Tiff Macklem, le gouverneur de la Banque du Canada, n’a pas l’intention de lâcher le morceau et veut toujours décréter de nouvelles hausses des taux d’intérêt si l’inflation ne réduit pas de façon marquée sa progression. Un entêtement qui ne fait pas l’unanimité chez les experts, qui souhaitent plus de transparence de la part de notre banque centrale quant aux répercussions que ses décisions peuvent avoir.

Tout au long de la dernière année, l’inflation a été au cœur des préoccupations de tout un chacun, des ménages qui ont dû composer avec des hausses de prix salées pour se loger, se nourrir et se déplacer, et des entreprises qui doivent supporter des coûts de financement plus élevés en raison des hausses successives des taux d’intérêt.

Une situation qui aurait pu être en partie évitée ou à tout le moins atténuée si le gouvernement fédéral et la Banque du Canada avaient mieux géré la sortie de crise de la pandémie de COVID-19 à partir de 2021.

C’est ce que nous apprend un rapport du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie qui a recueilli cet automne les témoignages d’une vingtaine d’économistes et de spécialistes dans le but de mieux comprendre l’état de l’économie canadienne dans le contexte de forte inflation que l’on a connu l’an dernier.

Un contexte qui a entraîné huit hausses consécutives du taux directeur de la Banque du Canada depuis le mois de mars dernier.

Parmi les spécialistes qui ont témoigné, on retrouve notamment Robert Kavcic, économiste principal à la Banque de Montréal, les anciens gouverneurs de la Banque du Canada David Dodge et Mark Carney, Steve Hanke, professeur d’économie appliquée à l’Université Johns Hopkins, Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques de l’UQAM, et Jean-François Perrault, économiste en chef de la Banque Scotia.

Plusieurs points de vue différents émergent dans ce rapport pour expliquer la genèse du contexte inflationniste qu’on observe aujourd’hui, mais plusieurs des avis convergent pour pointer l’action de la Banque du Canada et du gouvernement fédéral comme sources importantes qui ont conduit au contexte actuel.

On a longtemps cherché les causes de l’inflation aux mauvais endroits ; la pandémie, le dysfonctionnement de la chaîne d’approvisionnement, l’invasion russe en Ukraine, mais selon l’économiste Steve Hanke, c’est essentiellement la croissance excessive de la masse monétaire qui a conduit à la situation que l’on connaît.

Durant la pandémie, la Banque du Canada est intervenue massivement pour injecter de l’argent dans le système alors que le gouvernement fédéral dépensait à coups de centaines de milliards pour soulager les effets dévastateurs de la crise sanitaire auprès de la population et des entreprises.

Tous les spécialistes qui ont témoigné devant le Comité s’entendent pour dire que ce soutien massif financier était nécessaire et même indispensable. Plusieurs estiment toutefois que cette aide s’est étirée sur une trop longue période et qu’elle a rapidement été mal ciblée.

Des effets indéniables

Le professeur Hanke souligne ainsi que depuis 2020, 46 % de la masse monétaire est attribuable à la Banque du Canada alors que ce taux était de 3 % de 2010 à 2020.

John Greenwood, économiste en chef chez International Monetary Monitor, rappelle que lorsque la banque centrale finance le déficit du gouvernement en augmentant la masse monétaire, tant le gouvernement que le secteur privé dépensent davantage en biens et services, ce qui accroît l’inflation.

Les dépenses fédérales ont augmenté de 73 % en 2020-2021 et elles seront encore supérieures de 27 % en 2022-2023 par rapport à leur niveau de 2019. Le déficit fédéral devrait représenter 1,5 % du PIB canadien en 2022-2023, souligne le rapport du Comité sénatorial.

« À la lumière des témoignages que nous avons recueillis, la Banque du Canada doit afficher plus de transparence dans ses décisions. Quand elle augmente la masse monétaire, elle génère de l’inflation, et quand elle augmente les taux d’intérêt, elle freine l’économie.

« C’est sûr que si on tue l’économie, il n’y aura plus d’inflation. La Banque du Canada doit mieux expliquer comment ses actions vont impacter l’économie », observe la sénatrice Diane Bellemare, ex-professeure d’économie de l’UQAM et membre du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.

On le sait, il faut de 12 à 18 mois avant qu’une hausse de taux d’intérêt produise un effet sur l’activité économique.

Les huit hausses du taux directeur n’ont pas encore pleinement eu leur impact sur l’activité générale, mais elles affectent déjà le secteur de l’habitation, où les prix des maisons devraient enregistrer une correction de 25 %, selon l’économiste de la Banque Scotia, Jean-François Perreault.

La hausse des taux d’intérêt ralentit également les mises en chantier de nouveaux logements alors que sévit actuellement une pénurie généralisée au pays, nourrie par l’arrivée de plus de 400 000 nouveaux immigrants chaque année au Canada.

« On a parfois l’impression que la Banque du Canada prescrit une chimiothérapie générale pour s’attaquer à un cancer localisé. Il faut mieux pouvoir évaluer quels seront les effets des hausses de taux avant d’en décréter de nouvelles », estime la sénatrice Bellemare.

Lisez l’article « La Banque du Canada est ouverte à une nouvelle hausse du taux directeur »