(Québec et Montréal) L’encadrement pour détecter les conflits d’intérêts, la fraude, la corruption et le blanchiment d’argent à la Caisse de dépôt et placement du Québec est « à améliorer », selon la vérificatrice générale.

Dans son plus récent tome déposé mercredi, Guylaine Leclerc note que la Caisse n’a pas respecté ses propres règles de vérifications et de déclarations de conflits d’intérêts avant certains investissements.

La vérificatrice générale souligne notamment qu’un « gestionnaire » a pu participer à des discussions sur l’achat de titres de dette, alors qu’il se trouvait « en situation de conflit d’intérêts ».

« Il avait un lien étroit avec un haut dirigeant de la société ciblée par cet investissement », précise le rapport.

Ce cadre n’a fait connaître son conflit d’intérêts que 17 jours après la sortie de fonds, selon la vérificatrice générale. C’est seulement à ce moment qu’il s’est retiré des discussions.

Appelée à commenter, la Caisse précise que cet évènement concerne un investissement sous forme de dette. Cette personne, qui n’est pas identifiée, était un ami d’un gestionnaire de l’entreprise concernée.

« La personne en question n’a pas eu de rôle décisionnel dans la sortie de fonds ou l’approbation de la transaction », assure la porte-parole Kate Monfette.

La vérificatrice générale déplore par ailleurs que la filiale immobilière Ivanhoé Cambridge ne vérifie pas les conflits d’intérêts potentiels pour les investissements de 20 millions et moins. Ils représentent pourtant une somme totale de 530 millions, entre janvier 2020 et mai 2021.

Guylaine Leclerc souligne aussi qu’Ivanhoé Cambridge ne fait pas systématiquement de vérifications diligentes sur les vendeurs des immeubles qu’elle acquiert. « Pourtant, une organisation ou un individu malveillant peuvent se servir d’une transaction immobilière pour commettre une fraude. »

Crise de 2019

Ce tome du rapport couvre surtout la période de juin 2019 à mai 2021.

Pour justifier ses travaux, la vérificatrice générale rappelle les « évènements rendus publics » sur Otéra Capital, la filiale de prêts immobiliers de la Caisse, à l’hiver 2019.

Une enquête du Journal de Montréal avait alors mis au jour une série de problèmes éthiques dans l’organisation.

Les reportages avaient notamment montré que le PDG d’Otéra au moment des faits, Alfonso Graceffa, avait lui-même bénéficié de 11 financements qu’avait accordés MCAP, filiale à 78 % d’Otéra. Ses entreprises avaient ainsi pu compter sur des prêts d’une valeur totale de 9,2 millions.

D’autres articles avaient fait état des liens mafieux qu’entretenaient deux autres dirigeants.

Au moment de quitter les commandes, l’ex-PDG Michael Sabia avait déclaré que la crise provoquée par Otéra avait été son « pire souvenir ».

Vérifications inadéquates

Tout indique que la Caisse a encore du travail pour améliorer ses pratiques, et pas seulement dans les filiales immobilières, selon la vérificatrice générale.

Guylaine Leclerc relève diverses situations où l’organisation n’a pas mené les vérifications diligentes nécessaires avant de mettre ses billes dans certains actifs.

Par exemple, « une société dans laquelle la Caisse était un actionnaire important a acheté une autre société » au risque de réputation élevé à cause d’antécédents de fraude.

« Le seul suivi des risques que la Caisse a pu nous fournir a été effectué plus de cinq mois après cet achat », déplore Guylaine Leclerc.

Comme partout ailleurs dans le rapport, le nom des entreprises et personnes concernées n’est pas dévoilé.

Guylaine Leclerc relève aussi de nombreux retards dans les déclarations d’intérêts et d’adhésion au code d’éthique. En 2021, chacun des 14 administrateurs de la Caisse a même remis ces documents sans respecter les délais de rigueur.

La Caisse reconnaît que cette situation est « insatisfaisante ». « En 2022, on est à 100 % de déclarations remises à temps », dit Kate Monfette.

De plus en plus à risque

La vérificatrice générale note que la Caisse, qui gère un actif de 365,5 milliards, met l’accent « sur des marchés privés et des marchés internationaux, [ce qui] génère plus de risques en matière de conflits d’intérêts, de fraude et de corruption ».

« L’encadrement relatif à la prévention et à la détection de certains risques pouvant affecter la réputation de la Caisse nécessite d’être renforcé. […] Il manque des balises structurées permettant notamment d’appuyer le jugement des professionnels chargés d’évaluer et de communiquer le risque de réputation aux comités approbateurs », selon Guylaine Leclerc.

La Caisse et ses filiales ont bien adopté des politiques « très rigoureuses » sur les conflits d’intérêts, la fraude et la corruption, mais « certains éléments restent à améliorer », dit la vérificatrice générale.

Selon elle, l’organisation devrait notamment adopter des directives spécifiques à la lutte contre le blanchiment d’argent.

Pratiques rigoureuses, dit la Caisse

La Caisse répond qu’elle accueille « favorablement » les « bonifications » proposées. « Certaines étaient déjà en voie de l’être au moment des travaux d’audit », assure Kate Monfette.

Elle souligne que la vérificatrice générale reconnaît que « le code d’éthique est parmi les plus rigoureux ».

Pour pouvoir aller plus loin, Guylaine Leclerc demande toutefois d’être habilitée à réaliser un audit de performance avec la Caisse, plutôt que l’audit de conformité qu’il lui est permis de faire.

« On peut faire un audit de performance dans toutes les entités du gouvernement, au choix du Vérificateur général. La seule entité où on ne peut pas le faire, c’est la Caisse de dépôt, sans l’approbation du conseil d’administration », déplore-t-elle.