On l'a crié sur toutes les places publiques: comme aucune nouvelle aciérie ne semble vouloir se construire au Québec pour transformer les montagnes de fer qu'on va extraire dans le cadre du Plan Nord, il va de soi que le Québec ne retire pas sa juste part des retombées. Ce fer deviendra de l'acier ailleurs et la lucrative valeur ajoutée va nous échapper.

Or, certains contestent cette vision des choses. Frédéric Chevalier est de ceux-là. Le directeur général du Réseau de la transformation métallique du Québec est loin d'être convaincu que la meilleure chose qui puisse arriver au Québec soit une nouvelle aciérie ou deux.

«Ce n'est pas que je sois hostile à ce genre de retombées, loin de là. Mais regardez le contexte nord-américain de l'aciérie, dit-il. Depuis près de cinq ans, les aciéries américaines tournent bien en deçà de leur capacité. Avec toute cette capacité inutilisée, en rajouter par-dessus le marché me semble irresponsable. Ce serait comme de créer un Gaspésia de l'acier, un enfant moribond à la naissance.»

Le 13 mars dernier, le Metal Bulletin, la bible de l'industrie métallurgique mondiale, annonçait que les aciéries américaines tournaient en moyenne à 79,3% de leur capacité, le niveau le plus élevé depuis 2008. Reste donc près de 20% de capacité encore inutilisée.

«Et en 2011 la production américaine d'acier a été inférieure de 12 millions de tonnes à celle de 2007», ajoute Frédéric Chevalier.

Oui, mais la phénoménale demande chinoise ou indienne? La World Steel Association le confirme: la production chinoise d'acier est passée de 494,9 millions de tonnes en 2007 à 683,3 tonnes en 2011. Ne pourrait-on pas leur fournir quelques dizaines de tonnes nous-mêmes?

La réponse de Normand Champigny, président du conseil de Minalliance est claire. «La transformation métallique se fait généralement près des marchés.»

Conclusion, les Chinois, comme les Indiens d'ailleurs, ont besoin de minerai de fer et de boulettes. Pas qu'on leur expédie de l'acier et des factures de transport prohibitives.

Une autre voie

Frédéric Chevalier maintient qu'en attendant une puissante reprise de la demande américaine pour l'acier, de juteuses retombées attendent quand même les transformateurs de métaux. Tout d'abord, dans la construction des usines minières de concassage et de premier traitement du minerai.

«Il faut encourager les alliances entre les fournisseurs actuels des sociétés minières et les entreprises du sud qui ont des expertises complémentaires et de la capacité de production, dit-il. Il faut identifier les services et les équipements que nous ne faisons pas, mais que nous serions capables de faire. Il ne faut pas créer de la concurrence entre nos entreprises, mais des dynamiques de coopération pour gagner les appels d'offres.»

Bref, nous devons apprendre à construire les immenses mines de l'avenir et cela repose sur un virage stratégique de notre filière de transformation métallurgique. «Nous devons aussi penser à devenir les champions de l'entretien des équipements de traitement, concasseurs et autres, ajoute M. Chevalier. Pensez que les nouveaux grands projets vont s'assortir de budgets supplémentaires de 1 à 2 milliards annuellement juste pour l'entretien et la correction des pannes. Nous devons hausser notre compétence au niveau qui permettra à l'industrie métallurgique québécoise, au nord comme au sud, de s'installer dans ce créneau.»

Est-il trop tard pour ce retournement? «Absolument pas, répond Nochane Rousseau, directeur, Plan Nord, chez PricewaterhouseCoopers. On parle d'un Plan de 20, de 40 ans. Nous ne pouvons pas nous traîner les pieds, mais le virage peut se faire.»