Alain Gravel prendra la barre de l'émission du matin d'ICI Radio-Canada Première à Montréal à la fin août, en remplacement de Marie-France Bazzo, qui a quitté C'est pas trop tôt au début du mois. Cet ancien journaliste de CKAC et de TVA a animé successivement les émissions Enjeux et Enquête depuis 1997 à Radio-Canada.

Tout un défi t'attend...

Oui! Les politiciens diraient que c'est un changement dans la continuité ou la continuité dans le changement. C'est le contexte qui est différent et c'est ce que je cherchais finalement. Je ne suis pas un vrai journaliste d'enquête. Je suis un journaliste. Je peux faire de l'enquête, mais je ne me réveille pas la nuit pour voir des complots. Ce n'est pas mon genre. J'ai un côté très naïf dans la vie. Je suis plutôt porté à croire les gens de prime abord, et à douter ensuite.

Tu espérais ce changement depuis un moment?

Il y a deux ans, j'ai commencé à annoncer mes couleurs à mes patrons. J'avais un engagement moral, et même un devoir, de boucler la boucle; c'est-à-dire d'attendre la fin de la commission Charbonneau. Mais je leur ai dit que je voulais toucher à autre chose. J'ai remplacé un peu Anne-Marie Dussault l'année dernière. C'était un test. J'ai aimé ça. Mais je cherchais un plus grand changement que ça. Je fais le métier depuis 37 ans. J'ai commencé à 20 ans.

L'idée de revenir à la radio te semblait un plus grand changement?

Ce n'est pas tant la radio que d'être «morning man». J'aime la radio. J'y ai travaillé 11 ans. Mais être en ondes, le matin, c'est ce qui m'attirait. À Enquête, tu grattes, grattes, grattes et tu sors le champagne quand il y a un kodak. «Wow! On accepte de nous parler! Wow! On a une entrevue!» J'avais le goût de ça. Quand j'étais jeune à Laval et que mes amis écoutaient CHOM, moi j'écoutais Coallier à CFGL. J'ai beaucoup écouté Le Bigot, Homier-Roy. Moins Bazzo. J'écoute Arcand malgré la pub.

Quand Homier-Roy a annoncé qu'il s'en allait, as-tu proposé de le remplacer?

J'en ai parlé de manière très informelle dans un congrès de la FPJQ, à un patron de Radio-Canada, avant même de savoir qu'Homier-Roy s'en allait. Je disais ça comme ça. Quand j'ai su qu'il allait quitter, j'ai eu des discussions avec les patrons de la salle des nouvelles, mais pas avec les patrons de la radio. Bazzo a été nommée et ce n'est que récemment qu'on m'a approché en me disant que mon nom avait circulé. C'est un peu comme ça que c'est arrivé. Je n'aurais pas pris un autre quart de travail. C'est le matin qui m'intéressait.

Te lever à 3h du matin, ce n'est pas un inconvénient pour toi...

Non. Je suis un gars de matin. Je me lève de bonne heure, mais pas à ce point-là! Je suis allumé le matin. J'aime beaucoup la radio de Radio-Canada: Catherine Perrin, Marie-Louise Arsenault. La soirée est encore jeune avec Wauthier est une émission géniale. C'est incroyablement bon.

Pour casser le moule du duel avec Paul Arcand, on aurait pu nommer quelqu'un comme Jean-Philippe Wauthier à l'émission du matin. Ton arrivée donne l'impression qu'on reste dans la concurrence directe avec Arcand. Un gars de nouvelles, sérieux, qui fait des entrevues serrées...

Je ne connais pas la stratégie. Je suis ce que je suis. Remarque que c'est vrai que Wauthier est un bon animateur. De la classe de Le Bigot, qui est un vrai animateur. Mais je ne m'excuserai pas d'être qui je suis. Radio-Canada veut quelqu'un qui est sur la nouvelle. Ça fait bien mon affaire. C'était aussi la stratégie de Bazzo. Elle l'a annoncé elle-même: elle voulait gruger des parts à Arcand. Les patrons veulent une émission «newsy», mais pas nécessairement avec un bat de baseball. Certains disent qu'on va revenir à Michel Lacombe. Je ne juge pas du travail qu'il a fait, mais on peut faire de l'info de toutes sortes de façons. Je n'ai pas comme objectif d'aller planter Arcand. Le mandat me convient. En gros, les gens qui sont là me conviennent. Les rencontres que j'ai eues avec les patrons me conviennent. Ça me tente de faire de l'info, mais moins coincée, en partant de toutes sortes de choses. J'aime le vélo, le ski de fond, la culture populaire, le cinéma, les séries, la cuisine. J'ai envie d'être nourri par les autres, d'être en ondes, de communiquer au quotidien, dans un rythme du matin.

Tu es conscient de l'image d'austérité et de sévérité que tu projettes. Pour certains, cette austérité peut sembler incompatible avec le climat plus enveloppant auquel nous a habitués l'émission du matin de Radio-Canada.

J'en suis conscient parce qu'on m'en informe régulièrement. Moi, je ne trouve pas que je suis méchant! Dans la vie, je ne suis pas comme dans un «bust» à Enquête. Ceux qui me connaissent le savent.

Ta réputation de gars sérieux et austère est surfaite?

Oh oui! Je suis plutôt léger dans la vie. Très premier degré. Un peu naïf. Quand je travaille, je suis pointu. Je sors mon laser. Mais dans la vie, je ne suis pas comme ça. À la petite école, je pleurais tout le temps. Jusqu'au secondaire. Je regarde des films et les enfants se demandent quand je vais verser une larme. Je ne suis pas très sévère dans mes jugements sur des shows ou des films. Je suis une bonne pâte. Mais je suis quelqu'un de préoccupé. Ma fille me dit souvent qu'elle a hérité de mon air bête! J'ai une petite vie ordinaire. Je ne sors pas...

Tu ne sortiras pas plus! Tu vas te coucher tôt. Je reviens au ton. Tu parlais de Michel Lacombe. Le ton abrasif de l'entrevue serrée avec un politicien ne convient pas à tout le monde au moment du réveil. Ça te préoccupe?

Il y a toutes sortes de façons de faire les choses. C'est rare que je me choque en entrevue. Si les gens ont l'impression que je vais être comme ça à cause de l'image que j'ai, je n'y peux rien. C'est sûr que si tu veux rire de moi ou des auditeurs, ou que tu veux sortir la cassette, c'est possible que je sois dur. Mais je suis conscient que les gens n'ont pas toujours le goût d'entendre ça en se levant le matin. Je veux que ça marche. Je vais travailler fort pour que ça marche. Mais si ça ne marche pas, je ferai autre chose. Je ne ferai pas semblant d'être content d'être content pour faire plaisir à tout le monde.

En te choisissant, Radio-Canada tente clairement de gruger des parts de marché à Arcand. Parce que dans l'esprit des gens, vous avez le même casting...

Je ne suis pas Paul Arcand! Je connais Paul, je l'écoute. On est de la même génération. On a été formés à la radio privée; lui à CJMS, moi à CKAC. Lui était plus en ondes, moi j'étais plus sur le terrain. Je n'ai pas le même genre, ni le même style, même si je suis un gars de nouvelles. J'y vais comme je suis. Je ne changerai pas ce que je suis.