Le sexe d'un lecteur influence-t-il ses choix littéraires? Papa lit-il moins que maman? À deux jours de la fête des Pères, nous avons enquêté sur les pratiques de lecture des hommes - qu'ils soient papas ou pas! Oui, ils achètent moins de livres et lisent moins de romans que les femmes. Mais ils ne lisent pas nécessairement moins pour autant.

Si on se fie aux sondages, les hommes lisent moins que les femmes, qui abandonnent elles-mêmes progressivement les livres. Or, nous n'avons jamais autant lu qu'à notre époque. Un paradoxe?

Dans le dernier sondage sur les pratiques culturelles des Québécois, publié par le ministère de la Culture en 2009, 46% des hommes disent lire des livres au cours d'une année, comparativement à 64% des femmes. De plus, selon un autre sondage - commandé cette fois-ci par l'organisme Booknet Canada -, les hommes achètent moins de livres que les femmes (43% contre 57%).

Alors, que lit papa (ou son fils) aujourd'hui? Il ne lit plus?

«Au contraire. On lit de manière générale bien plus qu'on n'a jamais lu dans les sociétés occidentales. Les gens s'écrivent entre eux, lisent sur Facebook, sur internet, les journaux gratuits, les magazines en ligne. Bref, on lit moins de livres, certes; le nombre de grands lecteurs diminue aussi. Mais on lit, et c'est aussi vrai pour les hommes», explique Anthony Glinoer, professeur au département des lettres et communications de l'Université de Sherbrooke.

Les chouchous des hommes

Mais quand les hommes lisent un bon vieux livre, que lisent-ils?

«Ken Follett! La dernière trilogie de Ken Follett, c'est impressionnant, le succès qu'elle a auprès des clients masculins», lance spontanément Jeanne Lemire, directrice générale de la librairie Paulines, dans le quartier Rosemont.

Ce n'est pas étonnant, quand on y songe. Dans sa dernière trilogie Le siècle, l'auteur britannique s'inspire de l'Histoire, mais aussi de l'univers de l'espionnage et du crime organisé. Et les lecteurs masculins aiment particulièrement l'histoire, l'espionnage et le crime organisé, constate-t-on dans le sondage sur les pratiques culturelles des Québécois. Avec Ken Follett, ils ont droit en plus à des histoires d'amour fou, des épisodes sentimentaux et quelques scènes plus torrides, entremêlés de pans de l'Histoire avec un grand H.

Selon les libraires et les bibliothécaires que nous avons interviewées, les hommes apprécient aussi particulièrement les romans policiers. «Les femmes aussi, dit Mme Lemire, mais les hommes aiment les policiers un peu plus hard! Et cela représente 50% de nos ventes à nos clients masculins.»

Pour emporter ou sur place?

Le constat est le même du côté des bibliothèques. «Les romans policiers plaisent aux deux sexes, mais les hommes préfèrent ceux qui ont une connotation d'espionnage, de technologique et de complot», constate Viviane Belleau, responsable des bibliothèques Gabrielle-Roy et Sylvain-Garneau, à Laval.

Leur rapport aux bibliothèques est également différent. Selon une enquête menée par la maison de sondage Environics, il y a deux ans, 44% des Canadiens interrogés empruntaient des livres à la bibliothèque, comparativement à 53% des Canadiennes. Sauf que...

«Cette différence tient notamment au fait que les hommes qui fréquentent les bibliothèques font la lecture sur place, explique la bibliothécaire lavalloise Viviane Belleau. Ce sont de grands lecteurs de périodiques, de périodiques techniques sur des thématiques précises: la photo, les jeux vidéo, la mécanique, les magazines comme Québec Science, Popular Mechanics, Road&Track... Ils lisent énormément de journaux aussi, de quotidiens surtout. Les hommes lisent donc sur place ce type de documents, alors que les femmes vont plutôt emprunter un livre et le lire chez elles.»

À chaque sexe, son genre?

Comment se fait-il que les différents genres littéraires se répartissent différemment entre les deux sexes? «Quand on remonte le fil de l'histoire, on s'aperçoit qu'il y a toujours eu des genres littéraires associés aux hommes et aux femmes. Depuis toujours, les lectures dites "sérieuses" comme les ouvrages politiques et d'histoire, sont associées aux hommes, alors que la littérature de divertissement, comme les romans, est associée aux femmes», résume Anthony Glinoer.

Or, selon le professeur, il s'agit avant tout d'une question de marketing. Pour comprendre le phénomène au-delà des clichés, mieux vaut le décortiquer et l'analyser d'un point de vue sociologique, dit-il.

Ainsi, à la sortie d'un livre, tout commence par le marketing, qui dicte le design de la page couverture. À qui s'adresse-t-on? Une simple promenade dans une librairie est instructive: une couverture «neutre», sans flafla, est généralement conçue à l'intention des hommes. Au contraire, une couverture avec des couleurs vives et des fleurs vise d'abord les femmes.

Dans la même optique de marketing, à quels magazines, revues et journaux les auteurs vont-ils accorder des entrevues? Les romanciers -- et particulièrement les romancières - sont le plus souvent interviewés par les magazines dits «féminins». Or, explique M. Glinoer, quand bon nombre de femmes (ou d'hommes) lisent un même livre présenté par une revue «féminine» (ou «masculine»), d'autres lecteurs du même sexe voudront le lire, ce qui provoque un effet d'entraînement pour les lecteurs du même genre et d'exclusion pour ceux du sexe opposé.» 

Pour le moment, par leur nombre et la nature de leurs lectures, les hommes lisent de façon différente que les femmes. Mais les choses pourraient changer: il y a quelques années, de jeunes lecteurs masculins ont lu avec avidité les Harry Potter et autres Amos Daragon de ce monde. Ce lectorat est actuellement aux études et a délaissé temporairement la lecture «pour le plaisir».

Dans quelques années, renoueront-ils avec les romans? Liront-ils plus que leur père? Comme le conclurait tout bon roman d'aventure, de science-fiction ou d'espionnage: à suivre!