Lors des dernières rencontres du G20, tout le monde s'entendait pour dire qu'il ne fallait pas répéter les erreurs de la Grande Dépression, qu'il ne fallait surtout pas que la crise incite les pays à dresser des barrières commerciales.

Mais depuis, cela n'a pas empêché les 20 puissances mondiales d'adopter une centaine de «mesures protectionnistes qui sautent aux yeux», selon le Centre de recherche en politiques économiques, de Londres. Au-delà des beaux discours, la rencontre des chefs du G20 qui s'est terminée hier à Pittsburgh, donnera-t-elle des résultats durables?

Pierre Fournier n'est pas convaincu. Après avoir dirigé l'équipe d'analystes financiers de la Financière Banque Nationale durant 17 ans, l'ancien professeur de sciences politiques et économiques est revenu à ses premières amours, devenant consultant géopolitique pour la firme de courtage en 2008.

M. Fournier estime que le rôle du G20 est plus modeste qu'on le croit. «C'est un bon forum de discussion où les pays peuvent s'entendre sur des objectifs communs, admet-il. Mais ce n'est pas un organisme décisionnel. Il n'a pas la capacité d'imposer des pénalités», dit-il.

Selon lui, les grands enjeux militaires, politiques et économiques, se régleront de manière beaucoup plus informelle et secrète entre les cinq superpuissances qui dirigent le monde: les États-Unis, l'Union européenne, la Russie, la Chine et l'Inde.

Duel entre la Chine et États-Unis

Prenez, par exemple, le déséquilibre entre la Chine et les États-Unis, un des plus grands problèmes économiques de l'heure.

«Il faut que ça se règle entre ces deux pays-là. S'ils ne s'entendent pas, les espoirs du G20 ne se concrétiseront pas», estime M. Fournier.

D'une part, la devise chinoise est trop faible face au dollar américain, et les Chinois consomment peu, préférant économiser 50% de leurs revenus. D'autre part, les Américains surconsomment et c'est la Chine qui leur prête.

Mais toute la planète est consciente qu'on ne peut plus se fier seulement sur les consommateurs américains pour stimuler l'économie. Et la Chine sait qu'elle ne peut plus miser seulement sur ses exportations. Elle doit encourager sa population à consommer.

«Depuis un an, la Chine a mis en place un système de retraite et d'autres protections sociales, pour que les consommateurs se sentent plus à l'aise de dépenser leurs économies. C'est un pas dans la bonne direction», dit M. Fournier.

Quant au yuan, la Chine est prête à bouger. Mais la situation est complexe, car la Chine possède des réserves colossales en dollars américains. Si elle laisse sa devise grimper face au dollar, la valeur de ses réserves diminuera.

Pour se diversifier, la Chine commence à accumuler des réserves minières, de l'immobilier. Elle a même lancé l'idée d'établir une devise internationale de référence, fondée sur un panier de devises mondiales.

Il y a peu de chance que cela se concrétise. «C'est trop compliqué! Mais à l'avenir, les monnaies locales vont jouer un rôle de plus en plus important», prévoit M. Fournier.

Les devises des pays émergents prendront de la vigueur par rapport à celles des pays industrialisés. Comme leurs Bourses, d'ailleurs. «À long terme, les marchés émergents vont surperformer, parce que leurs économies vont croître plus vite que les nôtres», dit M. Fournier.

Les plaques tectoniques bougent

L'expansion des pays émergents fait bouger les plaques tectoniques de la planète économique.

Les États-Unis ne sont plus les maîtres du monde. Les nouvelles superpuissances économiques augmentent leur sphère d'influence. Cela crée des frictions... jusque dans le portefeuille des investisseurs.

La Russie reprend le contrôle de ses anciennes républiques. La Chine étend ses ailes jusqu'en Afrique. Par exemple, elle a allongé des milliards au Congo pour financer un programme d'infrastructures en échange de ressources naturelles.

Du coup, le climat a changé pour les sociétés minières canadiennes installées au Congo. First Quantum Minerals avait injecté quelques 300 millions$ dans un projet d'exploitation de cuivre et de cobalt. Du jour au lendemain, le gouvernement lui a montré la porte. La semaine dernière, la police est venue fermer la mine. L'action a flanché de 10%.

«Je l'ai écrit avant que ça se fasse, s'exclame M. Fournier. Faites attention! Il y a de la corruption, de l'instabilité. Le régime en place ne se sent pas lié par les décisions du précédent. Ils vont trouver le moyen de déchirer les ententes.»

La guerre des ressources naturelles

Avec la pénurie de matières premières qui s'annonce pour les 20 prochaines années, un combat mondial est en train de s'établir autour du contrôle des ressources. Un combat inégal.

«La Chine, l'Inde, les pays du Moyen-Orient achètent comme des fous», constate M. Fournier. Mais la Chine achète pour ses propres besoins à long terme, et non pas pour en faire le commerce sur le marché international. Elle achète par l'entremise de fonds souverains ou de monopoles d'État qui ne se soucient guère des prix de la ressource à court terme.

C'est bien différent en Europe et aux États-Unis, où ce sont des entreprises privées qui tirent les ficelles. Tenues en laisse par des actionnaires qui exigent des profits immédiats, elles doivent étudier les projets d'acquisition en fonction du prix des ressources à court terme.

Les gouvernements occidentaux s'en mêleront-ils pour éviter de perdre la course aux ressources? Voilà une question cruciale, qui se pose au Canada avec les sables bitumineux, deuxième plus importante réserve mondiale de pétrole.

«Les Américains considèrent que c'est important pour leur sécurité énergétique à long terme. Mais, comme nous, ils sont réticents car l'extraction du pétrole est très polluante», explique M. Fournier.

Les Américains ont donc mis la pédale douce, surtout que le prix du pétrole oscille autour de 70$US, tout près du seuil de rentabilité pour l'exploitation des sables bitumineux. Mais de son côté, la Chine est prête à payer.

PetroChina vient d'annoncer son intention d'acheter 60% d'Athabasca Oil Sands pour 1,9 milliards. «Et ce n'est qu'un premier pas, assure M. Fournier. Un jour ou l'autre, la Chine va vouloir acheter un gros joueur.»

Comment doit réagir Ottawa? «Ça peut être qu'une entente nord-américaine au niveau des gouvernements, où l'on garantirait, par exemple, un prix minimal sur les ressources pétrolières peu importe l'évolution du marché, et des investissements pour rendre les sables propres», répond M. Fournier.

Bref, une entente qui aurait l'effet indirect de bloquer la Chine... sans dresser de barrière protectionniste.