Quatre ans de recherche et d'écriture. Pour célébrer ses 40 ans de vie littéraire et son 15ouvrage, Paul Ohl vient de publier Les fantômes de la Sierra Maestra, un roman de plus de 700 pages qui relate les péripéties de la révolution cubaine.

À l'aube de quatre décennies d'écriture, Paul Ohl a invité quatre grands personnages du XXsiècle à se mettre à table: Fidel Castro, les deux Ernest - Hemingway et Che Guevara - ainsi que Jean-Paul Sartre. Des hommes plus grands que nature dans un décor explosif: Cuba entre 1949 et 1959.

Le récit décrit les diverses rencontres qui ont eu lieu entre ces personnages historiques et s'arrête, le 2 janvier 1959, à la victoire des troupes de Fidel Castro.

«Je ne suis pas pour ou contre la révolution cubaine, dit d'entrée de jeu l'écrivain de 74 ans. Mon livre ne traite pas de ce qui s'est passé après cette date. Tout ce que je peux dire à la lumière des faits est que la révolution cubaine a été voulue et qu'elle était la nécessaire libération d'un peuple.»

Pour en rendre compte avec rigueur, l'auteur a multiplié les recherches: il a consulté 80 ouvrages, dont 18 biographies, plus de 6000 pages de documents, dont certains ont été rendus publics par le gouvernement américain après un délai de 50 ans, visionné des photos et des vidéos et fait 25 entrevues, dont une rencontre avec la journaliste Marta Rojas, aujourd'hui octogénaire, qui a été la première à rapporter les balbutiements de la révolution cubaine un certain 26 juillet 1953.

Toutes les rencontres entre les personnages principaux du livre ont donc réellement eu lieu; seuls les dialogues ont été inventés.

«J'avoue que j'ai eu la chienne pendant un moment, souligne le romancier. Après tout, qui suis-je pour raconter ce qui s'est dit entre Sartre et Hemingway, entre Castro et Guevara? Pour rester le plus authentique et le plus crédible possible, j'ai longtemps étudié le profil psychologique des personnages.»

Hemingway

Personne ne sera étonné de retrouver un Hemingway bourru, colérique, mais profondément déchiré quand il est question de son engagement envers Cuba, où il a vécu pendant plus de 20 ans.

«Son conflit personnel, je crois, est qu'il se demandait s'il pouvait refaire pour Cuba ce qu'il avait fait pour l'Espagne en écrivant Pour qui sonne le glas? croit Paul Ohl. Il a donné un coup de main à la révolution, en cachant des armes, notamment. En 1959, de retour à La Havane, il a embrassé le drapeau cubain en déclarant «nous allons gagner». Mais le gouvernement des États-Unis l'a forcé à choisir et il y est retourné avant de se suicider en 1961.»

Il dit vouer une grande admiration à celui qui a inventé le nouveau roman américain, au style réel et cru, tout comme il est fasciné par l'autre Ernest, soit Ernesto «Che» Guevara. Le titre de travail du livre était d'ailleurs

Ernest/Ernesto.

«Guevara ne parlait pas beaucoup, il était d'un naturel gêné, raconte M. Ohl. C'était un homme de réflexion qui est passé à l'action. Son asthme lui causait beaucoup de soucis. Il s'était donné pour mission de changer le monde, sachant que sa vie pouvait se terminer la seconde suivante. C'était un personnage fascinant qui s'est mis au service de la révolution.»

Castro

Au centre de la révolution cubaine et du livre se dresse évidemment l'invincible Fidel Castro. Celui qui aurait pu mourir dès 1953 à Santiago lors de la célèbre attaque-suicide de la Moncada, qui a été en prison, puis exilé au Mexique, qui est revenu à Cuba pour finir ce qu'il avait commencé, a été un moment tenu pour mort par le régime Batista et enfin «ressuscité» en sauveur de la nation.

«Il est important de savoir que Castro s'opposait à son père, un riche propriétaire terrien, et qu'il a été avocat, formé par les jésuites, note l'écrivain. Il s'est dit révolutionnaire par vocation, mais il n'avait rien d'un vulgaire ou grossier personnage. C'était un grand tribun, d'une élocution parfaite.»

Quant à Sartre, Paul Ohl s'est amusé, entre autres choses, à décrire la rencontre entre le philosophe français et l'immense Hemingway en 1949. Mais il y a plus.

«Sartre a rencontré Guevara lorsqu'il est retourné à Cuba en 1960, à l'invitation de Castro, et il a dit du Che que c'était l'homme le plus complet qu'il lui ait été possible de rencontrer dans sa vie. Sartre était obsédé par le racisme, ce qu'il avait constaté lors de sa première visite à Cuba.»

Paul Ohl est lui aussi obsédé par les histoires d'exploitation et d'esclavage. Il en a tiré deux romans, soit Soleil noir et Black, qui l'ont mis sur la trace de Cuba. Avec Les fantômes de la Sierra Maestra, il a l'impression de compléter sa trilogie.

«Mon roman ouvre une porte et une fenêtre sur une période de 10 ans assez excitante. Nous avons des liens avec Cuba puisque le Canada n'a jamais rompu avec le pays, contrairement aux Américains. Un demi-million de Québécois y vont tous les ans. J'espère que le livre fera sentir cette proximité particulière et qu'il permettra de découvrir un autre Cuba.»

Les fantômes de la Sierra Maestra

Paul Ohl

Libre Expression

755 pages

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