Alexandre Jardin est très clair: depuis 2011, il a troqué sa gaieté, souvent simulée, pour la joie. La joie née de l'authenticité, de la révélation, du «dit à voix haute», de la relation humaine rétablie une fois le «méchant» sorti. Son message dans Joyeux Noël: osez les vérités odieuses mais inespérées, éliminez les angles morts. Les angles morts? Explication en page 31 de Joyeux Noël: «Mes secrets me construisent, mes angles morts me détruisent».

«Parce qu'ils détruisent toute relation, toute communication», explique Alexandre Jardin au bout du fil. «Tenez, je vais vous donner un exemple personnel, reprend avec entrain le jeune homme de 47 ans. J'ai dernièrement eu des problèmes financiers importants. J'ai évidemment reçu une lettre de ma banque, que je refusais de lire: j'avais tellement honte! Et puis, un moment donné, je me suis dit que je ne pouvais pas avoir écrit Joyeux Noël et agir ainsi. J'ai donc réuni toutes les factures en souffrance et la lettre de la banque, j'ai appelé mes quatre enfants et ma femme, et je leur ai proposé que nous décachetions ensemble toutes ces enveloppes!

«Ça n'a rien changé à mes problèmes financiers, précise-t-il en riant, mais nous avons enfin pu en parler. Chercher ensemble des solutions? Oui, mais surtout en discuter. Et la honte que je ressentais s'est évanouie, de même que l'isolement qu'elle engendrait, vous comprenez? J'ai recréé la relation, la communication avec mes proches en éliminant cet angle mort.»

Au bout de la démarche

Joyeux Noël va jusqu'au bout de cette démarche. Et Jardin jure sur la tête de son quatuor d'enfants que ce roman-récit-journal intime est inspiré d'une histoire vraie. En 2011, lors d'une séance d'autographes à Nantes, une jeune femme, «étrange vestale de la transparence», lui demande de dédicacer son exemplaire du récit Des gens très bien «à Norma Diskredapl, violée à l'âge de 6 ans» ! Elle remet à un Jardin estomaqué un dossier qui relate la vie de sa famille hautement dysfonctionnelle, elle répond à ses questions, et Joyeux Noël prend vie, prend forme.

On y découvre un joyeux bordel, non seulement narratif, mais stylistique: protéiforme, le livre comprend un arbre généalogique, une présentation détaillée des personnages (très Feydeau par le ton), le récit de la rencontre avec la fameuse Norma (nom fictif mais histoire «vraie»), le roman qu'elle a inspiré à l'auteur (avec quelques références au Québec!), enfin un épilogue où Jardin se dévoile, dans tous les sens du terme: revenus, privilèges, photo nue, lettres, etc. Fondamental, cet épilogue, puisqu'il justifie en quelque sorte le livre.

Roman de transition, où la volonté d'authenticité se colletaille avec un style «ultra-jardinesque», où la justesse du propos se bat avec l'excès de métaphores chères à Alexandre Jardin depuis ses débuts en 1986, Joyeux Noël n'est pas l'oeuvre la plus aboutie de l'auteur. Mais c'est certainement celle qui nous force à nous interroger sur notre propre vie. Sur les «pages de droite» où nous racontons la version officielle et respectable de notre quotidien. Et sur les «pages de gauche», où il faut oser en donner la version la plus authentique possible, au mépris du qu'en-dira-t-on.

C'est cette même démarche qui a poussé Jardin à proposer deux couvertures à son livre: sous la jaquette quasi kitsch, bariolée, très «roman vendu en grande surface» et rigolote, se trouve l'habituelle couverture jaune classique et «classe» des éditions Grasset. Détail, vétille, coquetterie? «Non, c'est parce que j'assume fièrement d'être un auteur qui vend, même si c'est très mal vu de dire ce genre de choses», répond Jardin avec grâce, d'un ton grave, doublé de joie.

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Joyeux Noël. Alexandre Jardin. Grasset, 341 pages.

EXTRAIT JOYEUX NOËL

«Bannie de son île, Norma se convertit à un optimisme sans cause ni fondement. Les joies de l'existence, elle en avait raffolé et y tiendrait toujours, mais Norma leur préférait désormais la joie pas celle fragile et fugace, qui alterne avec les peines mais plutôt celle qui relève d'une disposition constante à savourer les faits comme ils sont, en leur ôtant leur nocivité. Au triste déni, Norma répondit par un effort d'allégresse.»