Les banques ont renoué avec les gros profits, mais les taux d'intérêt qu'elles proposent ne sont pas encore retournés au niveau d'avant la crise financière. En matière hypothécaire, les marges des prêteurs restent aujourd'hui plus importantes qu'avant la crise. Les banques plaident que leur coût de crédit reste plus cher qu'avant les soubresauts des marchés financiers.

Il y a deux semaines, Ottawa a administré une troisième dose de calmants au marché immobilier qui a été plus fou que jamais en 2010. Annoncées en janvier dernier, les nouvelles règles entourant les prêts hypothécaires sont entrées en vigueur le 18 mars.

Tout d'abord, la période d'amortissement maximale d'une hypothèque a été ramenée de 35 à 30 ans pour les nouveaux acheteurs. Comme il faudra rembourser plus vite, les versements seront plus élevés (voir tableau).

Pour une hypothèque de 300 000$ à 5% d'intérêt, la mensualité s'élève à 1601$ en amortissant sur 30 ans, par rapport à 1504$ en amortissant sur 35 ans. Les nouveaux acheteurs devront donc verser environ 100$ de plus par mois, soit 1200$ par année.

La bonne nouvelle: la réduction de la période d'amortissement permet d'économiser plus de 55 000$ en intérêts sur toute la période.

La moins bonne nouvelle: le budget des nouveaux acheteurs n'est pas élastique. «Pour l'acheteur qui avait un budget plus serré, cela pourrait avoir un impact: la maison qu'il va acheter va peut-être être un peu plus petite que ce qu'il avait prévu», dit Éric Meunier, directeur principal solutions hypothécaires à la Banque Nationale.

Ceux qui ne veulent pas dépasser des versements de 1500$ devront prévoir une hypothèque d'environ 282 000$ au lieu de 300 000$, soit 6% de moins. Autrement dit, ils devront viser une maison qui coûte environ 18 000$ de moins.

Si les taux d'intérêt remontaient de 5% à 6%, par exemple, les mensualités bondiraient à 1784$. Pour maintenir des paiements de 1500$, il faudrait alors s'en tenir à une hypothèque de 253 000$.

Bref, les nouveaux acheteurs devront se serrer la ceinture, y compris ceux qui avaient demandé un prêt préautorisé avant le 18 mars. Pour que les anciennes règles s'appliquent, la transaction doit réellement avoir eu lieu avant la date butoir.

Par contre, il n'y a rien à craindre pour les propriétaires actuels, notamment ceux qui ont contracté une hypothèque amortie sur 35 ans, ou même 40 ans puisque cela était possible entre 2006 et 2008.

«Ils n'auront pas à revenir à une période d'amortissement de 30 ans, même lorsqu'ils renouvellent leur prêt. Ils peuvent continuer dans les règles définies au départ», assure M. Meunier. Personne ne sera acculé au mur.

Refinancement plafonné

Ottawa a aussi revu les règles pour les refinancements hypothécaires. «Cela touchera surtout les gens qui regroupaient leurs dettes», prévoit Denis Doucet, directeur régional du courtier hypothécaire Multi-Prêts.

Avec la hausse du prix des maisons, bien des propriétaires dans une situation financière difficile parvenaient à sauver les meubles en consolidant leurs dettes (carte de crédit, prêt personnel, etc.) et en réhypothéquant leur maison.

Jusqu'ici, ils pouvaient refinancer jusqu'à 90% de la valeur de leur maison. Maintenant, ils doivent se limiter à 85%.

Dans le cas d'une maison de 300 000$, ils doivent donc s'en tenir à une hypothèque de 255 000$, alors qu'ils pouvaient réemprunter jusqu'à 270 000$ avec l'ancien plafond de 90%. C'est 15 000$ de moins.

«C'est une solution qui leur permet de conserver leur maison et d'assainir leurs finances personnelles. Peut-être qu'une partie de ces gens-là vont devoir se résoudre à vendre leur maison», dit M. Doucet.

Pour les propriétaires qui ont un peu de marge de manoeuvre, il vaudra vraiment mieux s'en tenir à un refinancement hypothécaire qui n'excède pas 80% de la valeur de la maison, afin d'éviter de payer la prime d'assurance prêt hypothécaire, obligatoire passé ce seuil.

En refinançant jusqu'à 85% une maison d'environ 400 000$, il est possible d'aller chercher presque 20 000$ de plus qu'en se limitant à 80%. Mais il en coûtera plus de 2600$ en prime d'assurance prêt (ex: 3,5% sur un montant réemprunté de 75 000$). C'est sans compter plus de 2400$ en intérêts sur 30 ans, puisque cette prime est généralement ajoutée à l'hypothèque. Coût total de la prime: au-delà de 5000$.

«Grosso modo, pour obtenir 20 000$ de plus, ça va coûter 5000$ de prime. C'est le quart de la somme qu'il faut débourser en frais supplémentaires», calcule M. Doucet. Vraiment pour ceux qui n'ont pas le choix...

La fièvre baisse

«Les nouvelles mesures du gouvernement fédéral devraient tempérer légèrement le marché de l'habitation», prévoit Hélène Bégin, économiste principale aux Études économiques Desjardins.

Déjà, le secteur résidentiel commence à se refroidir à cause de plusieurs autres facteurs: remontée des taux hypothécaires, baisse des mises en chantier, ralentissement des ventes de maison existantes.

La fièvre redescend. Les surenchères se font d'ailleurs plus rares. Mais Mme Bégin ne craint pas de chute brusque du marché, car l'économie se porte bien.

Kevin Hughes, économiste principal pour le Québec à la Société canadienne d'hypothèques et de logement, est du même avis: «Après une grosse année en 2010, dit-il, nous anticipons une baisse de régime dans la construction neuve et une stabilisation sur le marché de la revente.»

Taux d'intérêt / Mensualité (amortissement de 35 ans)/ Mensualité (amortissement de 30 ans)/ Augmentation de la mensualité / Économie d'intérêt sur toute la période

4% /1322 $ /1427 $/ 105$ /41 850$

5% /1504 $/ 1601 $/ 97 $/ 55 404 $

Source : ministère des Finances du Canada