Sa peine est abyssale, infinie. Mais elle ne fait pas que pleurer. Depuis que sa mère est morte affreusement mutilée par le pitbull de son voisin, mercredi, Émilie Routhier réclame des actions concrètes. Que les élus réglementent une fois pour toutes la présence de ces chiens parmi les humains. Et que la justice punisse le propriétaire de l'animal.

« Lui, il peut se racheter un chien. Moi, c'était ma mère. J'en avais juste une. Je ne l'ai plus », laisse tomber avec aplomb la jeune fille endeuillée.

« Je suis prise entre le fait d'être peinée, d'avoir perdu la personne la plus importante pour moi, et le sentiment qu'il faut que quelque chose soit fait. Il y a eu d'autres attaques au Québec qui ne se sont pas rendues jusque-là, et rien n'a été fait. Est-ce que maintenant il y aura quelque chose qui va bouger dans l'encadrement de ces chiens-là ? », demande-t-elle.

EXTRÊMEMENT AGRESSIF

Sa mère Christiane Vadnais, technicienne informatique à la Société de transport de Montréal, est revenue paisiblement chez elle, mercredi, vers 16 h 30. Elle est sortie dans sa cour arrière, rue Edgar-Prairie, à Pointe-aux-Trembles. La clôture de ses voisins arrière était détériorée. Avec le temps, une ouverture était apparue dans les planches. Ils avaient dit qu'ils la répareraient bientôt.

Est-ce de là que le molosse a surgi ? L'enquête policière ne l'a pas encore déterminé. Mais le chien venait bien de la résidence à l'arrière. Il y était arrivé récemment, et tout le monde l'avait entendu japper ces derniers jours, selon ce qu'ont raconté plusieurs résidants jeudi.

Vers 17 h, un des voisins, Farid Benzenati, a regardé vers la cour de Christiane Vadnais. Ce qu'il a vu le hante encore.

Photo fournie par la famille

Christiane Vadnais et sa fille Émilie Routhier

Les vêtements de la dame de 55 ans avaient été complètement arrachés. Les crocs lui avaient infligé plusieurs blessures profondes.

Selon la police de Montréal, les agents accourus sur place ont dû abattre le chien, qui était extrêmement agressif, avant de pouvoir approcher la victime et de constater qu'elle était morte. Une autopsie sera nécessaire pour confirmer hors de tout doute ce qui l'a tuée. Mais l'hypothèse principale étudiée par les enquêteurs est une attaque mortelle du pitbull. Selon la famille, la dame n'avait aucun problème de santé particulier.

APPEL URGENT

« On sait très bien qu'elle a été carrément attaquée. Ce n'est pas un animal, ça. C'est un monstre. Ça ne peut pas se promener dans la rue. Il ne faut pas juste les tenir en laisse : il faut enlever cette race-là ! », rage Lise Vadnais, soeur de la défunte.

« Il faut qu'il se passe quelque chose, et pas en 2019 », insiste la dame, dont la voix s'étrangle fréquemment au bout du fil.

« Moi, je ne suis pas là pour demander de bannir les pitbulls, je ne m'y connais pas assez. Mais s'il y avait eu une réglementation claire, une muselière, une laisse, un propriétaire présent... ça aurait pu être évité ! », lance Émilie Routhier.

La famille réclame d'une seule voix une intervention des gouvernements. Christiane Vadnais était la dixième d'une famille de douze enfants tissée serré. Les frères et soeurs s'étaient vus récemment pour un pique-nique familial.

La STM a eu un mot pour son employée jeudi. « Évidemment, ce décès tragique nous touche énormément. La STM offre ses sincères condoléances à la famille et aux proches de Mme Vadnais », a déclaré la porte-parole Isabelle Tremblay. Un collège de travail, Patrick Hardy, a quant à lui écrit une lettre à La Presse, pour réclamer lui aussi de nouvelles règles sur l'encadrement des pitbulls. « Paix à toi, Christiane, tu vas nous manquer », écrit-il.

UNE THÉRAPIE DE GESTION DE LA COLÈRE POUR LE PROPRIÉTAIRE

Le propriétaire du chien, Franklin Junior Frontal, 27 ans, était revenu récemment s'installer chez ses parents à Pointe-aux-Trembles, avec sa fille en bas âge et son chien.

Les parents jouaient souvent les gardiens. « Ce sont des grands-parents gâteau, de bonnes personnes. Ils doivent être très malheureux aujourd'hui », opine Louise Rose, leur voisine d'à côté.

Par la voix de son avocate, Franklin Junior Frontal a dit ne pas vouloir parler à La Presse jeudi.

L'homme possède un casier criminel chargé, pour des histoires relativement mineures de violence ou de stupéfiants. En mars dernier, à la suite d'une affaire de voies de fait, il a écopé d'une amende et d'une probation de trois ans. La cour lui a interdit de posséder une arme et lui a imposé 60 heures de travaux communautaires et l'obligation de suivre une thérapie de gestion de la colère.

Une de ses anciennes propriétaires, qui a demandé que son nom ne soit pas publié, se souvient avoir eu peur de lui. « Il n'avait pas de chien à l'époque, mais il était agressif et j'ai appelé la police », s'est-elle remémorée lorsque jointe par La Presse.

Les policiers soulignent toutefois qu'il collabore bien à l'enquête et répond à toutes les questions jusqu'ici. « L'enquête va permettre de déterminer s'il y a des motifs de porter des accusations de négligence criminelle », affirme Benoit Boisselle, porte-parole du SPVM.

Cette incertitude fait bondir Lise Vadnais. « Qu'est-ce que ça leur prend de plus ? Personne ne mérite de mourir comme ça ! »

« C'est de la négligence. Plusieurs choses ont été omises ici. Ce chien, c'est littéralement une arme. Il y a quelqu'un dans cette maison qui ne le surveillait pas, qui est responsable », renchérit Émilie Routhier.

« Et cette négligence m'a enlevé quelqu'un. »

- Avec la collaboration de Philippe Teisceira-Lessard et David Santerre