La participation à la Conférence de Québec de William H. Draper, troisième du nom, était sa seconde visite dans la ville historique. Son père l'y avait amené en 1934 lors de vacances familiales. Sur le chemin du retour, après deux heures de route, sa mère avait brandi un cendrier émaillé au nom du Château Frontenac, qu'elle avait subtilisé en guise de souvenir.

William Draper père a immédiatement fait demi-tour et est revenu au célèbre hôtel pour demander si l'objet pouvait être gardé en souvenir. Le concierge a répondu qu'il en coûterait cinq dollars.

Son père, banquier très à l'aise, aurait très bien pu régler la question à distance, raconte le fils, mais il voulait ainsi donner une leçon de scrupuleuse honnêteté à ses enfants, au prix de quatre heures de route supplémentaires (et de l'humiliation maternelle).

La leçon entendue

La leçon n'a pas été perdue. Le souvenir est marqué au fer rouge dans la mémoire de William Draper et l'éthique est demeurée l'une des valeurs cardinales de cet investisseur en capital-risque. Elle fait partie des qualités essentielles qu'il recherche chez un entrepreneur.

«Il doit avoir une vision, doit porter attention aux détails, et doit avoir de l'empathie, exprime-t-il. Il doit pouvoir se mettre à la place des membres de son équipe ou de ses clients.»

Bref, quand M. Draper rencontre un entrepreneur, il est davantage intéressé par sa personnalité que par son plan d'affaires.

Pionnier de Silicon Valley

À la fin des années 50, William Draper III s'était joint à la firme fondée par son père, la première société de capital-risque à s'établir dans Silicon Valley - à l'époque plus connue pour ses vergers que pour héberger Apple.

Leurs bureaux étaient situés sur le campus de l'Université Stanford, qui allait être le moteur de la créativité technologique de la fameuse vallée.

L'époque était formidable: «Des emplois étaient créés et on avait beaucoup de plaisir... et de retour sur l'investissement.»

William Draper III a rapidement décidé de voler de ses propres ailes. En 1964, il a été un des cofondateurs de Sutter Hill Ventures. Après un passage de huit ans dans le service public, il est revenu au capital de risque en 1994.

Quelle est l'entente dont il est le plus fier? «Financièrement, la plus rentable a été Skype, répond-il.

Mais celle qui a fait le plus grand bien au plus grand nombre de personnes a été notre investissement dans une petite entreprise appelée Corbin-Farnsworth, qui a mis au point le premier défibrillateur externe. Cet appareil a sauvé des millions de vies.»

À 84 ans, il est toujours actif dans le capital-risque, mais sous une forme peu courante. Il a fondé en 2002 la firme Draper Richards Capitals Foundation, qui finance des entreprises à vocation sociale.

Demi-siècle d'expérience

«Nous avons aidé à lancer une trentaine d'entreprises, dit-il. Une d'entre elles, que nous avons soutenu avec 100 000$, a maintenant un budget annuel de 40 millions de dollars, pour la construction d'écoles et de bibliothèques.»

De son demi-siècle d'expérience, M. Draper retient que les bons entrepreneurs et les bons investisseurs forment de solides équipes lorsqu'ils travaillent en commun. «Ils peuvent alors bâtir de grandes entreprises, observe-t-il. Le capital-risque n'est pas une affaire de revenus rapides.»

En effet, un investissement peut prendre jusqu'à 77 ans pour porter ses fruits. Lors de la Conférence de Québec, le directeur du Château Frontenac lui a offert un cendrier encadré, en souvenir de sa première visite, trois quarts de siècle plus tôt. Il l'a accroché dans son bureau: «Il est ici sous mes yeux», dit-il fièrement.