L’ancien ministre des Finances Carlos Leitão trouve « très troublant » qu’un vice-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec ait fait l’objet d’une perquisition dans une affaire de délit d’initiés. Il estime aussi que l’investisseur institutionnel devrait publier intégralement le rapport interne sur les manquements éthiques dans sa filiale Otéra Capital, réalisé en 2019.

Les révélations sur les problèmes d’éthique à la Caisse se sont accumulées cette semaine, et son ancien responsable au sein du gouvernement libéral de Philippe Couillard croit qu’elle a tout intérêt à montrer patte blanche.

Lundi, La Presse révélait que l’Autorité des marchés financiers (AMF) a perquisitionné à la Caisse à deux reprises en 2020. Ses enquêteurs se sont notamment rendus dans le bureau de Justin Méthot, alors vice-président aux Placements privés, responsable des investissements dans les grandes entreprises, soupçonné de délit d’initiés.

Mardi et mercredi, Le Journal de Montréal révélait que la filiale Otéra Capital avait accordé 26 prêts qui mettaient l’un de ses hauts dirigeants en situation de conflit d’intérêts.

Les financements incluent un prêt de 20,5 millions au propriétaire d’un centre commercial de Terrebonne, une entreprise dont le premier vice-président et chef des investissements chez Otéra, Paul Chin, était actionnaire.

Une enquête confidentielle

Après une série de révélations du Journal de Montréal sur les manquements éthiques chez Otéra à l’hiver 2019, la Caisse avait commandé une enquête interne au cabinet d’avocats Osler. Après avoir épluché 1,5 million de documents, l’investisseur institutionnel avait décidé de ne pas publier le rapport d’enquête.

La Caisse avait plutôt diffusé un sommaire du document, qui ne disait rien des conflits d’intérêts de Paul Chin. Selon Le Journal de Montréal, elle venait pourtant de le sommer de vendre ses parts dans des entreprises immobilières clientes d’Otéra.

Ces nouvelles révélations ont fait bondir Carlos Leitão, responsable de la Caisse à titre de ministre des Finances de 2014 à 2018.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Carlos Leitão, ex-ministre des Finances et porte-parole libéral en matière de finances publiques et d’intégrité des marchés publics

« Ça m’étonne beaucoup », dit-il au sujet de la perquisition dans le bureau de l’ex-vice-président Justin Méthot en janvier 2020.

On parle de possibilités de délit d’initiés. C’est très troublant pour une organisation avec la crédibilité et la réputation de la Caisse de dépôt et placement. Mais on va laisser l’AMF faire son travail.

Carlos Leitão, ministre des Finances du Québec de 2014 à 2018

Carlos Leitão croit que c’est un argument supplémentaire pour permettre à la vérificatrice générale du Québec (VGQ) de scruter les pratiques de la Caisse plus en profondeur.

Le 16 mars, la vérificatrice Guylaine Leclerc a réclamé plus de pouvoirs de Québec pour réaliser des audits de performance chez l’investisseur institutionnel. Elle venait de déposer un rapport expliquant comment la Caisse devait améliorer notamment ses contrôles pour détecter la fraude et les conflits d’intérêts.

« Ça lui permettrait de faire une analyse publique de ses activités », dit-il. Il souligne toutefois que Québec devrait trouver une façon d’éviter les dédoublements avec les auditeurs externes qui font déjà rapport sur les activités de la Caisse.

QS, libéraux et PQ veulent faire la lumière

Les autres partis de l’opposition partagent ces constats.

Chez Québec solidaire, la porte-parole en matière d’économie Ruba Ghazal vient de demander la convocation de la Commission des finances publiques pour « analyser les mesures d’intégrité en place à la Caisse […] ainsi que l’opportunité d’assujettir celle-ci aux audits de performances de la VGQ ».

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La porte-parole en matière d’économie chez Québec solidaire, Ruba Ghazal.

« Plusieurs éléments de l’actualité récente nous amènent à nous poser sérieuses questions quant à ces enjeux, incluant le récent rapport de la VGQ, des allégations de délit d’initié de la part d’un vice-président ou l’octroi d’un prêt à une entreprise dans laquelle un dirigeant d’une filiale de la Caisse avait des intérêts », mentionne sa lettre au président de la Commission, le député caquiste Jean-François Simard.

Carlos Leitão croit aussi que le bas de laine des Québécois devrait publier le rapport d’enquête complet de 2019 sur les manquements éthiques chez Otéra. « Je dirais que c’est même dans l’intérêt de la Caisse, pour montrer patte blanche », dit-il.

Même point de vue au Parti québécois.

Si la Caisse n’a rien à cacher, qu’elle publie le rapport ! Si elle ne veut pas le faire, est-ce que c’est parce qu’il y a des choses là-dedans qu’elle ne voudrait pas voir rendues publiques ?

Sylvain Gaudreault du Parti québécois, vice-président de la Commission de l’administration publique

Le chef des relations médias à la Caisse, Maxime Chagnon, répond que la publication du rapport de 2019 contreviendrait à ses « obligations de protection des renseignements personnels ».

Le sommaire qu’elle a publié ne nommait aucune des quatre personnes qui avaient dû quitter la Caisse après les vérifications internes, dont le PDG d’Otéra Alfonso Graceffa.

Quant au ministre des Finances Eric Girard, il refuse d’accorder des pouvoirs accrus à la vérificatrice pour scruter les pratiques de la Caisse, sans expliquer pourquoi.

« L’éthique et la conformité sont des éléments non négociables, écrit son attachée de presse, Fanny Beaudry-Campeau, dans un courriel à La Presse. C’est à la Caisse de rassurer les Québécois. »