Fred Pellerin se souvient de la première fois qu'il a présenté à Kent Nagano et son équipe le canevas de son conte de Noël La tuque en mousse de nombril qui tenait sur une page: «Ils m'ont dit: «Faut faire un show d'une heure et demie!» J'ai répondu: «OK, je vais couper.»»

Et le conteur de Saint-Élie-de-Caxton de pouffer de ce rire spontané qu'on lui connaît quand, sur scène, il s'étonne lui-même de l'ampleur de ses élucubrations.

Difficile d'imaginer rencontre plus improbable que celle de Pellerin, le verbomoteur débarqué du pays des légendes, et du sérieux Orchestre symphonique de Montréal (OSM) et son chef Kent Nagano. Pourtant, le travail méthodique, appliqué, n'exclut en rien le rire ni le délire, comme ils l'ont prouvé ensemble dans leurs deux premiers contes symphoniques.

Que trois lignes couchées sur une feuille de papier fassent 11 minutes une fois livrées sur scène, Pellerin en fait son affaire. Avec le temps, tout ce beau monde a inventé une façon de faire dont René Richard Cyr est l'architecte.

«La première année, on ne savait plus comment gérer le flot d'information, se souvient Fred Pellerin. La grille que René Richard Cyr a créée pour qu'on mette nos données dedans est toujours en évolution et elle inclut tout le monde. On se rapporte tous à René Richard et il est le seul qui a le droit d'ouvrir la grille. Dans son document, je n'ai pas les notes du maestro, mais j'ai ce qu'il fait, à quoi ça ressemble et le temps que ça dure. Et lui, il a le petit bout de l'histoire en trois lignes qui va durer 11 minutes. Cette structure-là me permet de garder ma place de fou parce que, sinon, il aurait fallu que je fournisse des textes et que je les apprenne. On aurait tué mon affaire.»

Une année oubliée

Qui, parmi ceux qui ont vu les deux premiers contes à la Maison symphonique ou à la télé de Radio-Canada, ne se souvient pas du disque scratché de Beethoven que jouait en hoquetant l'OSM dans La tuque en mousse de nombril ou encore de l'orchestre lancé à vive allure dans l'Ouverture de Guillaume Tell et qui se met à «reculer» en même temps que le traîneau du Bossu symphonique? Ce genre d'interaction ira encore plus loin cette année, promet Pellerin.

Kent Nagano nous annonce qu'Il est né le divin enfin! sera plus théâtral, plus fantastique que ses prédécesseurs. Même qu'il aura une dimension tragique quasi absente des deux premiers contes, ajoute Fred Pellerin, qui parle d'une «très grande difficulté au village».

«Il y en a qui disent que ce n'est pas le 150e, mais le 149e parce qu'une année, 1922, est passée dans le beurre, explique Pellerin. Au réveillon de 1921, ils sont partis sur une câlisse de brosse et l'année 1922 ne compte plus vraiment parce qu'il n'y a aucune archive, aucun procès-verbal, rien qui reste de cette année-là parce que tout le monde était sur le party. Je raconte ce qui a mené à ce réveillon-là, mémorable et surtout oubliable parce qu'ils ne se rappellent plus de rien pantoute.»

De Pointe-au-Pic à Kiev

Pour la première fois, un conte symphonique Pellerin-OSM comprendra un cantique religieux, Adeste Fideles, et un air traditionnel québécois, Le reel de Pointe-au-Pic, qui, quoi qu'on en pense, n'a pas été suggéré par le conteur.

«Pointe-au-Pic, je n'étais pas dans l'équipe qui disait oui tout de suite», précise Pellerin.

«C'est vraiment venu de ce qu'on appelle un brainstorming, un partage des idées, confirme Kent Nagano. Fred est lui-même un musicien et il participe beaucoup plus au choix des oeuvres. Il a en tête l'atmosphère du conte et il sait pas mal quelles musiques il veut avoir, mais il est ouvert aux suggestions. La grande porte de Kiev [Tableaux d'une exposition de Modeste Moussorgski], ça vient de lui. Il a aussi proposé un des mouvements des Planètes [de Gustav Holst], mais, finalement, on a décidé ensemble qu'une autre pièce conviendrait mieux.»

