Comme l’été dernier, 13 de nos journalistes se relaient quotidiennement pendant un mois pour faire progresser une intrigue lancée par Stéphane Laporte. Un exercice ludique inspiré des cadavres exquis des surréalistes. Cette année, notre polar nous ramène en 1976… au moment où tout bascule pour le jeune enquêteur Baptiste Bombardier. Bonne lecture !

Paf ! Le commandant Gravel lança le numéro de La Presse sur le bureau de Baptiste Bombardier. Le scoop sur le manifeste de la cellule terroriste Nike s’y étalait sur cinq colonnes à la une, photo de la coupe Stanley à l’appui.

— Pis, t’es fierrr de toi, l’jeune ? demanda le commandant en roulant allègrement ses r, alors que tous les yeux du poste de police se tournaient vers un Bombardier cramoisi.

— T’es une vrrraie star : tu fais la première page du journal. Ça commence bien ta carrière, ironisa le commandant Gravel. Mais ça va peut-être y mettre fin, ben vite.

Le journaliste Michel Auger déballait toute l’invraisemblable histoire de « l’enlèvement » de la coupe Stanley par la cellule Nike qui exigeait une rançon de 5 millions de dollars pour rendre le trophée.

Dans leur manifeste, les terroristes revendiquaient aussi deux meurtres. Celui de Gérald Bling, le chef du comité exécutif de Montréal, dont le véhicule avait été trouvé en marche, tout près du Stade olympique. Et celui de Robert Lépine, le principal fournisseur du chantier du Stade, qui s’était noyé dans sa piscine, le même jour où un hélicoptère de son entreprise s’était écrasé en plein milieu du Village du père Noël, à Val-David.

Cet hélicoptère avait d’ailleurs permis à un meurtrier de s’échapper du haut de la grue principale du chantier du Stade, sous le nez de l’enquêteur Baptiste Bombardier qui était sur les lieux du crime par hasard.

Qui était la victime ? Était-ce Gérald Bling ? Impossible de le savoir puisque des complices avaient emporté le cadavre avant que l’enquêteur « très inexpérimenté » n’ait eu le temps de réagir, précisait l’article.

— Tsé que le maire Drapeau, en perrrsonne, vient de me téléphoner. Il est furieux que l’enquête n’avance pas, tonna le commandant Gravel.

Et le maire n’avait pas tort. Malgré tous les efforts de BB, le mystère restait aussi épais que le nuage de fumée de cigarette qui flottait dans le poste de police.

Sa rencontre avec la cheffe des renseignements de la Ville, Manon Ryan, ne lui avait rien appris de neuf, à part qu’elle était certainement la championne olympique du mâchage de Juicy Fruit. Quant à Taillibert, curieusement, il était introuvable. Personne à son domicile. Et sa secrétaire disait qu’elle n’avait pas de nouvelles de lui.

Avant Coco Duncan, qui semblait être le dernier à l’avoir vu, on avait un témoin qui disait l’avoir remarqué sur le chantier du Stade, à cause de la taille de l’interlocuteur auquel il s’adressait, résumait Bombardier. Un gros taupin de 6 pi 5 po. Le gars portait un t-shirt de Che Guevara, des jeans et des souliers Adidas des Jeux olympiques de Montréal grands comme des chaloupes. Le fameux modèle bleu pâle avec les trois lignes jaunes et le logo de…

— OK, c’est bon, coupa le commandant Gravel. Laisse tomber les commentaires de mode. À la place, va donc chez Anita Bling. Ses voisins ont entendu des coups de feu la nuit dernière.

Bombardier sauta dans sa Pontiac Astre jaune et alluma la radio juste au moment où l’animateur de CHOM FM annonçait le succès du groupe britannique Supertramp Crime of the Century.

— Ah ben, baptême, ils me niaisent ! s’exclama-t-il, excédé, avant d’enfoncer dans le lecteur la cassette huit pistes de l’album Neiges du pianiste André Gagnon qui avait le don de lui calmer les nerfs.

Vingt minutes plus tard, il se garait tout près du 38, rue Sunset, résidence victorienne huppée des hauteurs d’Outremont.

— Ouin, ça ne roule pas à pied ici, pensa Bombardier en voyant la rutilante Corvette rouge garée devant la porte, la voiture de Carmen Courtois qui venait de passer la nuit à réconforter Anita. Enfin, plus que la réconforter…

— Bonjour, Mme Bling, je suis l’inspecteur Bombardier. Permettez-moi de vous offrir toutes mes condoléances. Est-ce que je peux entrer ?

— Euh… oui, évidemment, répondit Anita d’une voix faussement assurée. Pas besoin d’enlever vos chaussures.

— Ah, mais je ne voudrais pas salir votre plancher, répondit BB en ouvrant le placard. Par terre, se trouvait une paire de souliers Adidas des Jeux olympiques de Montréal.

— Votre mari était vraiment à la mode, commenta l’enquêteur.

Anita Bling devint livide. Elle avait mis tellement d’énergie à effacer le sang après le meurtre de ce foutu Normand qu’elle avait oublié les chaussures qu’il avait enlevées avant d’entrer chez elle sur la pointe des pieds.

— Maudit révolutionnaire, ce n’était pas son genre d’être aussi bien élevé, songea-t-elle alors que l’enquêteur observait les chaussures géantes. Le modèle bleu pâle avec trois lignes jaunes.

— Wow ! pointure 14, pensa BB, convaincu d’être enfin tombé sur une vraie piste.

C’est alors que Carmen sortit de la cuisine, en lui tendant un café.

— Salut, cousin !

— Carmen ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?

Bombardier regarda sa cousine, décontenancé par sa robe de chambre en soie rouge.

Il s’installa dans le salon, avala son café d’un trait tout en fixant les trois paquets de Juicy Fruit vides sur le guéridon. BB se demandait si son cerveau lui jouait des tours, s’il faisait des liens impossibles.

Tranquillement sa bouche devint pâteuse. Ses paupières affreusement lourdes.

Puis, il sombra dans un profond sommeil.

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Ceci est une œuvre de fiction. Le récit emprunte le nom de personnages réels, mais tous les éléments rapportés dans ce polar sont le fruit de l’imagination débordante de nos chroniqueurs et journalistes.