Le roman s'intitule Le passage du col, et tout de suite le titre peut s'entendre de deux manières: le passage d'un col de l'Himalaya qui sépare la Chine du Tibet, et le passage du col de l'utérus maternel, du néant à la vie. Il s'agit d'un écrivain français qui faisait partie d'un groupe de ces touristes marcheurs dont on soupçonne qu'ils vont à la recherche de leur pauvre petite âme toute mélangée. 

Ce sont les marcheurs du chemin de Compostelle du monde moderne. Le groupe en question est bloqué à la frontière par une avalanche, et reste seul notre brave écrivain, qui semble plus décidé que les autres à poursuivre l'aventure. Le voilà donc qui rencontre deux lamas, deux moines qui lui proposent de se joindre à eux pour franchir le col et poursuivre jusqu'à leur monastère de Philong Ta. Il accepte.

Or, ce brave garçon, chaque nuit, fait un rêve qu'il ne comprend pas, un rêve où il semble se réincarner dans des personnages dont il parlait dans ses romans... Pas toujours, mais souvent. Il va falloir que quelqu'un lui explique de quoi il retourne. Après de longues et pénibles journées de marche, il va devenir moine apprenti, cherchant à comprendre ses rêves: un pêcheur de Delos écoute un texte d'Homère; un écrivain est engagé par un duc pour écrire l'histoire de sa vie; un archéologue dirige un chantier de fouilles, il écrit le compte rendu de ses trouvailles et rêve (lui aussi) qu'il va découvrir les tablettes d'une bibliothèque de Mésopotamie...

Un moine calligraphie des textes, et il triche en les copiant. Un peintre byzantin est poursuivi par les chasseurs d'images, les iconoclastes. Un jeune garçon, pensionnaire chez les frères, écrit en secret, la nuit, des histoires qu'un surveillant sadique va détruire... Notre écrivain s'essaie à la voie tibétaine du sommeil qui éclaire, paraît-il, les vies passées de la métempsycose. Il y a là, dans ces rêves, autant de romans dans le roman, des histoires passionnantes et mystérieuses, et, comme on le voit, il s'agit chaque fois d'une aventure qui concerne l'écriture, dont le personnage est peut-être l'écrivain lui-même. Réincarnations successives? Tout est possible.

Hélas, les Chinois, peu portés sur les rêves, vont intervenir, venir inquiéter les moines et interrompre notre héros. Il rencontrera une soldate, il entraînera sa mort, il lui faudra s'enfuir avec les lamas vers le Népal. Encore un col? C'est un superbe roman qui se lit tout seul. On se prend à haïr les fils de l'Empire du Milieu, qui l'ont interrompu.

Le passage du col

Alain Nadaud Albin Michel, Paris, 317 pages, 29,95$

***1/2