Une tradition

Dès le départ, Kent Nagano a lancé l'idée d'une trilogie de contes qui fera d'ailleurs l'objet d'un coffret DVD à paraître en 2016.

«Trois fois, c'est une sorte de voyage, explique le maestro. Dans ce processus de huit ans, Fred a mûri comme performeur, l'OSM s'est beaucoup développé et une trilogie peut témoigner de l'évolution de tout le monde en même temps.»

Toutefois, disent les deux hommes, le concept de la trilogie n'exclut en rien la possibilité d'une quatrième ou d'une cinquième collaboration.

«Dès qu'on en finit un troisième, on se dit: «Hé, faisons-en un quatrième!»», lance Kent Nagano, tout sourire. Le maestro fait une pause puis ajoute: «La plus grande chose qu'on peut faire pour une ville, c'est d'établir une nouvelle tradition. J'aimerais bien, si je le pouvais, laisser cette tradition du conte de Noël, faire en sorte que les Montréalais se disent: «C'est Noël, je me demande si l'OSM fait un conte cette année?»»

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Il est né le divin enfin!, les 9, 11 et 12 décembre à la Maison symphonique. Le spectacle sera diffusé à la télé de Radio-Canada le 20 décembre à 20h.

DES CHANSONS ET DU PARLAGE

Le 2 février prochain, à Gatineau, Fred Pellerin va se lancer pour la toute première fois dans une véritable tournée de chansons. Pas question pour lui de «rentrer dans un tuyau sans en voir le bout», comme il le fait pour le conte. «Mais cinq mois, ajoute-t-il, c'est comme un voyage de pêche. Je sais que je fais 48 shows et le 18 juin, c'est fini, on le remet dans notre poche. Je ne dis pas qu'on ne le refera plus jamais, mais ce ne sera pas une tournée qui s'étire.» Ce spectacle s'est imposé de lui-même quand son troisième album, Plus tard qu'on pense, a connu le succès que l'on sait, qui lui a d'ailleurs valu le Félix de l'Album de l'année - meilleur vendeur. «Ce n'est pas une histoire, un concept, une trame narrative; ça part vraiment des chansons, mais il y a place au parlage aussi, dit Pellerin de sa nouvelle aventure. Quand je fais mes spectacles de contes, mon ratio, c'est 75% de contes et 25% de tounes. Là, je vais inverser ce ratio. Comme j'ai trois albums, on a beaucoup de tounes à faire, de 20 à 25. Et il y a plusieurs chansons sur mes disques que je ne ferai jamais dans les contes parce qu'elles sont dans d'autres thématiques.» Sur scène, Pellerin sera accompagné de son directeur musical Jeannot Bournival (clarinette, basse, banjo), de Daniel Lacoste (guitares, mandolin, lapsteel) et d'Alexis Dumais (piano et contrebasse).

À la salle Wilfrid-Pelletier, les 25 et 26 février 2016. Consultez les dates de la tournée de Fred Pellerin: www.fredpellerin.com

