«Pas facile de grandir à l'ombre d'un grand arbre...», écrit Lolita Séchan, la fille du chanteur Renaud. Avec ce premier album graphique Les brumes de Sapa, qui raconte son histoire d'amitié avec une jeune Hmong, on peut dire que Lola, qui a étudié en cinéma et en littérature à Montréal, a enfin trouvé sa voie!

Oui, c'est bien LA Lola de la chanson Morgane de toi. La fille de Renaud Séchan et Dominique Lanvin. La filleule de Coluche. Cette même Lolita qui a fait de nombreuses haltes à Montréal, où son père avait une maison et qui a elle-même vécu ici il y a une dizaine d'années (elle a étudié en création littéraire et en cinéma à l'UQAM), publiant même un premier roman jeunesse, Les cendres de maman, aux 400 Coups.

C'est donc elle, Lolita Séchan, que l'on voit dès les premières pages des Brumes de Sapa, à l'âge de 22 ans, rongeant son frein à Paris, assoiffée de voyages.

«J'avais 12 ans d'âge mental, écrit-elle dès la première planche de ce récit autobiographique paru ici juste avant les Fêtes. Paris m'étouffait, sans parler de ma famille. Alors j'ai décidé d'aller voir ailleurs si j'y étais.» Lolita Séchan ne s'en cache pas, les cinq années qu'elle a passées à travailler sur cet album graphique - elle signe le texte et les dessins - ont été pour elle une véritable thérapie.

«Ç'a été cinq ans de labeur et une suite infinie de questionnements à la fois sur la forme et sur le fond.»

«C'est mon premier album graphique, donc j'ai dû tout apprendre, une case à la fois, et puis, tous les sujets personnels que j'aborde, il fallait que j'arrive à les digérer avant de pouvoir les retranscrire. En même temps, je ne voulais pas qu'il y ait trop de texte, je me suis un peu freinée. Mais en fin de compte, je pense que j'ai quand même lâché beaucoup de choses avec cet album», a-t-elle confié à La Presse au cours d'un entretien téléphonique.

Forcer son destin

«Pourvu qu'il m'arrive quelque chose» est l'une des premières phrases que Lolita dira en mettant les pieds au Viêtnam. «J'ai passé toute ma vie à me dire ça, avoue Lolita Séchan, tout en ayant très peur qu'il m'arrive quelque chose de dramatique!»

Dans Les brumes de Sapa, Lolita Séchan se livre discrètement, avec beaucoup d'humour et de tendresse, sur cette quête personnelle. Ce n'est qu'après le premier tiers de l'album, quatre jours avant la fin de son périple au Viêtnam (où rien ne s'est vraiment passé), qu'une deuxième ligne narratrice se dessine: son amitié avec une jeune fille de 12 ans, Lo Thi Gôm, rencontrée par hasard dans les montagnes de Sapa.

«À la base, ce que je voulais, c'était parler d'elle. Je voulais témoigner de ce dont elle ne pouvait témoigner, lui donner une liberté de parole aussi [Lo Thi Gôm appartient à la minorité hmong, victime de répression au Viêtnam]. Mais je ne voulais pas que ce soit un album sociologique ou journalistique. C'est ce qui m'avait touchée, moi, nos deux vies parallèles. Parler d'elle, ça m'a amenée à parler de moi.»

Le passage à l'âge adulte

À l'époque, cette Lo Thi Gôm n'a que 12 ans (10 ans de moins que Lolita). Qu'est-ce qui l'a tant attirée chez elle?

«Ce qui m'a touchée chez cette jeune fille, c'est sa lucidité, détaille Lolita Séchan. Une lucidité qui la rendait malheureuse. Entre autres parce que sa culture traditionnelle basculait dans la modernité. À un moment où j'avais moi-même beaucoup de difficulté à passer à l'âge adulte, où j'étais nostalgique, j'étais admirative d'elle, qui, à 9 ans, avait aidé une femme du village à accoucher! En même temps, j'ai eu envie de la protéger. La protéger d'une certaine forme d'innocence.»

C'est ainsi qu'est née cette amitié improbable entre les deux femmes, qui se voient chaque année depuis 14 ans!

Après un court chapitre (L'exil) qui parle de ses années à Montréal (son colocataire Claude Gagnon l'initie au St-Hubert et à Elvis Gratton!), Lolita Séchan entremêle habilement le récit de sa vie à celle de Lo Thi Gôm. Les deux jeunes femmes partagent leurs doutes et leurs tourments autant que leurs joies et leur quotidien. Elles iront même à Saigon, où Lolita se questionnera sur la nature de son amitié avec elle. Tout ça sur fond de toile familiale.

Lolita a d'ailleurs représenté son père et sa mère (qui lui dira entre autres: «À force de te perdre, tu te trouves »), mais toujours de dos. « Au début, je ne voulais pas les mettre, parce que ce n'est pas le coeur de l'histoire, je ne voulais pas que les gens ne me parlent que de ça. Mais je ne pouvais pas ne pas les représenter, parce que c'est quand même un récit qui traite de mon émancipation d'une famille fusionnelle à trois!»

Trouver sa voie

Au-delà de l'aspect thérapeutique de cette amitié et de la création de cet album graphique, Lolita Séchan a le sentiment d'avoir trouvé sa voie.

«C'est vrai que la bédé est un peu au confluent du cinéma et de la littérature, admet-elle. C'est ce qui me passionne. Le texte a une place importante et il y a une mise en scène qui me touche. C'est l'enchaînement des cadrages et les vides entre les plans qui m'intéressent. Donc, oui, j'ai l'impression d'avoir trouvé ma voie avec la bédé. Même si l'écriture pour le cinéma m'intéresse aussi. C'est un peu devenu mon territoire.»

Montréal a été pour elle aussi «vital» que le Viêtnam dans cette quête personnelle. Elle y revient d'ailleurs presque chaque année. L'été dernier, elle y était avec sa fille de 5 ans.

«Tous les déclics que j'ai vécus se passent loin de Paris. Mon premier roman, je l'ai publié au Québec, grâce à un professeur [Raymond Plante, aujourd'hui disparu] qui était éditeur aux 400 Coups. Montréal a été un lieu d'émancipation. Je suis quelqu'un d'assez pessimiste, mais à Montréal, j'ai souvent été heureuse. Hors du territoire parental, on dirait que ça me permet d'être plus moi-même.»

Une nouvelle bédé

Y aura-t-il une suite à cet album? Lolita Séchan ne l'exclut pas, mais pour l'instant, elle ressent le besoin de raconter une autre histoire. «Lo Thi Gôm me hante toujours, j'ai du mal à ne plus la dessiner, mais j'ai besoin de me désintoxiquer d'elle. Si le récit est justifié, oui, c'est possible qu'il y ait une suite aux Brumes de Sapa, mais si c'est juste pour faire une suite, non.» La jeune femme de 36 ans, qui s'est séparée de son mari (le chanteur Renan Luce) en 2016, travaille déjà sur un autre projet de bédé. «Ça parle encore d'absence de liberté d'expression, mais dans un environnement plus proche de moi. C'est une rencontre avec une femme algérienne de Paris. Pour l'instant, ça s'appelle Le petit peuple, mais c'est provisoire.»

Image fournie par les Éditions Delcourt

Les brumes de Sapa, de Lolita Séchan