Parmi les sorties BD récentes, voici cinq albums qui ont retenu l'attention de notre chroniqueur.

Un noeud gordien

Un classique instantané! Un sans-faute! Si le second tome se révèle du même calibre, ce diptyque trouvera une place de choix dans les bibliothèques, tout près de Robert Ludlum et John Le Carré.

À l'instar des meilleurs romans du genre, ce drame d'espionnage ne repose pas sur les fusillades ni les courses-poursuites. C'est d'abord une guerre de nerfs. Un noeud gordien comme les deux maîtres savaient si bien les nouer: un médecin appelé d'urgence au chevet d'Himmler devient rapidement son confident. Son libre accès au numéro deux nazi le rend toutefois suspect aux yeux de la Gestapo. Qui est ce docteur qui fréquente les intellectuels hollandais et qui possède ses entrées à l'ambassade de la Finlande?

D'apparence bien simple, cette intrigue à tiroirs devient vite un haletant jeu du chat et de la souris. Au fil des planches se succèdent les regards emplis de haine, de folie, de courage et de peur. Le trait acéré et le coloriage sans nuances évoquent à perfection cette époque manichéenne où il fallait choisir son camp. Seul Kersten demeure un personnage empli d'ombres.

* * * * 1/2

Kersten, médecin d'Himmler (tome 1) -  Pacte avec le mal. Patrice Perna et Fabien Bedouel. Glénat, 48 pages

La mort lui va si bien

Bonne nouvelle, le duo Meyer-Dorison est de retour, et en bonne forme! Après son incursion chez les Vikings (Asgard, Dargaud), il propose cette fois-ci un western dans la plus belle tradition du genre.

Un mystérieux croque-mort, étrangement habile à se battre, doit organiser les funérailles d'un richissime propriétaire minier. L'agonie du maître de la ville attise l'appât du gain chez sa garde rapprochée et fait souffler un vent de révolte chez les mineurs trop longtemps exploités. Coincé dans l'engrenage, l'intrigant fossoyeur doit dévoiler pourquoi la mort lui va si bien.

Tout au long de ces 56 pages denses et bien rythmées, Dorison garde le lecteur en haleine avec un scénario empli de mystères, des personnages peu originaux, mais à la personnalité forte, et d'incisifs dialogues teintés d'humour.

Meyer, lui, se fait l'héritier de Giraud (Blueberry) et de Derib (Buddy Longway) par le classicisme de son dessin réaliste, ses traits gras et ses ombres portées. Au final, un album parfaitement exécuté qui ne tombera pas dans l'oubli. Un petit bijou.

* * * *

Undertaker (tome 1) - Le mangeur d'or. Ralph Meyer et Xavier Dorison. Dargaud, 56 pages.

L'ennemi est à nos portes

Même si elle se savait recherchée par les nazis, l'écrivaine juive russo-française Irène Némirovsky a consacré les derniers mois de sa vie à ce roman choral sur la fuite des Parisiens devant l'invasion allemande de 1940.

Paniqués, aristocrates, bourgeois et ouvriers s'étaient rués dans les gares et sur les routes pour éviter le pillage. Au-delà d'une histoire de guerre, la romancière relate d'abord cette collision de classes sociales qui, d'ordinaire, se méprisent sans se voir.

Découverte par Bernard Grasset en 1929, Némirovsky était reconnue pour la construction soignée de ses personnages et sa scénarisation cinématographique. Emmanuel Moynot, un protégé de Jacques Tardi (on ne s'étonnera pas de la parenté de style), lui fait honneur.

Il puise à bon escient dans les descriptions précises des lieux, des événements et surtout des rapports sociaux des Français faites par Némirovsky pour «filmer» des scènes complètes en quelques planches bien tassées.

Par une économie de moyens, tout en nuances de gris, il parvient à rendre avec justesse la texture complexe de cette étude de moeurs empreinte d'une lucidité effarante.

* * * 1/2

Suite française - Tempête en juin. Emmanuel Moynot. Denoël Graphic, 220 pages.

Le fil du temps

Cet album frappe l'imagination. C'est une boîte de puzzle dont les pièces, toutes mélangées, sont disséminées à travers ses 300 pages.

McGuire fournit la toile de fond: le plan fixe d'un salon d'une maison ancestrale. Par un brillant jeu de cases, il raconte les événements survenus dans cette pièce au fil des décennies, voire des siècles, par l'ajout de scènes de jeux d'enfants, de fêtes familiales, de disputes conjugales et de catastrophes naturelles.

Ce sont des dizaines d'histoires dans l'Histoire. D'approche déconcertante, cette narration déconstruite risque de provoquer l'ennui dans les premières pages. Mais le jeu s'enclenche rapidement et la magie opère soudainement.

Du chaos surgit un sens diffus sur l'importance du moment présent, la vanité de notre existence, l'arrogance de l'humain, les devoirs de mémoire et la puissance de la nature.

La répétition provoque la réflexion, celle-ci favorisée par une clarté esthétique irréprochable. McGuire a parfaitement codifié chaque époque par des variations de couleurs, de flous et de netteté, ou encore de techniques de dessin. Une réussite sur le fond et la forme.

* * * 1/2

Ici. Richard McGuire. Gallimard, 304 pages.

Jeux de pouvoir

Les amateurs d'histoire militaire connaissent ce fait d'armes survenu au début de la Première Guerre mondiale: alors que des troupes allemandes s'apprêtent à envahir Paris, un général français fait preuve d'innovation en réquisitionnant de 600 à 700 taxis pour déplacer rapidement des forces fraîches et sauver la capitale.

Comment ces quelques milliers de fantassins ont-ils pu, ces deux jours-là de septembre 1914, mettre en échec une armée entière? Le Naour ne le raconte pas. Déception.

Ce spécialiste du conflit 14-18 avait pourtant su dénoncer avec émotion le massacre de 10 000 soldats français dans La faute au Midi (Bamboo, 2014). Mais cette fois-ci, il se tient loin des champs de bataille pour se cantonner dans les officines de l'état-major et observer de désastreux (et ennuyeux) jeux de coulisses. Les fameux taxis n'apparaissent qu'à l'avant-dernière planche!

Le dessin impersonnel et didactique de Plumail, dénué d'expression, n'arrange rien. Si les personnages restent de marbre devant la pluie d'obus allemands, il ne faut pas s'étonner que cet album provoque le même effet dans nos salons.

* * 1/2

Les taxis de la Marne - Septembre 1914: Quand la France devait perdre la guerre. Jean-Yves Le Naour et Claude Plumail. Bamboo Éditions, 56 pages.