UN DUO IMPRÉVU

Le jour de notre rencontre avec Fred Pellerin, on annonçait que la bande originale du film La guerre des tuques 3D était certifiée disque d'or. Or, nous apprend Pellerin, son duo avec Céline Dion sur la chanson L'hymne, locomotive de cet album, ne faisait pas partie des plans d'origine de ses concepteurs Éloi Painchaud et Jorane. Oui, ça a cliqué entre Pellerin et Céline Dion depuis qu'ils ont fait connaissance lors du lancement télévisé de l'album Sans attendre de la chanteuse, mais l'artiste de Saint-Élie-de-Caxton avait déjà enregistré L'hymne tout seul en février 2015. «Elle était mixée, montée, finale», dit-il. Or, on avait proposé à Céline Dion de reprendre L'amour a pris son temps, que chantait Nathalie Simard à l'époque du film d'André Melançon, mais elle a plutôt manifesté le désir de chanter L'hymne. Fred l'avait déjà enregistrée? Qu'à cela ne tienne, elle la chanterait avec lui. «Ils ont réouvert ce fichier-là et ils sont allés prendre sa voix à Boston en juin. On voulait la faire tous les deux live en studio, qu'il y ait cette magie-là, on a tout essayé, mais je devais être sur scène à Saint-Hyacinthe ce soir-là.» Quant à L'amour a pris son temps, elle a plutôt été confiée à un collectif formé de Pellerin, Louis-Jean Cormier, Marie-Pierre Arthur, Marie-Mai et Groenland. «C'est tellement "ze" toune de La guerre des tuques. Personne ne voulait la reprendre seul parce qu'elle est trop grande. Finalement, on y est allés en gang à la We Are the World

LA GRÈVE DES TUQUES

Par un jour de grève des enseignants, Fred Pellerin a décidé d'aller voir Snoopy au cinéma avec ses enfants. Cette sortie en famille l'a tellement inspiré qu'aussitôt de retour à la maison, il a pondu un texte qui est devenu une lettre ouverte reprise par les syndicats et relayée par des milliers de lecteurs. «Depuis quelques jours, on nous disait tellement que la grève nuisait aux enfants, qu'elle n'était pas justifiée que tu te mets quasiment à douter de ton affaire, raconte Pellerin. Et là je vais voir Snoopy et je suis témoin d'une fête populaire hallucinante: des mamies, des papis, du popcorn, des jujubes, des films, des enfants qui rient... Aucune douleur, aucun martyre, tout est beau. En revenant du cinéma, j'ai un déversement à faire, je le déverse et je l'envoie à Micheline [Sarrazin, sa productrice]. Elle dit: «C'est beau, on envoie ça?» Rapidement, ça s'est mis à circuler sur les médias sociaux. Elle a été publiée sur lapresse.ca et a été relayée quelque chose comme 10 000 fois.» Fred Pellerin ne s'attendait pas à ce que son texte écrit spontanément ait un tel rayonnement, mais il persiste et signe: «Je ne comprends pas qu'on ait besoin d'argumenter sur des affaires comme l'éducation. Moi, j'ai pris position à la première chaîne humaine devant mon école comme père d'enfants et comme habitant de Saint-Élie-de-Caxton. Ma position est claire.»

LES PERSONNAGES ET LE RÉEL

Dans la série documentaire Saint-Élie-de-Légendes qu'on verra bientôt à la télé de Radio-Canada, Fred Pellerin nous présente des personnages bien en chair de son village. Le vieux Jack Langlois, dont on fait la connaissance dans le premier des quatre épisodes, n'est pas moins fascinant que les «personnagés» du conteur comme Méo le coiffeur ou le forgeron Riopel. «Je ne suis pas là comme un observateur, un scientifique avec un village dans un bécher, explique Pellerin. Ce village-là, je l'habite très activement, je le prends à bras-le-corps et je ne veux pas que le choix que je fais de le mettre à jour et à la lumière vienne nuire à Jack qui a son petit univers clos, sa petite fermette, ses neuf lapins et ses huit chats. Il ne faut jamais que ma patente l'affecte.» Cette incursion dans le réel n'est pas sans rappeler le mini-documentaire Méo à la racine du cheveu, offert en supplément avec le DVD du plus récent spectacle de Pellerin, De peigne et de misère. Sur scène, Pellerin raconte Méo le coiffeur et ses légendes et, dans le supplément, on part à la recherche du vrai Méo, on fait connaissance avec ses filles et on entre dans sa maison. Mais là également, la légende rattrape vite le réel quand Pellerin se lance à la recherche de la chaise de Méo. «On cherche une chaise, on en trouve dix», acquiesce Pellerin en pouffant de rire.

Saint-Élie-de-Légendes, à la télé de Radio-Canada les mardis à 20h, du 8 au 29 décembre. De peigne et de misère, en DVD.