Dimanche soir, sur les ondes de Radio-Canada, les humoristes québécois étaient à l'honneur. Mais en ce printemps érable et incertain, la fête de l'humour s'est déroulée sur fond de crise, d'agitation sociale et de conflit générationnel de plus en plus acrimonieux.

Or, depuis le début des hostilités entre les étudiants et le gouvernement, les humoristes ont été étrangement silencieux. Contrairement aux artistes qui, sous l'impulsion de Dominic Champagne, se sont prononcés contre la hausse sur YouTube, puis en signant le manifeste Nous sommes ensemble, les humoristes donnaient l'impression d'être aussi invisibles qu'absents du débat.

Dans bien des cas, ce n'était qu'une impression. Beaucoup d'humoristes n'étaient peut-être pas au premier plan dans les médias, ni présents aux manifs, mais plusieurs, comme Jean-Michel Anctil, Laurent Paquin, Mario Jean, Marie-Lise Pilote et Claudine Mercier, étaient à la grande marche du Jour de la Terre. Les autres ont été actifs sur Facebook ou Twitter, alimentant leurs comptes de réflexions et de prises de position, peut-être pas toujours contre la hausse, mais toujours pour les étudiants.

En faisant le tour des plus connus, un constat s'impose: il y a chez les humoristes québécois deux écoles de pensée. Ceux qui, comme Lise Dion, Louis-José Houde ou les Chick'n Swell estiment que leur rôle, c'est de divertir, pas de donner leur opinion. De l'autre côté, il y a l'école plus opiniâtre des Laurent Paquin et de ses jeunes émules, Guillaume Wagner et Kim Lizotte, qui tiennent à tout prix à participer au débat public et à prendre position. Et entre les deux, il y a ceux qui, comme Eddy King, Jean-François Mercier ou Claudine Mercier, s'engagent dans leur vie de tous les jours avec de petits gestes concrets, sans pour autant trimbaler leurs partis pris politiques ou sociaux sur scène.

Comme le souligne le jeune et fougueux Guillaume Wagner, le public québécois considère souvent les humoristes comme des amis. Or dès que l'ami ne pense pas comme lui, le public se sent trahi. Maintenir un équilibre entre ses convictions personnelles et ce que l'on veut communiquer comme message au public est un exercice périlleux pour bien des humoristes, surtout les plus connus.

Mais qu'on se console: la relève semble d'ores et déjà plus engagée que la génération précédente. Kim Lizotte en est le meilleur exemple. Ne mâchant pas ses mots et ne ménageant pas ses effets quand elle s'attaque à Jean Charest, la jeune humoriste dit profiter du fait qu'elle est relativement inconnue pour charger à fond de train. Quand elle sera plus connue, elle pourra toujours mettre un peu d'eau dans son vinaigre. En attendant, que ceux qui l'aiment la suivent.

JEAN-FRANÇOIS MERCIER

Engagé autrement

Jean-François Mercier n'a pas participé à la grande marche du Jour de la Terre. Il n'a pas manifesté dans la rue avec les étudiants, n'a pas signé le manifeste des artistes contre la hausse. Ce qui ne l'empêche pas de se considérer à raison comme un humoriste engagé. Mercier est le seul humoriste qui a déjà été candidat aux élections, ce qui a exigé de lui autant de dérision que d'engagement, ne serait-ce qu'en temps et en argent.

Récemment, sur sa page Facebook, Mercier a déploré l'attitude d'un gouvernement qui a toujours les moyens de payer la police, mais pas une cenne pour les droits de scolarité. «Ça m'a valu un lot d'insultes, dit-il. J'ai pas insisté parce que je n'ai pas de position tranchée sur le sujet. D'un côté, les jeunes qui protestent et qu'on veut faire rentrer dans le rang à grands coups de pieds dans le cul ont toute ma sympathie. De l'autre, ceux qui veulent mettre fin à la grève pour aller étudier, je trouve ça assez noble.»

