La vie de Paula Hawkins a changé du jour au lendemain, quand elle est montée dans le train (du succès) en compagnie d'une certaine «girl». Ancienne journaliste financière, auteure de quatre comédies romantiques publiées sous pseudonyme, la romancière est sortie de l'ombre avec La fille du train (The Girl on the Train), adapté au cinéma avec Emily Blunt dans le rôle-titre et vendu à 20 millions d'exemplaires.

Dire que le nouveau roman de l'écrivaine née au Zimbabwe (mais vivant à Londres depuis l'adolescence) est attendu tient de la litote.

Voici donc Au fond de l'eau, qui suit deux soeurs aux rapports à peu près inexistants, Nel et Jules. La première vit dans leur petite ville natale, Beckford, traversée par une rivière où, depuis des siècles, des femmes meurent. Là se trouve d'ailleurs le destin de Nel. Son corps est retrouvé flottant dans le Bassin aux noyées. Jules revient à Beckford pour prendre soin de sa nièce, Lena, adolescente rebelle dont la meilleure amie a, elle aussi, perdu la vie dans les eaux maudites.

Accidents? Suicides? Meurtres? Après la fille du train, Paula Hawkins raconte donc les filles des eaux.

Vous avez commencé votre carrière de romancière en écrivant des comédies romantiques. Pourquoi ce passage au thriller psychologique?

Je suis plus douée pour la tragédie que pour la comédie. [rires] En fait, j'ai publié un livre de finances en 2004. J'avais donc un agent littéraire qui, un jour, m'a mise en contact avec un éditeur cherchant quelqu'un pour écrire une comédie romantique à partir d'une idée qu'il avait eue. C'était une commande, mais c'était pour moi l'occasion de voir si j'avais ce qu'il fallait pour écrire un roman. Je l'ai signé sous le pseudonyme d'Amy Silver, puisque l'idée n'était pas de moi. J'en ai écrit trois autres ensuite, mais ils devenaient de plus en plus sombres... et de moins en moins romantiques. C'est ainsi que je suis arrivée à La fille du train.

Un succès fulgurant. Quand est venu le temps d'écrire un nouveau livre, cela vous a galvanisée? Paralysée?

[rires] Ralentie. Interrompue. J'avais commencé Au fond de l'eau entre le moment où j'ai terminé l'écriture de La fille du train et celui où il a été publié. C'est une chance. Parce que j'avais une idée et que je savais de quoi je voulais parler. Et c'est là que j'ai commencé à être très sollicitée, à donner des entrevues, à voyager pour La fille du train.

D'où les interruptions et le ralentissement. Et le poids du succès, quand vous vous retrouviez devant le clavier pour écrire «autre chose»?

Je ne voulais pas sentir la pression, mais c'est impossible. Je n'ai plus été seule pour écrire. Je savais que des millions de personnes attendraient mon nouveau livre, que ce livre serait lu par des lecteurs, mais aussi par des critiques qui allaient le scruter dans ses moindres détails. Je refusais de me laisser atteindre, mais... bon, c'était tout le temps dans ma tête. À cause de cela, l'écriture a été difficile et angoissante.

Vous évoquez les critiques. Les lisez-vous? Les avez-vous lues pour Au fond de l'eau?

Oui, je les ai lues. Certaines sont formidables et d'autres, beaucoup moins. Les lire est... disons, à tout le moins, inconfortable. Mais je voulais savoir ce que les gens disent, pensent de mon travail. Tout en sachant que ça pourrait faire mal, être bouleversant.

Vous évoquiez plus tôt que vous saviez de quoi vous vouliez parler dans ce livre-ci. Et c'est...

La relation entre deux soeurs et la mémoire, qui est faillible. Les deux filles ont vécu les mêmes choses, mais leurs souvenirs des évènements, leur point de vue sur ce qui s'est passé diffèrent. Pas qu'elles mentent ou se mentent, elles se souviennent de façons différentes.

Il était aussi question de souvenirs et de mémoire «faillible» dans La fille du train. Là, l'alcool était en cause. Mais pour le lecteur, le résultat est le même: nous sommes en présence de narrateurs ou de narratrices non fiables. On dirait qu'il y a là une tendance, en littérature populaire...

En fait, personne n'est entièrement fiable, tout le monde cache des choses. Et puis, on oublie, on ne se souvient pas de tout et on se raconte des histoires en les croyant fidèles à la réalité. Mes personnages croient fermement dire la vérité. La situation n'est pas la même dans le cas de Gone Girl de Gillian Flynn, par exemple, où la narratrice manipule sciemment le lecteur. Quant à la tendance, à mon sens, elle n'est pas due aux écrivains, mais plutôt aux agents et aux éditeurs: quand un genre marche bien, ils cherchent «le prochain» - le prochain Harry Potter, le prochain Fifty Shades of Grey, etc. Souvent, ces histoires ont été écrites, les manuscrits sont là, ils n'avaient pas trouvé preneur.

Outre la mémoire et les souvenirs, La fille du train et Au fond de l'eau ont en commun le fait d'avoir plusieurs narrateurs. Mais là où il y en avait trois dans le premier, il y en a une dizaine dans le second.

Ça s'est imposé. Ce n'était pas prévu comme ça, mais, petit à petit, j'ai vu que c'était la façon la plus efficace de raconter cette histoire. Nous sommes dans une petite communauté où tout le monde a des secrets et, afin que le lecteur découvre ces secrets, ces choses sombres dont personne n'est au courant, sauf celui qui les porte, la multiplicité des narrateurs devenait nécessaire.

Vous mettez également en présence des personnages pas toujours sympathiques.

Parce qu'ils sont plus intéressants. Pas le défaut en tant que tel, mais le traumatisme qui l'a provoqué, et la manière dont on parvient à surmonter, à guérir... tout en conservant des cicatrices. Je m'intéresse à la façon dont, ainsi blessé, on réagit dans l'adversité.

Devez-vous aimer ces personnages pour les faire vivre?

Les aimer, non. Les comprendre, oui.

Les droits d'adaptation cinématographique d'Au fond de l'eau ont déjà été vendus à DreamWorks, qui a adapté La fille du train. L'expérience a donc été positive?

J'ai aimé leur travail, j'ai trouvé qu'ils étaient allés à l'essentiel tout en conservant les thèmes du livre, et je pense qu'Emily Blunt y est extraordinaire. Mais cette fois, je serai un peu plus impliquée - je ne l'ai pas du tout été pour La fille du train - dans le processus, parce que c'est un roman plus complexe à adapter, avec tous ces personnages et ces points de vue ! Mais tout ça n'est pas très avancé encore.

Alors, entre-temps, vous planchez sur un nouveau livre?

Non, je donne des entrevues et je voyage pour aller donner des entrevues. J'ai encore pour des mois de promotion. [rires]

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Au fond de l'eau. Paula Hawkins. Traduit par Corinne Daniellot et Pierre Szczeciner. Sonatine Éditions, 431 pages. Parution le 8 juin.

Image fournie par Sonatine Éditions

Au fond de l'eau, de Paula Hawkins