Les conducteurs nés dans les années 80 et 90 inquiètent les grands manufacturiers automobiles. Seulement 27 % des nouvelles voitures vendues en 2010 aux États-Unis ont été achetées par des consommateurs âgés de 21 à 34 ans, alors qu'ils représentaient 38 % des acheteurs de cette catégorie en 1985, selon une étude de R.L. Polk & Co. La situation est un peu différente au Québec même si les habitudes des jeunes consommateurs changent peu à peu.

Des habitudes qui changent

En plus de s'inquiéter des tendances d'achat de la génération Y, Toyota, GM, Ford et leurs compétiteurs sont préoccupés par une autre statistique : moins de la moitié des conducteurs potentiels âgés de 19 ans et moins avaient un permis de conduire en 2008 aux États-Unis, alors qu'ils étaient près des deux tiers, une décennie plus tôt.

Chez nous, les données de l'Institut de la statistique du Québec révèlent une diminution de 0,4 % des titulaires de permis de conduire âgés de 16 à 19 ans, entre 1998 et 2008. Les statistiques locales sur la possession de voiture ne sont pas non plus alarmantes pour les constructeurs automobiles. Selon l'Agence métropolitaine de transport, on note une diminution de 1,2 % des propriétaires de voitures chez les 25-29 ans entre 2009 et 2014.

L'exception québécoise

Même si les jeunes Québécois continuent d'acheter des voitures, ce produit n'occupe plus la même place qu'autrefois dans leur imagination. « L'achat d'une automobile représente moins un rêve à atteindre qu'il y a 30 ans, confirme Luc Arbour, vice-président, service-conseil, pour l'agence Bleublancrouge. Aujourd'hui, dans les grands centres urbains, les jeunes ont accès à tant de solutions de rechange : transports en commun, BIXI, Communauto, Car2Go, les réseaux de pistes cyclables qui se développent de plus en plus et qui sont, pour la plupart, accessibles de huit à neuf mois par année. »

D'ailleurs, bien des citoyens s'établissent en fonction du cocktail de transports. 

« De plus en plus de gens sont dépendants des transports collectifs par choix, même s'ils ont les moyens d'acheter une voiture. Ils n'en ont pas envie ou pas besoin », dit Ugo Lachapelle, professeur au département d'études urbaines et touristiques de l'UQAM.

Par contre, il n'est pas toujours simple de se déplacer en transports en commun, surtout en banlieue. « C'est plus improbable de bien vivre sans voiture dans les couronnes nord et sud de Montréal. Les gens y sont dépendants de leur propre capacité motrice à se déplacer, de l'offre de transport alternatif et de ses rayons d'action », estime Florence Paulhiac, titulaire de la Chaire de recherche-innovation en stratégies intégrées transports-urbanisme à l'UQAM.

Voiture toujours populaire en région

Lorsqu'on analyse les habitudes des jeunes dans le reste du Québec, des nuances s'imposent. Ayant peu ou pas d'options de rechange à la voiture, les 30 ans et moins sont encore nombreux derrière le volant. Et ce, même si beaucoup d'observateurs croient que, en ce qui concerne la vie sociale, les jeunes sont désormais comblés par les moyens de connexion de leurs appareils électroniques. « Certains prétendent que le WiFi est suffisant pour donner aux jeunes la liberté dont ils ont besoin, dit Ugo Lachapelle. Pourtant, ils veulent encore faire des activités et voir leurs amis en vrai. Et comme de nombreux jeunes vivent encore dans un territoire où ils n'ont pas accès aux transports en commun, la voiture demeure primordiale pour eux. »

En décortiquant la dernière Enquête sociale générale de Statistique Canada, le professeur Ugo Lachapelle et ses étudiants ont néanmoins confirmé que plus les utilisateurs vont fréquemment en ligne pour socialiser, plus leurs déplacements à des fins sociales diminuent. « Les jeunes branchés n'ont plus nécessairement besoin d'un véhicule pour se sentir libres ou exprimer leur personnalité », souligne le professeur. 

Ugo Lachapelle ne se gêne pas pour ajouter que le rapport des jeunes aux voitures est un phénomène complexe. À commencer par le fait que les jeunes vivent plus longtemps chez leurs parents qu'avant, ce qui leur permet d'utiliser la voiture familiale et de reporter l'achat de leur propre automobile. Ils paient également des forfaits de cellulaire oscillant entre 40 et 100 $ par mois : une dépense qui n'existait pas il y a 20 ans, et qui les oblige à faire des choix.

Sans oublier que les jeunes générations ne désirent pas toutes le style de vie de leurs prédécesseurs. « Ce n'est pas tout le monde qui veut une maison, un char, la clôture blanche, le chien et le conjoint, affirme le professeur en études urbaines. De plus en plus de gens acceptent de vivre dans des logements plus petits et sans cour arrière pour demeurer en ville, avec des commerces de proximité. » Dans ce contexte, la voiture est souvent perçue comme un élément superflu, voire un fardeau.

D'autre part, les jeunes sont davantage conscientisés aux changements climatiques planétaires. « Ils voient la voiture comme une sorte de pollution importante, qu'ils sont prêts à éviter », atteste-t-il.

La génération des sans-voiture

Si certains jeunes adultes ont un jour choisi de se défaire de leur voiture et de profiter des nombreuses solutions alternatives pour se déplacer, d'autres ont carrément passé leur vie sans en acheter. Trois membres de la génération Y racontent pourquoi ils préfèrent vivre autrement.