Très sollicité pour soutenir mille et une causes, Mercier choisit souvent les plus petites et les plus discrètes. «Je préfère rendre du monde heureux en allant les visiter à l'hôpital que de faire mon Che Guevara de salon en allant marcher contre la faim ou pour le Jour de la Terre, parce qu'une fois que la manif est finie, rien n'a changé.»

Archives

CLAUDINE MERCIER

De l'humour 100% zéro carbone

Pour rien au monde Claudine Mercier n'aurait manqué la marche du Jour de la Terre. Écologiste avertie, préoccupée par l'état de nos forêts comme de notre agriculture, Mercier est la première humoriste à faire une tournée zéro carbone avec une voiture hybride, un éclairage LED et un camion dont les émissions de gaz à effet de serre se muent chaque mois en argent versé à des organismes de développement durable. L'humoriste appuie les étudiants, mais en silence. «Leur mobilisation est belle à voir, mais ce qui l'est moins, ce sont les explosions de violence. Il est grand temps que ce conflit se règle», dit celle qui ne porte pas Jean Charest dans son coeur, mais qui concède qu'il est une grande source d'inspiration. «Charest est un champion du développement durable, blague-t-elle. Grâce à lui, la grève dure, dure et dure.»

Photo Marco Campanozzi, La Presse

GUILLAUME WAGNER

Engagé et enragé

Rien n'enrage plus Guillaume Wagner que des humoristes qui ont des opinions, mais qui les taisent pour ne pas déplaire au public. «Ne pas s'engager par peur de perdre son public, c'est une vision de politicien calculateur et ça m'enrage. Moi, comme humoriste, je n'ai aucun problème avec l'engagement. Au contraire», plaide l'humoriste de 28 ans.

Souverainiste convaincu, ami de Jean-Martin Aussant, le fondateur d'Option nationale avec lequel il a marché au Jour de la Terre, Wagner appuie la grève des étudiants par des capsules humoristiques à la radio et sur Internet. Cette semaine, il devait d'ailleurs tourner une vidéo humoristique avec un des trois leaders étudiants, qui s'est désisté à la dernière minute sous prétexte que l'heure n'était pas à l'humour. Guillaume Wagner n'a pas abandonné la cause pour autant et lancera la semaine prochaine une vidéo contre la hausse.

Photo Hugo-Sébastien Aubert

LAURENT PAQUIN

L'âme damnée de Lise Beauchamp

La dernière chose que Laurent Paquin souhaite faire dans la vie, c'est de regarder passer le train de l'actualité passivement, sans s'engager.

«Je lis les journaux, je me tiens au courant, j'ai envie de participer au débat. Mes opinions, je tiens à les exprimer malgré l'émotivité que ça déclenche. En ce moment, si t'es contre la hausse comme moi et que tu le dis sur le web, tu te fais traiter d'irresponsable. C'est pas le fun, mais tant pis.»

Entre deux tweets corsés contre Jean Charest, l'humoriste a composé une chanson à la gloire de Line Beauchamp, où il répète inlassablement «Madame Beauchamp s'en crisse des étudiants».

Après avoir participé à la marche du Jour de la Terre avec toute sa famille, Laurent Paquin ne se fait pas trop d'illusions sur l'impact de cette journée. «Une manif, ça ne donne pas de résultats sur le coup, dit-il, mais toutes les manifs mises ensemble finissent par envoyer un message assez clair au gouvernement et c'est ça qui compte.»

Photo Marco Campanozzi, La Presse

LOUIS-JOSÉ HOUDE

Une opinion parmi tant d'autres

Pourquoi l'opinion d'un humoriste compterait-elle plus que celle d'un plombier? C'est Louis-José Houde qui pose la question. Sous-entendu: les grandes prises de position, très peu pour lui. Absent du Québec depuis le mois de janvier et tentant de s'imprégner de la France et des Français en prévision d'un spectacle qu'il compte y donner, Louis-José Houde n'a pas d'opinion précise sur le conflit étudiant.

