Alors que des investisseurs institutionnels s'informent discrètement de la possibilité de la tenue d'un référendum, une importante firme de gestion d'obligations vient de publier un rapport comparant le coût d'emprunt d'un Québec souverain à celui de l'Italie.                

Une comparaison dénoncée par les partis souverainistes. «Utiliser ce genre d'arguments de peur, c'est une vieille technique. Ça me choque», dit l'économiste Nicolas Marceau, porte-parole du Parti québécois en matière de finances publiques.

Dans son rapport publié cette semaine, la firme Pacific Investment Management Company (PIMCO) met en garde les politiciens québécois: leurs déclarations électorales, particulièrement sur la souveraineté, pourraient avoir un effet sur les coûts d'emprunt du Québec. «Les politiciens québécois doivent faire attention à la façon dont ils font campagne sur l'enjeu de la souveraineté. [...] Nous espérons que le parti qui gagnera les élections continuera sur cette voie (l'association avec le Canada) [...] La principale raison du rendement peu élevé des obligations provinciales (au Canada) est le fait que le gouvernement fédéral stimulerait l'économie si le Canada subissait un autre choc externe», écrit dans son rapport Ed Devlin, vice-président de PIMCO pour le Canada.

En entrevue à La Presse, l'auteur de l'étude de PIMCO se défend de faire de la politique. «Mon étude est apolitique, dit Ed Devlin. Je veux seulement faire prendre conscience que le monde des obligations a changé depuis la dernière élection québécoise. Les trois principaux partis au Québec veulent tous ce qui est, à leur avis, dans le meilleur intérêt du Québec. Mais il faut faire attention de ne pas perdre la confiance des investisseurs internationaux, qui connaissaient peut-être moins la situation politique que les investisseurs locaux. S'ils partaient, ça pourrait entraîner une réaction en chaîne. C'est ce qui s'est passé en Italie, où ce sont les investisseurs internationaux qui sont partis. Les gens doivent être très prudents. Je ne suis pas sûr que les politiciens saisissent bien l'état de la situation sur les marchés.»

Le Parti québécois n'est pas d'accord. «C'est comme refaire le coup de la Brink's. Il n'y a pas un économiste sérieux qui va dire qu'un Québec souverain ne pourrait pas gérer ses finances publiques», dit l'économiste Nicolas Marceau, critique en matière de finances publiques du Parti québécois, qui mène dans les sondages en ce début de campagne.

«C'est un épouvantail à des fins politiques. Les investisseurs étrangers ne veulent rien savoir des débats fédéraux-provinciaux. Ils se préoccupent d'une seule chose: ravoir la couleur de l'argent qu'ils prêtent», dit Jean-Martin Aussant, chef du parti souverainiste Option nationale et expert en obligations. Il a d'ailleurs été gestionnaire en obligations pour la firme montréalaise Addenda Capital et Morgan Stanley Capital Investment à Londres avant de faire le saut en politique.

Comparaison Québec-Italie

L'un des plus importants gestionnaires d'obligations au monde, PIMCO souligne les «similitudes» entre la situation financière d'un Québec souverain et celle de l'Italie, dont les coûts d'emprunt sur des obligations 10 ans sont passés de 3,7% à 6,0% en deux ans. Le Québec se finance actuellement à 3,2% sur ses obligations 10 ans.

«Comparer le Québec à l'Italie, ce n'est pas sérieux, dit Jean-Martin Aussant. L'évasion fiscale est très importante dans des pays comme la Grèce et l'Italie. Au Québec, la tendance des finances publiques est inquiétante; la dette a augmenté trop vite et il faut s'y attaquer. Mais le Québec n'est pas plus endetté que la moyenne des pays de l'OCDE.»

Le coût d'emprunt d'un Québec souverain pourrait en principe augmenter à court terme avant de diminuer à moyen terme, selon M. Aussant. «La hausse à court terme serait de l'incertitude reliée à un changement. Ce serait toutefois une belle occasion pour des investisseurs québécois comme la Caisse de dépôt et le fonds de pension d'Hydro-Québec. Le Québec s'autofinancerait à des prix artificiellement dépréciés. À moyen et à long terme, je pense que le Québec s'en sortirait mieux en contrôlant toute son économie, en investissant dans les bons secteurs, et les coûts d'emprunt diminueraient.»

Le Parti québécois souligne que son dossier est «impeccable» en matière de gestion des finances publiques. «Nous avons fait le déficit zéro dans les années 90 et c'est Pauline Marois qui a été la seule ministre des Finances à rembourser la dette depuis 50 ans, dit Nicolas Marceau. Le problème de l'endettement au Québec, c'est Jean Charest, qui est responsable de 33% de la dette.»

Le Parti libéral du Québec rappelle que les agences de crédit tiennent compte du lien avec le gouvernement fédéral quand ils établissent la cote de crédit du Québec. «Les Québécois peuvent voter pour qui ils veulent, mais il y a des conséquences financières pour chaque geste posé, dit Raymond Bachand, ministre des Finances et candidat libéral dans Outremont. Toutes les agences de crédit disent que leur cote tient compte du fait que le fédéral interviendrait [en cas de problèmes économiques majeurs].»

Le ministre Bachand trouve la comparaison de PIMCO avec l'Italie exagérée. «Nous ne sommes pas dans le même ball park, dit-il. Le Québec a un très haut niveau de crédibilité malgré sa dette à cause de son plan de réduction du déficit et de la dette. Cela dit, il faut que l'ensemble des partis politiques ne déstabilise pas le cadre financier du gouvernement avec des promesses électorales.»

Qu'elles soient estivales ou non, les élections québécoises intéressent Wall Street. Selon un correspondant de l'AFP à New York, plusieurs investisseurs institutionnels se sont informés auprès d'une banque new-yorkaise de la possibilité de la tenue d'un référendum sur la souveraineté au Québec après les élections ainsi que des chances de victoire du Oui.