(Vancouver) Le Bureau de la concurrence du Canada a lancé une enquête sur les sociétés mères des chaînes d’épiceries Loblaws et Sobeys pour conduite anticoncurrentielle alléguée, révèlent des documents judiciaires.

Les documents de la Cour fédérale montrent que le commissaire de la concurrence a lancé des enquêtes le 1er mars, affirmant qu’il y a des raisons de croire que le recours par les entreprises aux « contrôles de propriété » limite la concurrence dans le secteur de l’alimentation au détail.

Le commissaire affirme que les contrôles que les géants de l’épicerie ont intégrés dans les contrats de location visent à restreindre les autres locataires potentiels et leurs activités et entravent la concurrence sur le marché de l’épicerie.

Le Bureau de la concurrence avait indiqué en février qu’il enquête sur le recours à des clauses immobilières restrictives dans le secteur de l’épicerie.

À l’époque, le sous-commissaire Anthony Durocher avait déclaré devant un comité de la Chambre des communes que les contrôles de propriété peuvent constituer un obstacle à la fois pour les épiceries indépendantes et les chaînes qui souhaitent se développer, ainsi que pour les acteurs étrangers qui cherchent à entrer au Canada.

C’est pourquoi, dans un rapport de juin dernier, le Bureau a recommandé au gouvernement de limiter son utilisation dans le secteur de l’épicerie afin de contribuer à stimuler la concurrence et à faciliter l’ouverture de nouveaux supermarchés.

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Le ministre fédéral de l’Industrie, François-Philippe Champagne

Le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a déjà affirmé qu’il recherchait un épicier étranger pour renforcer la concurrence sur le marché canadien.

Les Compagnies Loblaw et Empire, société mère de Sobeys, sont deux des trois plus grandes sociétés d’alimentation canadiennes et possèdent chacune un certain nombre de chaînes d’épiceries à travers le pays.

Les détails des enquêtes sont contenus dans deux requêtes judiciaires déposées par le commissaire le 6 mai.

Empire, propriétaire de Sobeys, s’est opposée à l’enquête, affirmant dans une requête judiciaire distincte que l’enquête donnait au commissaire « l’apparence d’un manque d’indépendance » au milieu des critiques publiques des politiciens fédéraux sur les prix des produits alimentaires et la conduite des détaillants.

La société mère de Loblaws coopère à l’examen du bureau, a déclaré la porte-parole Catherine Thomas au nom du conglomérat George Weston.

« Les clauses restrictives sont très courantes dans de nombreux secteurs, y compris le commerce de détail. Elles contribuent à soutenir les investissements immobiliers, encouragent l’ouverture de nouveaux magasins et la prise de risques en capital », a-t-elle fait valoir.

Les participations des deux entreprises

Le commissaire a demandé à la Cour fédérale d’ordonner à Empire et à George Weston de remettre les dossiers concernant les biens immobiliers, les contrats de location, les données sur les clients et d’autres dossiers.

Dans les documents judiciaires, le commissaire décrit les participations d’Empire et de George Weston dans des fiducies de placement immobilier, ou FPI. Dans les deux cas, les propres enseignes d’épicerie des sociétés constituent des locataires importants pour les sociétés immobilières.

Par l’intermédiaire d’une filiale, Empire détient une participation de 41,5 % dans Crombie Real Estate Investment Trust. Et Empire est un locataire principal de la majorité des propriétés de Crombie, indiquent les documents, ajoutant que la participation d’Empire dans Crombie lui permet d’exercer une influence sur le FPI.

George Weston détient une participation majoritaire de 61,7 % dans le fonds de placement immobilier Propriétés de Choix, et Loblaw représentait plus de la moitié des revenus de location de Propriétés de Choix en 2023, selon les documents. Propriétés de Choix et Loblaw ont une alliance stratégique en vertu de laquelle le FPI a accepté des « restrictions importantes » limitant « sa capacité à conclure des baux avec des locataires de supermarchés autres que Loblaw ».

L’enquête du commissaire se concentre sur les activités des entreprises à Halifax, mais aussi à l’échelle du pays.

Les documents montrent que les enquêtes se concentrent sur deux types de contrôles de propriété dans les contrats et les baux commerciaux utilisés par les détaillants en alimentation « sur de nombreux marchés au Canada ».

Selon le commissaire, les clauses restrictives contenues dans les contrats privés « limitent ou restreignent » la façon dont un terrain peut être utilisé et peuvent s’appliquer même après un changement de propriétaire.

Les accords peuvent « imposer des restrictions ou des exclusions aux concurrents qui s’étendent au-delà de la propriété du terrain, parfois pendant des décennies », d’après les documents.

Les enquêtes portent également sur les « clauses d’exclusivité » dans les contrats de bail commercial qui « limitent ou restreignent » à qui un propriétaire foncier peut louer et quels produits peuvent être vendus par d’autres parties proches de l’entreprise d’un autre propriétaire.

Selon le commissaire, les contrôles de propriété pourraient donner aux entreprises « la possibilité d’empêcher leurs concurrents réels ou potentiels de vendre des produits alimentaires dans certaines zones géographiques ou de dicter les conditions dans lesquelles elles exercent leurs activités ».

Empire conteste l’enquête

Dans le passé, des cas alléguant un abus de position dominante impliquaient des sociétés disposant d’un pouvoir de marché nettement plus important que celui de George Weston ou d’Empire individuellement, selon Michael Osborne, président du département canadien de concurrence du cabinet d’avocats Cozen O’Connor.

Par conséquent, le Bureau de la concurrence devra faire valoir que les entreprises sont conjointement dominantes parce qu’elles utilisent les mêmes outils et qu’elles représentent ensemble une grande partie du marché, mentionne M. Osborne.

« Le Bureau n’a jamais intenté de poursuite pour position dominante conjointe auparavant », dit-il.

Dans une requête distincte devant la Cour fédérale qui n’a pas encore été tranchée par un juge, Empire nie que les contrôles immobiliers soient anticoncurrentiels et affirme qu’ils « ne sont pas propres au secteur de l’épicerie, mais qu’ils sont largement utilisés depuis des décennies dans une série de secteurs de la vente au détail et d’autres secteurs à travers le pays ».

Empire affirme que le commissaire a eu tort d’ouvrir l’enquête parce qu’elle n’occupe pas une position « dominante » sur le marché.

Elle soutient également que l’enquête a été lancée dans un « objectif inapproprié », affirmant que le secteur de l’épicerie a fait l’objet d’une attention anormalement élevée de la part des politiciens.

L’entreprise avance que le commissaire à la concurrence doit prendre des décisions de manière indépendante et « sans ingérence ni direction politiques ».

Empire indique que la décision d’ouvrir une enquête, au milieu d’une vague de critiques concernant la hausse des prix des produits alimentaires, soulève « au moins l’apparence d’un manque d’indépendance de la part du commissaire ».

L’avocat de l’entreprise a refusé de commenter puisque l’affaire est toujours devant les tribunaux.

La porte-parole du Bureau de la concurrence, Sarah Brown, a confirmé les enquêtes formelles lancées le 1er mars. Elle a déclaré que le Bureau avait déposé une requête pour annuler la demande de contrôle judiciaire d’Empire.

Elle a refusé de commenter davantage, invoquant le processus judiciaire en cours.

Le Bureau utilise les nouveaux outils qu’il a acquis grâce aux récentes modifications apportées à la Loi sur la concurrence, qui élargissent la portée des types d’accords qu’il peut examiner.