Des employés municipaux qui déchirent une contravention contre un pot-de-vin. Un sous-traitant payé 170 000$ pour un travail bâclé. Deux employés qui ont téléchargé de la pornographie sur leurs ordinateurs de travail. Et quatre employés qui ont loué des appartements dont ils étaient propriétaires à des citoyens, dans le besoin, dont ils avaient la responsabilité.

Ce ne sont que quelques cas de fraude répertoriés dans le rapport annuel 2008 de la Fraud and Waste Hotline, le programme de dénonciation antifraude et abus de Toronto. L'an dernier, avec le 416-397-STOP et une panoplie d'autres canaux de communication anonymes, des fraudes équivalant à plus de 260 000$ ont été révélées à la suite d'appels de citoyens, d'employés ou de sous-traitants de Toronto.

 

La capitale ontarienne a été la première ville canadienne, en 2002, à se doter d'une telle ligne téléphonique. D'abord réservé aux employés municipaux, le numéro a été rendu accessible à toute la population. Depuis, plusieurs autres ont suivi, dont Edmonton, Calgary et Ottawa.

«C'est une tendance lourde en Amérique du Nord», observe Thierry Pauchant, titulaire de la chaire de management éthique, à HEC Montréal. Le professeur est très prudent envers ces mesures «répressives». «Ça peut avoir des côtés extrêmement négatifs dans une organisation, parce que ça crée un climat de suspicion.»

Neutre

Pour éviter que la calomnie et la suspicion ne viennent vicier l'administration municipale, M. Pauchant insiste pour qu'un tel programme soit piloté par une personne neutre, comme un ombudsman, un vérificateur général, ou une firme externe. «Et il est impératif que la personne qui se plaint soit protégée, mais qu'elle s'identifie. Il n'est pas question de faire les choses anonymement, sinon vous alimentez les rumeurs dans l'organisation. S'il y a des gens qui veulent se venger, ils vont dire n'importe quoi.»

Ceux-là, par contre, sont facilement repérés, assure Stéphan Drolet, associé au service juricomptabilité chez KPMG. La firme, qui exploite ce genre de lignes de dénonciation pour plusieurs grandes entreprises, répond aux plaintes selon un protocole: de quoi avez-vous été témoin? avez-vous des preuves de ce que vous avancez? «Dès qu'on tombe dans des questions plus pointues, ils ne peuvent pas répondre», dit M. Drolet. Ceux qui déposent une plainte sérieuse sont souvent prêts à fournir des documents, et même à laisser leurs coordonnées pour plus de détails.

À la Ville d'Ottawa, où le programme n'est offert pour le moment qu'aux employés municipaux, le vérificateur général Alain Lalonde soutient que les appels teintés de vengeance sont rares, et pour une bonne raison: dans les cas extrêmes, les plaignants calomnieux peuvent perdre leur emploi. «C'est la première réaction des gens quand on parle de ce service. Mais chez nous, on a pris le temps de rencontrer tous les chefs syndicaux pour leur expliquer le fonctionnement avant de l'implanter.»

M. Lalonde traite quelque 150 plaintes par année pour 15 000 employés. La nature des plaintes varie énormément: du col bleu qui s'est servi d'un véhicule municipal pour aller en camping, au superviseur qui part toujours 15 minutes avant l'heure, en passant par une pièce d'équipement qui aurait été payée 10 fois le prix.

«Mais ce n'est pas de l'ampleur du contrat des compteurs d'eau, note M. Lalonde. Est-ce le genre de choses qui nous aurait été signalé? Peut-être que oui, peut-être que non. Ça dépend aussi de la connaissance de l'employé du dossier.»