Avec la récente polémique autour du mot «mongol» lancé à l'émission La soirée est (encore) jeune, qui a choqué la ville de Québec, son maire et la Société québécoise de la Trisomie-21, nous avons eu droit à un nouvel exemple d'enflure autour d'une blague. Sommes-nous devenus trop chatouilleux? Le métier d'humoriste est-il devenu plus difficile? À la veille du Festival Juste pour rire et du Zoofest, Guy Nantel, Maxim Martin, Mehdi Bousaidan et Guillaume Wagner en parlent avec La Presse.

Est-il plus périlleux de faire de l'humour aujourd'hui qu'il y a 20 ans?

Maxim Martin: Quand on a commencé - toi et moi, on est de la même génération, Guy - et que le mur de la censure est tombé, on nous a encouragés à dire des choses qu'on n'avait pas le droit de dire. Maintenant, c'est l'ère du politiquement correct, et on est un peu figé. Je pense qu'on peut discuter de tous les sujets, mais le seul qui semble intouchable, ironiquement, et c'est courant pour Guy de le faire, c'est de parler de politique. C'est plus sale que n'importe quel autre sujet.

Guy Nantel: Quand tu pratiques ce genre d'humour-là, tu ne seras jamais le jeune premier qui va vendre 300 000 billets. Ce ne sont pas des sujets aussi populaires que des sujets plus universels. Je gagne bien ma vie depuis 27 ans. Je n'ai pas besoin de plus que ça. Il y a des émissions de télé où on te demande de ne pas parler de telle affaire ou de tel commanditaire, mais moi, je ne suis pas le bon gars pour ça. Et il y a la guerre des médias. Moi, je ne joue pas à ces games-là. Oui, c'est plus dur parce qu'il y a des hostie de morons qui vont t'écrire sans arrêt des bêtises sur Facebook ou Twitter chaque fois que tu dis quelque chose, mais ce n'est pas grave...

Martin: Je me souviens que l'humour osé était censuré, et après ça, ç'a été les noms d'entreprises. Tu ne pouvais pas dénoncer Shell ou McDo... On a juste peur. Tu sens des fois, quand tu fais des gags sur certains sujets, que les gens se regardent entre eux autres pour savoir si c'est correct de rire. On ne sait plus où est la limite.

Guillaume Wagner: J'étais pas là à votre époque (rires). Je suis arrivé au moment où les réseaux sociaux explosaient. J'ai grandi en humour avec ça, avec l'idée que si tu dis quelque chose sur internet, ça peut éclater. Ça fait partie de la game, maintenant. Ça m'a pris du temps à comprendre comment ça fonctionnait, cette bête-là, et les gens sont de plus en plus à l'aise de venir commenter, critiquer. Je me considère comme progressiste de gauche, mais j'ai l'impression qu'il y a une espèce de gauche extrême, en ce moment. Jerry Seinfeld, Patton Oswald et Chris Rock en ont parlé un peu. Ils ne vont plus dans les collèges américains, parce que les gens veulent lancer ça aux humoristes: t'es raciste, t'es sexiste, t'es homophobe. J'ai fait un numéro contre l'homophobie et on me disait que c'était homophobe. Il y a une espèce de gauche qui ne comprend pas l'humour...

Guy Nantel: Ils ont la vertu de leur côté, hein? C'est ça, l'affaire. J'ai vécu ça avec mes vox-pop. Si tu fais des jokes sur l'écologie, les carrés rouges, les vélos... Tu peux être sûr et certain que tu vas avoir 20 messages à l'heure.

Wagner: Ce sont comme des espèces de chiens de garde qui sont contents de te mordre, mais ils ne savent pas où mordre et pourquoi ils te mordent. J'ai l'impression, des fois, qu'ils veulent juste se taper dans le dos et se dire qu'ils sont de bonnes personnes...

Martin: Avec les réseaux sociaux, tout le monde devient une star internet. Je m'en tire quand même pas mal. Je me retiens. Je me rappelle la formule de ma mère: «Ignoré, c'est encore plus frustrant.»

Mehdi Bousaidan: Je pense qu'il y a un clash entre deux générations, ceux qui ont Facebook, ceux qui ont eu Facebook après, et personne ne sait exactement comment utiliser ça. Je pense que la génération après la mienne va mieux l'utiliser. On ne voit pas vraiment l'impact de la joke qu'on va faire sur Facebook, et on se retrouve avec des gens qui nous insultent. Les gens ne comprennent pas, des fois, que c'est une blague. Pour eux, c'est un peu comme si tu criais dans la rue.

