À 62 ans, Jerry Seinfeld pourrait aisément se contenter d'empocher les redevances de sa série télé (plusieurs dizaines de millions de dollars par an!) et de jouer les rentiers. Ce serait bien mal connaître l'humoriste. La Presse est allée le voir sur scène à New York avant son passage à Montréal demain.

À 19 h 30, les nombreuses files pour entrer au Beacon Theatre, dans l'Upper West Side, s'enroulent les unes dans les autres comme une sorte de serpent qui tenterait d'étouffer le bâtiment plein à craquer. Les revendeurs n'ont aucun billet à vendre et cherchent désespérément à en acheter pour les revendre encore plus cher.

Dix-huit ans après la fin de la série télé portant son nom, Jerry Seinfeld est encore et toujours une superstar à New York. Sa résidence mensuelle au Beacon Theatre (3000 places), lancée en janvier, affiche toujours complet. Majoritairement blanc et aisé, son public compte assurément son lot de nostalgiques de la série new-yorkaise.

Certains spectateurs semblent d'ailleurs tout droit sortis d'un épisode de Seinfeld. Il y a notamment un quadragénaire impatient qui tente de soudoyer un portier avec un billet de 100 $ pour pénétrer plus rapidement dans le bâtiment avec sa compagne (en sus du prix des billets dépassant les 200 $ pièce).

Un tabouret, un verre d'eau

Quarante-cinq minutes plus tard, la première partie a pris fin et Jerry Seinfeld monte sur scène alors que quelques spectateurs sont encore en file dans l'anaconda à l'extérieur.

Il commence par se moquer de notre obsession pour les sorties. « Vous savez pourquoi on est ici ? Pour sortir. Sortir est une de ces choses que les gens aiment faire. [...] Pour sortir, on doit se préparer, choisir ses vêtements, retirer de l'argent, rejoindre ses amis, prendre sa voiture, trouver une place de stationnement, acheter des billets. Et une fois que nous avons fait tout ça, quelle est la première chose qui nous vient en tête ? "Il va falloir que je rentre à la maison maintenant..." »

Les fans de Seinfeld auront reconnu le sketch. L'humoriste en avait présenté une mouture dans le tout premier épisode de la série, en 1989. Vingt-sept ans plus tard, le matériel marche toujours. Il faut dire que le rendu est impeccable, travaillé à l'extrême.

Avec pour seul décor un tabouret et un verre d'eau, Jerry Seinfeld ne cherche manifestement pas à réinventer le spectacle d'humour. Même son micro branché dans une console par un long fil semble tout droit sorti d'une autre époque. Cela n'empêche pas les rires de cascader des deux balcons de la salle. 

Là où d'autres font dans la surenchère provocante ou grinçante, Seinfeld reste fidèle à ses thèmes en apparence anodins.

Il se moque de notre relation symbiotique avec nos téléphones intelligents, parle de bouffe, de tournures de langage et, évidemment, de mariage (« le mariage, c'est deux personnes qui essaient de rester ensemble sans se dire qu'elles se détestent »).

Des numéros pensés et repensés

Ce serait facile de critiquer l'artiste pour son manque de mordant, de le considérer comme une relique trop lisse. Mais ce serait oublier le talent indéniable du New-Yorkais qui ne cesse de polir, jour après jour, année après année, chacun de ses sketches. Ajoutant un mot ici, retranchant une ligne là, il semble avoir pesé et soupesé chacun de ses mots.

Évidemment, il n'a aucune raison de se donner tout ce mal. Propriétaire d'un immense appartement en bordure de Central Park et d'une délirante collection de Porsche, l'humoriste aurait pu prendre sa retraite il y a belle lurette ou se contenter d'enregistrer de nouveaux épisodes de sa plus récente série Comedians in Cars Getting Coffee. Mais, comme il l'a rappelé sur la scène du Beacon Theatre, le « stand-up » est son premier amour.

La parole au public

En rappel, l'humoriste surprend son public en prenant des questions de l'assistance. S'il esquive adroitement une question sur Donald Trump, il répond de bon coeur à celle qui brûle toutes les lèvres : y aura-t-il, un jour, une réunion de la distribution de Seinfeld ? « C'est une éventualité qui pourrait survenir un jour... quand nos carrières à tous les quatre seront complètement en perdition ! Et nous travaillons tous à cela en ce moment même ! »

À la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts demain à 19 h et 21 h 30.