On est bien loin de la frénésie de 2007 alors que les multinationales, les fonds d'investissement privés et les fonds souverains profitaient du crédit facile pour magasiner à coups de milliards à la Bourse. Il reste que la mode des fusions et acquisitions est bel et bien repartie depuis 2010.

Cette semaine, l'annonce de l'achat de la société de Vancouver TimberWest Forest Corp. par deux grandes caisses de retraite canadiennes - une affaire de 1 milliard de dollars - est le plus récent exemple de la nouvelle vague des fusions et acquisitions au Canada.

La semaine précédente, c'était la société chinoise Minmetals Resources qui faisait les manchettes en lançant une offre d'achat hostile de 6,3 milliards sur le producteur de cuivre Equinox Minerals. Si la transaction allait de l'avant, Equinox devrait abandonner son projet d'acquisition de Lundin Mining... qui venait tout juste de tenter un rapprochement avec Inmet Mining. Décidément, le marché est en ébullition.

Depuis le début de 2011, la valeur des transactions annoncées au Canada a bondi de 88%. En fait, les fusions et acquisitions visant des cibles canadiennes ont totalisé 22,7 milliards US au premier trimestre de 2011, par rapport à 12 milliards US au premier trimestre de 2010, selon les statistiques préliminaires fournies par la firme Mergermarket.

«C'est indicateur de la sous-évaluation des marchés. C'est très positif pour les titres», estime Luc Girard, directeur du Groupe de conseil en portefeuilles chez Valeurs mobilières Desjardins.

Il indique que les actions restent bon marché, malgré deux ans de remontée boursière. L'indice S&P 500 de la Bourse américaine s'échange à 12 fois les bénéfices des sociétés en 2012. Et l'indice S&P/TSX composé de la Bourse canadienne se négocie à 13 fois les bénéfices de 2012. «C'est très en deçà des évaluations historiques», précise M. Girard.

Sur une lancée

Les fusions et acquisitions devraient se poursuivre pour différentes raisons.

D'abord, les sociétés ont fait ce que les consommateurs doivent faire: se désendetter. «Le bilan financier des grandes entreprises n'a jamais été aussi bon. La crise a fait en sorte que beaucoup de sociétés ont rationalisé leurs activités. Et il y a eu peu d'investissement en capital parce que la confiance n'était pas là», explique Jean Duguay, premier vice-président, placement, et gestionnaire principal chez Gestion de placements Eterna.

Désormais, les coffres des entreprises débordent. «On approche d'un niveau de 6% d'encaisse par rapport aux actifs totaux. Un record. C'est très positif pour les sociétés qui pourront faire des acquisitions financées à l'interne», note M. Girard.

Mais, de toute façon, le financement reste bon marché. Les taux d'intérêt sont bas. Les banques remettent la roue du crédit en marche. «En 2008, il y avait beaucoup d'aubaines, mais il n'y avait plus de capitaux disponibles. Les banques ne se prêtaient même plus entre elles», rappelle M. Duguay.

Aujourd'hui, la confiance est revenue. Les patrons ont retrouvé le sourire. À preuve, l'indice Ivey des gestionnaires en approvisionnement a atteint un niveau de 73,2 en mars, qui témoigne d'un degré de positivisme élevé au Canada. Aux États-Unis, l'indice ISM a touché 61,2. «Il faut retourner au début 2000 pour observer un niveau de confiance aussi élevé», dit M. Girard.

Secteurs convoités

«Les secteurs qui ont les plus grandes chances de voir des fusions sont les secteurs cycliques: on parle des matériaux, de l'énergie, des industrielles. Aussi, la technologie qui a été complètement abandonnée par les investisseurs dans les années 2000», indique M. Girard.

Même son de cloche de la part de M. Duguay. «Je suis convaincu que les activités de fusion et acquisition vont se poursuivre, surtout dans le secteur pétrolier», dit-il. La raison? L'appétit de la Chine et de l'Inde.

Déjà, la Chine est l'un des plus grands consommateurs d'énergie de la planète. En 2030, elle devrait importer jusqu'à 12 millions de barils de pétrole par jour, par rapport à 8 millions actuellement. Du côté de l'Inde, les importations grimperont à 6,3 millions de barils par jour, soit deux fois plus qu'en ce moment.