Est-ce que vous faites de l'autocensure?

Nantel: Il faut comprendre une affaire. Moi, ce que j'appelle humoristes, ce sont ceux qui font de la tournée. Quand tu as un show à succès - de 100 000 à 200 000 billets -, ce n'est même pas 1% de la population. Ce qui donne un terrain de jeu assez intéressant, la latitude d'envoyer promener à peu près tout le monde qui t'en veut ou qui ne comprend pas ta démarche. Dans la vraie vie, avant les médias sociaux, l'univers auquel appartient la personne qui ne m'aime pas et le mien ne se seraient jamais croisés. Pourquoi se censurer, alors qu'en réalité, la beauté de ce qu'on fait, c'est la liberté de parole?

Martin: Je me suis toujours dit que la journée où tout le monde allait être d'accord avec ce que je dis, j'allais me remettre en question.

Wagner: Si ton gag est consensuel, il sert à quoi?

Bousaidan: J'ai eu un contrat pour le Festival juif sépharade où on m'avait booké, et je ne le savais pas. Je devais faire mon numéro de l'Allemand nazi...

Nantel, Wagner, Martin: (Rires!)

Bousaidan: J'avais dit oui un mois avant, mais, le jour même, je voulais changer de numéro. On m'a dit: «Non, on t'a engagé pour ce numéro-là, tu dois le faire.» Mais je n'allais pas faire un Allemand nazi devant 400 juifs! Il y a des allusions à des événements qu'ils n'avaient peut-être pas envie d'entendre lors d'une soirée d'humour. J'allais tuer ma carrière, ce soir-là! Finalement, ça s'est super bien passé, on venait me voir, on me remerciait d'avoir abordé ce sujet-là de cette manière, et après, je me suis dit: plus jamais je ne ferai de l'autocensure.

Nantel: L'affaire des «mongols», c'est la même gang qui m'a écrit pour me donner de la marde quand j'ai parlé du Québec comme une société de «mongols», alors que je ne parlais pas du tout de handicap. Mon frère est déficient mental, j'ai passé ma vie avec des trisomiques. Dans le dialogue, quand tu essaies d'être cohérent et que la réplique est tout le temps l'insulte, un moment donné, tu n'en peux plus. Une dame m'a demandé ce que c'était, la différence entre un trisomique et un mongol, et elle n'arrêtait pas. J'ai dit: «Regardez. Mettez-vous devant le miroir avec votre fils: à droite, c'est un trisomique, à gauche, c'est une mongole.» Je ne peux pas me laisser imposer la rectitude politique, car qui est l'arbitre sur ce plan? La religion, c'est pareil.

Êtes-vous inquiets pour l'avenir de l'humour, ou croyez-vous qu'il y aura un équilibre?

Martin: Je penche pour la deuxième option. Je pense que l'élastique est sur le bord de péter, pas juste pour les humoristes, mais pour tout le monde. Il y a une pression énorme de toujours penser à ce que tu vas dire. On «s'autopolice» entre nous. Un moment donné, ça va faire. On va arrêter de se prendre au sérieux et l'autodérision guérit tout.

Nantel: Je pense qu'on est assez libre malgré cette pression sociale. Mais la plupart des gens vivent dans la peur en général. On a le réflexe: comment faire pour qu'il m'arrive le moins d'affaires possible? Il faut se faire confiance, tu as le droit d'apporter des nuances sur des choses qui font consensus.

Bousaidan: On est la première vague de gens qui vivent les réseaux sociaux. Ça va se régler. Je pense qu'il y aura une meilleure utilisation de ça. Je ne suis pas trop inquiet.

Wagner: Moi, je suis plus pessimiste. Je pense que la job des humoristes, c'est de faire aller les soupapes. Plein de choses s'accumulent et on fait sortir la vapeur. Globalement, les gens acceptaient ce rôle-là, mais j'ai l'impression que c'est de moins en moins accepté. J'ai lu sur le rôle des clowns dans les tribus amérindiennes, qui servaient une fois par année à remettre en question la hiérarchie, sinon c'était trop lourd. On a besoin de ça une fois de temps en temps, mais, pour le faire, il faut nous donner l'es pace.

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Le Festival Juste pour rire, du 11 au 25 juillet. www.hahaha.com

Le Zoofest, du 9 juillet au 1er août. www.zoofest.com