«C'est beau de voir l'énergie, l'enthousiasme et la détermination des étudiants. Pour le reste, je ne me sens pas qualifié pour commenter, notamment parce que je ne suis pas allé à l'université. J'ai arrêté mes études au cégep. J'ai commencé à travailler en humour à 18 ans. Les prêts et bourses, j'en ai jamais eu. Je ne sais même pas comment ça marche!»

L'engagement ne joue pas un grand rôle dans la vie du célèbre verbomoteur, sauf dans le cas de spectacles-bénéfice pour des causes comme l'Afrique et Haïti.

Photo Alain Roberge, La Presse

EDDY KING

Un engagement communautaire

D'origine congolaise, né en France et arrivé au Québec à l'adolescence, Eddy King, de son vrai nom Edgar King, a deux vies: humoriste le soir et intervenant social auprès des jeunes, le jour.

Révélé en 2010 en première partie de Rachid Badouri, l'humoriste s'est imposé cette année avec son premier one man show. Son engagement, il le réserve pour le Congo, mais aussi pour les jeunes issus des communautés culturelles. Il est pour la gratuité scolaire, contre les manifs violentes, mais même s'il dénonce le profilage racial dans ses spectacles, il est capable de se mettre à la place des policiers.

«Avant de devenir humoriste, dit-il, j'ai travaillé avec les policiers pour faire le lien entre eux et les jeunes de Côte-des-Neiges. Je connais les deux côtés de la médaille et je comprends à quel point cette situation est compliquée.»

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

LISE DION

S'engager, c'est d'abord s'informer

Lise Dion aurait bien enfilé ses chaussures de sport pour aller marcher au Jour de la Terre, mais elle était en tournée au Québec. Reste que pour elle, un humoriste ne devrait pas donner son opinion ni s'engager publiquement à moins d'être très au fait d'un dossier.

«Dans mon spectacle, j'ai deux numéros très engagés: celui sur la femme afghane et l'autre sur les CHSLD. Comme je connais ces deux dossiers à fond, je n'ai pas de problème à me prononcer. Pour le reste, je trouve ça plus délicat.»

Lise Dion nourrit son compte Twitter chaque jour, mais n'a pris position pour les étudiants qu'une fois, le jour où Jean Charest s'est moqué d'eux au Salon du Plan Nord. «Mon mandat, conclut-elle, c'est de divertir les gens. Pas de prendre position.»

Photo fournie par Oliver Simon Arcand

KIM LIZOTTE

Pas capable de cacher ses convictions

Féministe, souverainiste, gauchiste; tout ce qui manque à Kim Lizotte, c'est d'être communiste. Elle ne l'est pas. À 29 ans, cette nouvelle venue dans le monde du stand-up se dit incapable de cacher ses convictions et de ne pas afficher ses couleurs et ses partis pris. Depuis deux ans, elle trimballe un numéro hilarant anti-Charest. «Je pensais qu'il serait périmé au bout de six mois. Mais plus ça va, plus il est d'actualité. J'en reviens pas.»

Contrairement à plusieurs humoristes stand-up, Kim ne tire pas sur tout ce qui bouge. «Je ne fais pas de l'observation politique. Je suis une grande émotive qui ne se prononce que sur les questions d'actualité qui me touchent personnellement.»

La hausse des droits de scolarité ne fait pas que la toucher. Dès qu'il en est question, elle grimpe dans les rideaux et devient intarissable, dénonçant un gouvernement corrompu qui s'en met plein les poches et qui ose aller chercher de l'argent dans la poche de ses enfants. Impossible de douter de la sincérité de Kim Lizotte qui valorise l'éducation par-dessus tout. La preuve, c'est qu'elle s'est endettée de 15 000$ pour étudier à l'École nationale de l'humour. Elle n'a toujours pas remboursé ses prêts.

Photo Bernard Brault, La Presse