Pour sécuriser son approvisionnement, la Chine a investi 16 milliards US dans les sables bitumineux et le gaz naturel dans le monde, depuis 18 mois. Mais les sociétés indiennes, comme Reliance Industries et OVL, sont aussi à l'affût d'actifs pétroliers. Et elles ont des milliards en encaisse à injecter.

«Il va y avoir une concurrence entre ces deux pays-là pour acheter des actifs pétroliers dans le futur. C'est un secteur qui va faire l'objet d'acquisitions. Le Canada va en bénéficier», prévoit M. Duguay.

Il s'attend aussi à beaucoup de petites acquisitions de sociétés de recherche et développement par des pharmaceutiques comme Johnson&Johnson, Medtronic ou Boston Scientific qui vient d'aligner quatre acquisitions. Pour les grandes sociétés, «ça devient plus facile d'investir dans la recherche en achetant des sociétés qui se concentrent sur le développement d'un nouveau produit, plutôt que de faire toute la recherche à partir de zéro à l'interne», dit M. Duguay.

Viser les cibles... sans se blesser

Toutefois, les investisseurs qui visent les cibles d'acquisition risquent de se blesser eux-mêmes. Évidemment, l'exercice peut être payant car l'acquéreur verse souvent une prime de 25 ou 30% pour mettre la main sur sa proie. Sans compter qu'il y a parfois des surenchères...

Mais dépister des candidates à une prise de contrôle est un exercice difficile à l'issue incertaine. «C'est trop imprévisible. À la fin, c'est le chef de la direction qui décide s'il le fait ou pas. C'est très humain, très aléatoire», prévient Marc Gagnon, gestionnaire de portefeuille d'actions canadiennes à l'Industrielle-Alliance.

Les rumeurs peuvent durer des années, puis retomber à plat. Déjà, en 2008, les marchés spéculaient que Mercator Minerals serait la cible de Quadra Mining qui a, elle-même, fait l'objet de rumeurs d'acquisition récurrentes par Thomson Creek Metals. «Et en technologie, ça fait des années qu'on dit qu'Open Text est une cible potentielle d'acquisition par n'importe quel grand acteur comme SAP ou Oracle», dit M. Gagnon.

Vaut mieux oublier les rumeurs, faire ses devoirs en se concentrant sur les éléments fondamentaux, investir dans la société parce qu'on la juge intéressante... et si un jour elle est achetée, ce sera la cerise sur le gâteau!

«Mais en essayant de trouver la prochaine qui va se faire acheter, on se fait souvent plus mal que d'autre chose», considère M. Girard. Cela dit, en restant surpondérer dans les secteurs les plus susceptibles de faire l'objet de transaction, les investisseurs ont plus de chance de tomber sur un ou deux titres qui feront l'objet d'une prise de contrôle, indique M. Girard. Et même si ce n'est pas le cas, ils en profiteront par la bande, car les fusions font souvent grimper les actions de toutes les sociétés comparables.

Miser sur les consolidateurs

A contrario, les investisseurs peuvent aussi miser sur les consolidateurs. Souvent, le titre de la société qui achète faiblit au moment de l'annonce. Mais, à plus long terme, le consolidateur peut réaliser des économies d'échelle, ce qui sera positif. Certaines entreprises ont une stratégie de croissance qui repose sur les acquisitions, souligne M. Gagnon.

Un bel exemple: à coups de petites acquisitions d'entreprises familiales, Rocky Mountain Dealerships, de Calgary, parvient à élargir constamment son réseau de concessionnaires spécialisés dans l'équipement lourd pour l'agriculture et la construction.

«Le secret, c'est la fragmentation de l'industrie», dit M. Gagnon. Plus un secteur compte de petits acteurs, plus il est facile pour un consolidateur d'identifier les meilleures cibles et de faire l'acquisition de celles qui sont intéressées.

Plus l'industrie se consolide, plus l'exercice se complique. Les proies sont plus rares, de plus grande taille. Et puis, à force d'avaler des petits acteurs, le consolidateur devient lui-même tellement gros qu'il doit prendre des bouchées plus importantes pour que les transactions aient réellement un impact.

Le financement devient alors plus difficile à ficeler. Les actionnaires sont plus nerveux. Ils craignent des ratés lors de l'intégration. Ils ont peur que les synergies ne se matérialisent jamais, que la transaction n'augmente pas les bénéfices, que l'acquéreur ait eu les yeux plus grands que la panse.