Un sujet délicat, un texte plus qu'habile, une mécanique dramatique soigneusement calibrée servie par un tandem d'acteurs solides, Blackbird, présentée depuis mardi au Théâtre du Nouveau Monde, rassemble tous les éléments nécessaires à une pièce choc. Et choc il y a. Même si le duel mettant en vedette les comédiens français Léa Drucker et Maurice Bénichou s'avère moins tendu et moins fiévreux qu'escompté.

Dans la salle de repos des employés d'un bâtiment industriel anonyme, Una (Léa Drucker) fait face à Ray (Maurice Bénichou). Des déchets jonchent le sol. L'endroit est plus en désordre que franchement sale, même si ce sont essentiellement des restes de repas qui traînent ici et là. Ce lieu impersonnel et froid (inutilement écrasant, même) n'est pas de ceux qu'on imagine propice aux confessions intimes. Et pourtant...

Una a retrouvé Ray et il n'est pas question qu'elle s'en aille. Ni qu'ils sortent, comme il le lui demande. Elle veut quelque chose, mais quoi ? Il essaie d'éviter l'inévitable, l'événement qui les lie et qui explique sa présence ici : la nuit d'amour qui a gâché leur vie, alors qu'il avait 40 ans et qu'elle n'était encore qu'une gamine de 12 ans.

La force de Blackbird réside d'abord dans ce texte dépouillé. David Harrower a trouvé le ton juste pour représenter cette conversation forcée. Una et Ray commencent des phrases qu'ils ne finissent pas souvent. Ils pèsent leurs mots, multiplient les banalités pour éviter le coeur du sujet, s'attaquent, se replient, souffrent et se durcissent. Le dramaturge a acculé ses personnages au pied du mur. À eux de dire leur vérité. Au spectateur d'en juger. D'y croire ou d'en douter.

Pour s'adonner à un tel jeu du chat et de la souris, il faut deux acteurs de calibre. Maurice Bénichou et Léa Drucker portent bien la tristesse de ces êtres brisés et encore déchirés. Sous sa mince cuirasse, Una est en miettes. Dans son corps, comme dans chacun de ses gestes, Ray laisse voir son accablement, combien il est fatigué de cette conversation avant même de la commencer.

Claudia Stavisky a fait en sorte que jamais le malaise initial ne se dissipe avec une mise en scène précise qui cherche à s'approcher le plus possible du naturel. La tension entre les deux personnages, on la devine toutefois plus qu'on la perçoit dans le jeu tamisé des comédiens. Certains échanges, en particulier les corps à corps, manquent de tonus pour paraître crédible.

Ce Blackbird pose néanmoins avec une grande justesse des questions troublantes et actuelles. Que vaut vraiment le consentement d'une gamine de 12 ans? Se pourrait-il que ce ne soit pas l'acte lui-même, mais la manière dont la société a réagi qui a causé le plus de dommages? S'agissait-il d'amour ou d'abus? Si l'homme a purgé sa peine et changé d'identité, alors que la fille souffre encore du regard que son entourage pose sur elle, peut-on parler de justice?

Et juste au moment où on croit avoir trouvé des esquisses de réponses, l'une des dernières scènes de la pièce vient tout remettre en question. Un coup de théâtre saisissant, à l'image de ce terrible face à face.

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Blackbird, jusqu'au 18 septembre, au Théâtre du Nouveau Monde.