Autoriser des transactions boursières 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, est-ce une bonne idée ? La question – qui divise – est devenue d’actualité ce printemps alors que Wall Street vient d’être sollicitée pour donner son avis. Tour d’horizon, auprès d’experts, des avantages et inconvénients d’une telle proposition.

La Bourse de New York a sondé en mars un certain nombre de participants de marché pour connaître leur point de vue sur la négociation jour et nuit.

Les résultats de l’enquête ne sont pas encore accessibles et la Bourse de New York n’est pas en mesure de préciser quand ils le seront.

Actuellement, la Bourse de Toronto, la Bourse de New York et le NASDAQ partagent les mêmes heures de négociation, c’est-à-dire de 9 h 30 à 16 h, du lundi au vendredi, sauf les jours fériés.

Il est possible aujourd’hui d’entrer des ordres en ligne en dehors des heures d’ouverture des marchés. La négociation avant l’ouverture et après la fermeture officielle des marchés comporte toutefois des risques (écarts de prix, volatilité, liquidité, etc.) en raison notamment du plus faible nombre de participants durant les heures de négociations prolongées (entre 8 h et 9 h 30 avant l’ouverture des Bourses et de 16 h jusqu’à 20 h après la fermeture des marchés).

Est-ce que les Bourses pourraient éventuellement demeurer ouvertes jour et nuit, du moins en semaine ?

PHOTO YUKI IWAMURA, ARCHIVES BLOOMBERG

Pour l’instant, la Bourse de Toronto, la Bourse de New York et le NASDAQ partagent les mêmes heures de négociation.

« C’est un peu inévitable qu’on en arrive là un jour », croit Daniel Ouellet, gestionnaire de portefeuille au Groupe Ouellet Bolduc, affilié à Desjardins.

Il se demande toutefois si le volume de transactions réparti sur 24 heures amènerait plus de problèmes de manipulation de marché.

Je vois plus d’inconvénients que d’avantages à un marché ouvert 24 heures sur 24. J’aime bien le fonctionnement actuel permettant d’avoir des données économiques et des résultats financiers publiés en dehors des heures transactionnelles.

Daniel Ouellet, gestionnaire de portefeuille

La Bourse en perte de popularité

Modifier les règles actuelles de négociation pour les actions cotées en Bourse ne serait simplement pas une bonne idée, selon Louis Vachon, associé chez J. C. Flowers & Co, firme d’investissement new-yorkaise spécialisée en services financiers.

« Si on veut augmenter la liquidité et la profondeur du marché, je ne crois pas que c’est la solution », dit l’ex-PDG de la Banque Nationale.

Les places boursières font face à plusieurs enjeux en ce moment. Le plus grand étant qu’il y a davantage de compagnies qui ferment leur capital et quittent la Bourse que d’entreprises qui décident de faire le saut en Bourse. J’essaierais plutôt de comprendre ce qui explique cette situation. Le 24/7 n’est pas ce qui attirera plus d’entreprises à s’inscrire en Bourse.

Louis Vachon, associé chez J. C. Flowers & Co

Il souligne que le travail des membres de la haute direction d’une entreprise dont les actions se négocient 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, se complexifierait sur le plan de la gestion de l’information et du discours.

« C’est déjà compliqué avec les médias sociaux. Tu en ajouterais une couche avec la négociation 24/7. Indirectement, ça découragerait encore plus les entreprises à devenir des compagnies publiques », précise-t-il.

Oui, les cryptoactifs se négocient 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, mais est-ce un exemple à suivre ? demande-t-il.

« Nous vivons dans une société offrant un surplus d’information. Les gens passent leur temps à capter des informations sur leur téléphone cellulaire et les médias sociaux, et ils n’ont pas suffisamment de temps pour digérer cette information. Ça vaut autant pour le petit investisseur que pour le PDG d’une entreprise », dit Louis Vachon.

PHOTO BRENDAN MCDERMID, ARCHIVES REUTERS

Un homme regarde son cellulaire alors qu’un écran affiche des informations commerciales sur les actions de Truth Social, à l’extérieur du site du marché Nasdaq à New York.

« Si tu passes tout ton temps à essayer de capter de l’information sans te garder du temps pour la digérer, tu risques une indigestion. Il y a une expression qui dit : tu connais le prix de tout, mais la valeur de rien. Profiter d’une pause permet de bien assimiler l’information, de l’analyser et de comprendre ce qui se passe. De toute façon, il est déjà possible de transiger after-market sur des contrats à terme notamment. »

Pour les algorithmes

Voicu Valentir, président du Groupe Cavaliro – une firme d’investissement de Laval –, est sensiblement du même avis et ne voit pas un grand intérêt.

« Ce serait possiblement surtout bon pour les investisseurs utilisant des algorithmes pour effectuer des transactions par ordinateur. »

Cet ancien mainteneur de marché ajoute que les entreprises qui publient leurs résultats trimestriels à l’extérieur des heures de négociation le font notamment pour donner le temps aux investisseurs de bien digérer les informations. « Est-ce que les autorités devront forcer des arrêts des transactions sur les titres chaque fois qu’une entreprise publiera des nouvelles ? », demande-t-il.

Avoir le temps de lire les communiqués afin de bien comprendre les chiffres et réaliser s’il s’agit de bonnes ou de mauvaises nouvelles est important, à son avis.

PHOTO ANGELA WEISS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les employés de la Bourse de New York gardent les yeux rivés sur les indices boursiers pendant leur quart de travail.

Le gestionnaire de portefeuille Philippe Hynes, de la firme montréalaise Tonus Capital, abonde dans le même sens et souhaiterait même une réduction des heures de transactions.

L’idée de bien faire la recherche et les analyses, et de pouvoir être opportun sur les achats et ventes, requiert d’être actif et présent quand les marchés sont ouverts. Avec du 24 heures sur 24, ça deviendrait difficile, voire impossible.

Philippe Hynes, gestionnaire de portefeuille

Il est déjà possible de faire des transactions avant l’ouverture (pre-market) et après la fermeture (after-hours) des marchés sur les titres américains, ajoute-t-il.

« Donc est-ce que ça changerait vraiment quelque chose ? Probablement que ça augmenterait le volume de transactions en dehors des heures actuelles, car sur le pre-market, souvent il n’y a que très peu de volume. Mais j’aimerais mieux si les marchés étaient ouverts moins souvent. Ça permettrait aux investisseurs de faire plus de recherche fondamentale et de moins regarder les cours boursiers monter ou baisser de 5 ou 10 cents. »

Philippe Hynes termine en rappelant que l’investisseur américain Warren Buffett a déjà dit qu’il investissait en partant du principe que la Bourse pourrait fermer aujourd’hui et ne rouvrir que cinq ans plus tard.