'est très dynamique. Au fur et à mesure que la pièce progresse, Hamlet va tenter de mettre en place son projet de vengeance, mais un peu malgré lui, au risque de devenir un assassin. Malheureusement, rien ne se passera comme prévu. Peu à peu, son apparence extérieure va aussi changer. Je suis parti de l'idée qu'il n'avait plus le goût d'être en relation avec les autres.»

Comme pour toute bonne tragédie, tout le monde meurt à la fin. À cet égard, Marc Béland se souvient qu'en 1990, lorsque les personnages mouraient les uns après les autres, les gens riaient dans la salle. «Dans notre version, le jeu des comédiens est très réaliste. Il n'y a aucune caricature. Je me suis demandé comment on meurt vraiment après avoir été empoisonné. La peur qu'on ressent devant la mort. Pour ne pas jouer qu'on est en train de mourir. Je ne crois pas que les gens vont rire cette fois...»

Le metteur en scène évoque l'empoisonnement du candidat ukrainien à la présidence en 2004, Viktor Iouchtchenko, qui avait été empoisonné par ses opposants. Il avait survécu, mais avait le visage ravagé. «Je me suis inspiré de l'image du visage boursouflé de cet homme pour représenter le spectre du père d'Hamlet. Pour qu'on voie sa blessure, confie-t-il. Dans cette scène d'ouverture, il y a une transmission de la violence qu'exprime le père à son fils, pour qu'il le venge. Mais la perspective de commettre un acte de barbarie le tourmente. Tout part de là.»

Hamlet, au TNM du 8 mars au 2 avril.