Figure importante du théâtre québécois tant comme dramaturge que comme traductrice, Fanny Britt est aussi depuis peu une essayiste qui fait parler (Les tranchées, sur la maternité) et une auteure jeunesse célébrée et traduite partout dans le monde (Jane, le renard et moi). Dans un automne chargé où elle présentera une nouvelle pièce (Cinq à sept à L'Espace Go) et la traduction d'un texte d'Annabel Soutar à l'Usine C, la voilà qui arrive avec un premier roman, Les maisons, qui ne déçoit pas nos (grandes) attentes.

«Nerveuse?», lui demande- t-on en s'installant à la table de sa salle à manger, dans sa jolie maison du quartier Villeray. «Oui, très, répond cette angoissée chronique. C'est vrai qu'au théâtre, le poids est davantage réparti sur les épaules de tout le monde. Et puis dans ma tête, je me suis toujours tenu ce discours: si ça ne marche pas au théâtre, ce n'est pas si grave, car mon rêve, c'est d'écrire des romans!»

Il y a près de 20 ans, sa prof de littérature au cégep lui avait en effet «prédit» qu'elle écrirait un roman avant l'âge de 25 ans. Le délai a été pas mal plus long, avec une bifurcation vers le théâtre qu'elle ne regrette évidemment pas, mais c'est le roman qui a toujours nourri son inspiration, précise Fanny Britt. «Je voulais me prouver que j'avais le souffle pour écrire un roman, me rendre au bout de cet exercice.»

Tessa, la narratrice des Maisons, est une agente d'immeuble, de 37 ans, mère de trois garçons. Elle traverse une crise qui sera exacerbée par sa rencontre fortuite avec un ancien amour sur lequel elle s'était brûlé les ailes. On suivra le cours de ses pensées implacables, avec des allers-retours fluides entre le passé et le présent, un chemin ultra-lucide que l'auteure nous fait parcourir avec humour, sensibilité et intelligence.

Fanny Britt a créé Les maisons dans la peur de n'intéresser personne, de ne pas être en mesure de dépasser l'anecdote et «l'expression de soi». «J'essaie toujours d'être au plus près de la vérité, même si ça fait mal. Il faut être conscient de la portée symbolique et des enjeux moraux. C'est une trituration de plus qui est angoissante.»

Les maisons est finalement le livre qu'il «fallait» qu'elle écrive, dit-elle. «J'aurais aimé que mon premier roman ne soit pas typiquement un premier roman, tellement personnel, intime, qui revisite le passé... Mais qu'est-ce que tu veux! D'une certaine manière, je me suis débarrassée de Tessa en l'écrivant. Sinon, j'ai l'impression que j'aurais été pognée encore longtemps avec ce personnage de femme en colère, qui a renoncé à une part d'elle-même et qui en paie le prix par son amertume, sa violence, ses envies de fuir.»

Dualité

Depuis Les tranchées, Fanny Britt se dit «obsédée» par la dualité de chaque individu - en particulier des femmes -, parfaitement représentée par le titre du livre. «Il y a la façade, et il y a ce qui est derrière la porte», dit-elle, expliquant aussi que les maisons en disent beaucoup sur ceux qui y vivent. «Moi, elles me parlent beaucoup, en tout cas, plus que les vêtements.»

Ainsi, Tessa reste une mère dévouée et une conjointe aimante. Mais elle est aussi animée par une grande colère, qui est nourrie «par la désillusion entre la projection qu'on se fait de l'avenir à 15, 20 ans et la réalité de la vie», explique Fanny Britt.

«Elle est fâchée d'avoir été trompée par son époque qui commande d'être toujours au top, d'avoir le «mojo éternel de toute», et où la réserve et la nuance sont perçues comme de la mollesse. Je pense que ce que j'essayais de faire à travers son parcours, c'est un hommage à la construction. À nos peines aussi. Là où on souffre, où on a perdu, où on a failli, ce n'est pas nécessairement des faiblesses. Tout ça peut nous construire, faire de nous des gens plus riches que ceux qui ne perdent jamais.»

Fanny Britt admet qu'elle aussi, elle «achète souvent le kool-aid qu'il faut être tout en même temps», qui nous fait nous sentir nécessairement inadéquats. «Mais c'est à nous de refuser de faire partie de cette équipe», dit l'auteure qui a accompagné son personnage le plus loin possible dans le doute et la souffrance, parce qu'elle comprenait et partageait son amertume.

«Tessa est comme une extrapolation de ce que j'aurais pu devenir.» Mais même si elle a failli sombrer avec elle, elles ont réalisé «en même temps» que le mur n'était pas la seule issue. Fanny Britt laisse d'ailleurs les lecteurs sur une finale en point d'orgue - «On l'appelle notre fin minimaliste» -, tout sauf mélodramatique.

«Pourtant, j'ai été nourrie au victorien et je suis une sentimentale finie. Mais je coupe toujours dans mes épanchements par de l'humour et de l'autodérision. Je déteste le cute. De toute façon, ça n'irait pas avec Tessa.»

Doux-amer

L'esprit du livre est d'ailleurs doux-amer, faussement léger et se refuse à tout apitoiement. On peut y passer une nuit blanche devant le Spectrum avec Tessa pour acheter des billets pour le spectacle de Pearl Jam à l'auditorium de Verdun, participer à une vente de sucreries dans une école primaire, observer des vacances désastreuses en famille reconstituée sur la côte Est américaine ou assister à des funérailles bouleversantes.

Et à travers tout cela, Fanny Britt, qui adore les ruptures de ton et entretient une affection évidente pour les dialogues vraiment ciselés, nous parle aussi de la beauté du quotidien, qui «n'est pas aussi anti-amoureux» qu'on veut bien le prétendre, de l'invisibilité des mères de famille qui prennent de l'âge, des hommes capables d'aimer «qui ne sont ni des lâcheurs, ni des carpettes», des femmes qui vivent aussi des crises de la quarantaine, «mais dans le silence».

Tout cela fait avec un souci du détail, une ironie et un sens de l'observation réjouissants. Qu'est-ce que l'auteure de théâtre a apporté à la romancière?

«Le rythme, dit Fanny Britt, qui a redécouvert l'utilité du point-virgule, de la virgule et du point. C'est par le théâtre que j'ai appris que la musicalité est primordiale et que le rythme nourrit le propos. Il n'y a pas de plus beau compliment que de se faire dire par un acteur: "Ça se dit bien». Je veux la même chose pour le livre, que ce soit agréable, mais pas plat. Que les gens le referment en disant: «C'est l'fun à lire».»

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Les maisons. Fanny Britt. Cheval d'août, 234 pages.