Je ne sais pas pour vous, mais moi, j’ai bien de la difficulté à comprendre concrètement les enjeux à la table de négociation des enseignants.

Je devrais dire « j’avais de la difficulté », puisque j’en sais un peu plus depuis une conversation avec Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE), et Benoit Giguère, vice-président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE).

Conclusion : l’enjeu de la composition des classes implique 4700 aides à la classe et possiblement 1000 nouveaux enseignants, pour un total de quelque 5700 éducateurs de plus.

La FSE est la principale représentante des enseignants devant la FAE. La première compte 95 000 membres, surtout en région, et la seconde, 66 500, davantage dans la région de Montréal.

L’enjeu central est la lourdeur accrue de la tâche dans les classes ordinaires, ou « régulières ». Pour l’alléger, Québec offre d’ajouter 4000 aides à la classe à temps plein au primaire d’ici 5 ans, en plus d’une enveloppe annuelle récurrente de 40 millions au secondaire. Ces 40 millions pourraient se traduire, à terme, par l’équivalent d’environ 700 postes d’aide au secondaire, selon mes estimations.

La FSE et la FAE répliquent que c’est insuffisant. Elles jugent qu’il faut davantage d’enseignants, pas seulement des aides à la classe. Ces aides sont bien souvent des techniciennes en éducation spécialisée ou des éducatrices en service de garde, dont le mandat serait élargi.

Les propositions de départ de la FSE pouvaient se traduire par l’ajout de 1000 enseignants dans le réseau, au départ des négos, me confirme la FSE. Cette estimation de 1000 enseignants a « été recentrée » ces dernières semaines, me dit le syndicat, et elle est maintenant moindre.

La FAE, de son côté, juge aussi qu’il faudra plus d’enseignants, mais se dit incapable d’en chiffrer le nombre. Pourquoi autant d’enseignants de plus ? Et pourquoi pas de simples aides à la classe ?

Les deux groupes syndicaux ont chacun leur solution pour cet enjeu de la composition de la classe.

Essentiellement, la FSE aimerait que Québec augmente le nombre d’enfants à qui l’on attribue ce qu’on appelle des « pondérations a priori », étant donné leur lourdeur. Actuellement, trois types d’enfants ont des évaluations qui leur donnent une valeur plus élevée qu’un enfant « régulier » pour le calcul du ratio d’élèves par enseignant dans une classe.

Les trois types sont les enfants qui ont des troubles du spectre de l’autisme (TSA), des troubles graves du comportement ou encore des troubles relevant de la psychopathologie. Les cas de TSA les plus lourds, par exemple, peuvent valoir jusqu’à 4 élèves, si bien qu’une classe de 2e année au primaire, qui doit normalement compter un maximum de 24 élèves, atteint son maximum avec seulement 20 élèves ordinaires, en plus de ce cas de TSA.

En élargissant à plus de trois le nombre de cas nécessitant une pondération a priori, la FSE demande en quelque sorte de diminuer le nombre d’élèves par classe, et donc d’augmenter, ultimement, le nombre d’enseignants. La demande de la FSE pourrait, par exemple, ajouter certains enfants qui ont des plans d’intervention en raison de difficultés particulières d’apprentissage ou de comportement.⁠1

Pour sa part, la FAE ne veut pas changer le mécanisme de pondérations a priori. Elle demande plutôt que les classes qui comptent une trop grande proportion d’élèves avec des plans d’intervention déclenchent soit l’ajout de ressources, soit la formation de nouvelles classes, qu’elles soient spécialisées, d’accueil ou ordinaires.

Par exemple, un groupe ne pourrait compter plus de 50 % d’élèves avec des plans d’intervention. Les élèves avec des plans n’ont pas nécessairement une pondération plus élevée, mais ils ont tout de même ces plans en raison de troubles d’apprentissage ou de comportement. Bref, ces seuils forceraient à ajouter des enseignants.

« Les seuils forceraient des discussions entre la direction et les employés sur les solutions à prendre », explique Benoit Giguère, de la FAE, qui parle aussi des enfants qui maîtrisent peu ou pas le français.

Selon ma compréhension, Québec ne veut ajouter aucun nouvel enseignant, jugeant que les ratios actuels sont adéquats, notamment comparativement aux autres provinces.

La proposition de 4000 aides à la classe permettrait au gouvernement de régler un autre enjeu, celui de la précarité des éducatrices en service de garde, notamment. Actuellement, ces éducatrices travaillent essentiellement avant et après les classes, donc le matin et en fin de journée, et sont donc à temps partiel.

Josée Scalabrini, de la FSE, n’est pas contre ces 4000 aides, mais elle estime que c’est comme mettre « un plaster sur une plaie béante », d’autant qu’il faudrait 5 ans pour atteindre ce niveau, selon la proposition gouvernementale.

La FSE juge que ses propositions de réformer les pondérations a priori et de faire respecter les ratios maximums enseignant-élèves auraient l’avantage de retenir les jeunes enseignants, voire de faire revenir ceux qui sont partis.⁠2

Les 4000 aides à la classe viseraient 15 000 classes du primaire, selon la proposition gouvernementale. Ces classes bénéficieraient de leur présence pendant 9,3 heures par semaine, en moyenne.

Leur travail vient souvent en périphérie de l’enseignement, en classe ou hors classe, m’explique la FSE, comme la surveillance, l’application des règles, l’organisation d’activités, l’habillage et l’aide aux enfants handicapés, notamment. Ils ne remplacent pas les enseignants.

De plus, la FSE juge que dans un monde idéal, il faudrait un minimum de 10 heures par semaine d’aide de classe pour les 28 000 classes du primaire du Québec, soit deux fois plus d’aide que la proposition du gouvernement.

Voilà pour l’essentiel.3 Visiblement, aucune entente ne sera signée sans des aménagements à cet enjeu de la composition des classes. La FSE prévoit des grèves du 8 au 14 décembre, alors que la FAE a un mandat de grève générale illimité.

1. La FSE demande aussi qu’on réduise le ratio du nombre d’élèves par enseignant dans les maternelles 5 ans (19 par enseignant actuellement), ce qui se traduirait, encore, par un ajout d’enseignants.

2. Actuellement, une classe peut dépasser le ratio maximum prévu dans les conventions, incluant les pondérations a priori, mais les enseignants doivent avoir une compensation financière. La FSE veut qu’on s’en tienne aux plafonds, point.

3. Pour le monétaire, les enseignants s’en remettent aux négos du Front commun, à la table centrale. La demande avoisine les 21 % à 23 % sur trois ans, alors que l’offre de Québec est de 10,3 % sur 5 ans, en plus d’une enveloppe représentant 3 % additionnels de hausse différenciée, essentiellement.