Alex Gauthier, 26 ans, Montréal

Élevé sur la Rive-Sud de Montréal, Alex a toujours habité dans un endroit où les transports en commun suffisaient à ses déplacements. « À Verchères, je faisais rire de moi à 19 ans, car je n'avais pas encore de permis de conduire. Mais ça n'a jamais été un problème pour moi. Je pouvais toujours me rendre où je voulais. »

Demeurant désormais à Montréal, il se déplace à vélo, sauf en hiver, et privilégie le métro le reste du temps. « Ç'a toujours été clair dans ma tête que je n'avais pas les moyens d'avoir une voiture. Il y a toujours un truc qui brise, une fenêtre électrique qui bloque ou une serrure qui gèle et qui te met en retard. Pour moi, c'est un fardeau. »

Quand une voiture s'avère nécessaire à ses activités, ce ne sont toutefois pas les options qui manquent. « Si je vais dans un chalet à l'extérieur de Montréal avec des amis, on se cotise pour louer une auto. Et si j'ai besoin de transporter quelque chose de volumineux, je demande à mes parents. C'est simple de même. »

Sophie Côté, 26 ans, Québec

Originaire de Sainte-Paule, près de Matane, Sophie a longtemps profité de la voiture familiale pour sortir de son petit village. Mais entre 2007 et 2015, vivant alors à Montréal, elle a choisi de se déplacer autrement. « Le métro et l'autobus me semblaient toujours moins chers, moins stressants et moins d'entretien. »

Comme elle a emménagé depuis peu à Québec, elle doit désormais s'ajuster. « C'est plus difficile, mais je m'arrange. Mon trajet d'autobus est plus long. Je dois partir plus tôt. Mon horaire est organisé en fonction de ça. Mais je ne voudrais pas plus d'une voiture. J'aime prendre les transports en commun pour avoir du temps dans ma bulle, malgré la marée de monde. Je peux décrocher jusqu'à ma destination. »

Ayant recours à sa soeur en de rares occasions pour faire des courses en voiture, Sophie a aussi l'habitude d'utiliser le système de covoiturage pour les plus longs trajets. « Je fais tous mes voyages en Gaspésie ou à Montréal avec Amigo Express. Si je suis dans le trouble, je vais prendre l'autocar. »

Une seule raison pourrait la convaincre de devenir propriétaire d'une voiture. « Je vais y penser si j'ai des enfants. Sinon, je préfère investir mes sous ailleurs. »

Simon Camirand-Contant, 28 ans, Montréal

Le vélo occupe une grande place dans la vie de Simon. « Dès qu'il n'y a plus de neige, je prends mon vélo pour aller au travail. Lorsqu'il pleut, c'est un peu dissuasif, mais j'ai des vêtements pour me protéger. Si, malgré tout, j'arrive détrempé, je m'arrange pour avoir un deuxième ensemble de vêtements au cas où. J'envisage même d'essayer le vélo d'hiver l'an prochain. »

Usager du métro, des autobus et des taxis depuis son arrivée à Montréal en 2008, il n'a jamais ressenti de manque, à l'époque où il vivait sur la Rive-Sud sans posséder de voiture. « Entre 15 et 20 ans, mes parents m'offraient souvent des lifts. Et comme étudiant, la passe à tarif réduit pour les transports en commun était vraiment intéressante. Ça me suffisait. »

Encore aujourd'hui, il ne possède pas de permis de conduire. « Même si je l'avais, je ne crois pas que je serais propriétaire d'une voiture. C'est trop de trouble pour le stationnement à Montréal. Je préférerais utiliser Car2Go ou Communauto pour mes grands déplacements. »

Oubliés par la pub?

Pour vendre des voitures, de nombreux publicitaires choisissent des visages qui interpellent davantage les membres de la génération X et les baby-boomers.

Il y a deux ans, Citroën a engagé l'acteur Ewan McGregor, alors âgé de 42 ans, pour jouer dans une publicité télévisée. Au Québec, Hyundai est associé depuis des années à Guillaume Lemay-Thivierge, depuis peu âgé de 40 ans, alors que Martin Matte a agi comme porte-parole de Honda jusqu'en 2013. Il avait alors 43 ans.

On pourrait même croire que les constructeurs sont en train de jeter l'éponge face aux acheteurs potentiels de 30 ans et moins. « Ils ont la volonté de rajeunir leur cible, mais ils n'offrent rien spécifiquement pour accommoder ou reconquérir les jeunes générations, explique Luc Arbour, vice-président, service-conseil, à l'agence Bleublancrouge. On observe bien sûr la stratégie universelle, qui consiste à afficher les plus petits paiements possible, comme GM avec ses tranches de 5,95 $ par jour pour un de ses modèles. Mais sinon, on utilise des moyens relativement traditionnels. »

De nombreuses publicités utilisent des codes qui résonnent davantage chez les 40 ans et plus, même afin de promouvoir des véhicules destinés a priori à de jeunes consommateurs. Par exemple, afin de vendre sa 208 GTI, une petite voiture sportive, Peugeot a utilisé l'image de la guitare électrique, puissant symbole des années 60, au lieu d'un DJ.

Quantité d'autres publicités mettent de l'avant la performance, la fiabilité, l'espace, la consommation d'essence, le prix et les fonctionnalités. Des éléments qui interpellent une cible plus âgée. « On voit tout de même des pubs de voitures hybrides qui parlent de l'empreinte écologique, un sujet cher aux plus jeunes, mais dans un cadre assez traditionnel, précise M. Arbour. N'empêche, les jeunes sont plutôt orientés sur le partage et l'expérience, des éléments émotifs qui sont moins souvent présents dans les campagnes publicitaires. »