C'était une soirée romantique. Souper dans le Vieux-Port de Montréal et feux d'artifice. Shreyas Roy et sa douce célébraient le premier anniversaire de leur relation. Après des heures à profiter d'une chaude soirée d'été, les amoureux sont revenus par la montagne, comme ils avaient l'habitude de le faire. Puis, le temps s'est arrêté. Shreyas a perdu pied et a dévalé un ravin.

« Véronique [sa conjointe] m'a appelé à 5 h du matin. Elle était en état de choc, incapable de me dire ce qui s'était passé. Elle m'a dit qu'ils n'étaient pas intoxiqués. Ils marchaient, un moment donné, elle s'est retournée et Shreyas n'était plus là. Elle a crié son nom et n'a jamais eu de réponse. »

Le Dr Michel Lallier peine encore à croire que Shreyas, son poulain, ne remettra plus jamais les pieds au bloc opératoire avec lui. Le chirurgien l'a connu il y a quatre ans, alors que le CHU Sainte-Justine avait recruté « ce gars super dynamique et apprécié de tout le monde ». Le Dr Roy y poursuivait un fellowship en chirurgie pédiatrique - une formation complémentaire pointue destinée aux médecins spécialistes. 

« C'était devenu un ami, plus que juste un fellow. J'étais le directeur de programme, et s'il y a des plaintes, c'est à moi qu'on les fait. J'ai eu uniquement des bons commentaires à son sujet. C'est rare », raconte le Dr Lallier.

Le Dr Roy devait officiellement se joindre à l'équipe de chirurgie du CHU Sainte-Justine en 2018. Mais avant, il devait s'exiler une dernière fois, à Chicago, pour apprendre une technique différente de greffe de foie pédiatrique et ramener l'expertise au Québec.

Il devait partir hier.

«Son coeur était ici»

« Il aimait tellement la montagne. Il y courait tous les jours, très tôt le matin. Je suis certain qu'il a voulu profiter de la vue une dernière fois sur la ville avant de quitter Montréal pour plusieurs mois », a raconté son bon ami, le Dr Donald Doell, joint par La Presse au lendemain du triste événement. Le Dr Doell était avec la famille du défunt, trop ébranlée pour commenter.

Les deux hommes se sont rencontrés au début des années 2000, lors de leurs études en médecine à l'Université McGill. Né à New York d'un père gastro-entérologue et d'une mère gynécologue-obstétricienne, Shreyas Roy a été élevé dans son village d'origine, en Inde, par ses grands-parents.

Jeune adulte aux multiples talents, il a entrepris ses études supérieures aux États-Unis et y a obtenu un baccalauréat avec majeures en chimie, en anglais et en économie et mineures en art dramatique et en espagnol, au collège LeMoyne. Après quoi il a suivi sa formation en médecine à l'Université McGill, à Montréal, où il a obtenu son diplôme en 2006.

« Pendant qu'il était ici, à l'école de médecine, il était tombé amoureux de la ville. C'est un citoyen américain, mais son coeur était à Montréal », raconte son ami de longue date, non sans souligner qu'il y avait récemment trouvé l'amour auprès de Véronique, avec qui il comptait fonder une famille maintenant qu'il était assuré de pratiquer la médecine au Québec.

Le départ précipité d'un homme bon

« Son départ inattendu est très difficile... J'aimerais tellement que les gens comprennent à quel point il dégageait quelque chose d'unique », insiste son ami de longue date, Dainuis Juras, la gorge nouée. Partout où il passait, dans tous les hôpitaux où il a travaillé, sa gentillesse, sa patience, sa bonté marquaient tout le monde sur son passage.

« Shreyas était toujours positif, il avait une vision éclectique et une présence électrique, poursuit-il. Il mettait l'ambiance dans tous les événements où il allait de par sa simple présence ou son humour contagieux. Il était respecté par tout le monde qui le rencontrait. »

En plus d'être un éminent chirurgien qui voulait consacrer sa vie au bien-être des enfants, Shreyas Roy rêvait de transmettre son savoir dans des pays moins nantis.

De l'employé du café où il avait l'habitude d'aller à une étudiante à qui il avait enseigné, en passant par ses camarades d'école secondaire, tous pleurent le départ de cet être inspirant auprès de qui chacun voulait une petite place.

« Il était immanquablement souriant, peu importe à quel point la journée était stressante. Et si nous n'avions pas le sourire, il s'organisait pour nous en faire apparaître un », a écrit une infirmière parmi les très nombreux témoignages rendus à son endroit sur Facebook.

«Une volonté et une capacité de travail remarquables»

Le Dr Shreyas Roy était d'une volonté sans égale. Il possédait tous ses permis de pratique aux États-Unis et était déjà chirurgien lorsqu'il a entrepris son fellowship au CHU Sainte-Justine. Charmé par l'esprit familial qui régnait au sein de l'équipe, par les possibilités professionnelles que le CHU lui offrait et, bien entendu, par la ville, il a voulu s'établir à Montréal. Pour avoir le droit de pratiquer au pays, il a dû repasser tous les examens de médecine du Canada.

« Ça démontre une volonté et une capacité de travail remarquables », s'étonne encore le Dr Lallier. D'ailleurs, au printemps dernier, La Presse avait suivi les deux médecins au bloc opératoire de l'hôpital Sainte-Justine dans le cadre d'un reportage.

« Il était à un point culminant de sa carrière, rappelle son ami, le Dr Doell. Après tant d'années d'efforts, de recherches, d'enseignement, de résidences, il était au sommet. Il était talentueux et très respecté. C'est d'une tristesse... »

« La vie est si fragile. On côtoie la mort tous les jours, mais je suis forcé d'admettre que quand on est de "l'autre côté", on le réalise encore davantage, soupire le Dr Lallier. Une fin de soirée en amoureux... Combien sont allés finir leurs douces soirées sur le mont Royal ? »

C'est ainsi qu'à l'aurore, dimanche, la vie d'un homme d'exception s'est arrêtée.

Photo François Roy, Archives La Presse

Au printemps dernier, La Presse avait suivi les médecins Shreyas Roy (à gauche) et Michel Lallier (deuxième à partir de la gauche) au bloc opératoire de l'hôpital Sainte-Justine dans le cadre d'un reportage.