Ils sont adolescents ou jeunes adultes. Depuis plus de trois mois, ils emplissent les rues, les places publiques, veulent «crier plus fort pour ne plus qu'on les ignore». Avec cette mobilisation historique, ils espèrent changer le Québec. Loin du désabusement, ils sont idéalistes, rêvent de politique autrement. Si on ne peut encore savoir si ce conflit étudiant changera le Québec, force est de constater que ce printemps a changé la jeunesse. La Presse a rencontré deux jeunes hommes et une jeune femme. Leurs parcours sont différents. Mais tous resteront marqués par les événements des derniers mois.

«Avant, je croyais qu'on vivait dans un état démocratique» - un étudiant qui s'est radicalisé



Il préfère taire son nom et cacher son visage. Devant nous, ce jeune homme dans la mi-vingtaine explique d'une voix douce: «Je rejette le culte de la personnalisation autour du mouvement. C'est un mouvement collectif, pas individuel. Le but, c'est le message.»

Il se méfie aussi beaucoup de la police. «On associe le fait d'être caché à une forme de terrorisme. Mais si je me cache, c'est parce que je ne veux pas être fiché.»

Depuis le début de la fronde étudiante, ce jeune homme studieux est entré en résistance. Puis, depuis l'adoption de la loi d'exception, dans la désobéissance civile. La réponse du gouvernement à cette forme de protestation citoyenne l'indigne. «C'est réducteur et ignorant de la part du gouvernement de réduire la désobéissance civile à la violence. Il suffit qu'on pense au rôle qu'a pu jouer, ici, le manifeste Refus global.»

Arrêté lors d'une occupation pacifiste à l'Université du Québec en Outaouais, il aura un procès cet été et risque d'avoir un casier judiciaire. En trois mois, il a beaucoup appris.

«Avant, je croyais qu'on vivait dans un État démocratique. Que le droit de s'exprimer existait. Avec le temps, j'ai été indigné de voir la façon dont notre message a été détourné pour nous montrer comme des radicaux, des anarchistes, raconte-t-il. Avec la loi spéciale, j'ai perdu toute confiance. Je n'ai plus le choix de désobéir. Je pensais que j'avais le droit de m'opposer. Mais aujourd'hui, on me dit qu'il faut vivre dans le statu quo même si, autour de nous, le monde est précaire.»

Questionnement

En 104 jours de grève, cet étudiant s'est radicalisé. Mais le radicalisme n'est pas synonyme de violence: il croit plutôt qu'il faut ouvrir la porte à un questionnement plus profond sur le modèle de société qui est imposé, aujourd'hui, aux Québécois. Au début des manifestations, il voyait le Black Bloc d'un mauvais oeil. Aujourd'hui, son avis a changé. La violence, sur les biens symboliques, peut être la seule réponse quand on n'est pas entendu.

«Quand les policiers instaurent un climat de peur qui pousse les contestataires à la désespérance, comment peut-on ensuite arriver à maîtriser une foule révoltée et désespérée? Évidemment que ça dégénère, et c'est ce que le gouvernement souhaite pour ensuite nous accuser d'être violents et détourner les enjeux fondamentaux du débat.»

Croire que le mouvement s'essoufflera avec la loi a été une erreur. À son avis, la grève et les dizaines de manifestations vont laisser leurs marques sur la jeunesse québécoise. «C'est un projet de vie, la contestation que l'on fait. On démocratise la rue, on veut démocratiser la démocratie.»

Ce jeune homme ne croit pas que le gouvernement prenne ses décisions pour la majorité, mais plutôt pour une élite. Les Québécois, eux, sont souvent laissés de côté dans les grandes décisions de société, comme l'accès à l'éducation, l'exploitation du gaz de schiste ou le Plan Nord.

«Pourquoi ne demande-t-on pas à la population si elle veut du gaz de schiste? Pourquoi ne la sonde-t-on qu'à travers des sondages bidon? On impose un système qui nous individualise, qui privatise nos biens, et pendant ce temps, le bien commun disparaît complètement», regrette-t-il.

Aucun cynisme chez ce jeune homme. Au contraire, il est animé d'un certain idéalisme et il veut que les choses changent. «C'est important d'engager les gens dans les structures de pouvoir. C'est nécessaire d'aller dans des structures parallèles, mais aussi de changer le pouvoir à l'interne. On défend le bien commun, la justice sociale, pour tous les Québécois», dit-il.

Le «printemps érable» laissera un legs imposant au Québec. La rue s'est réveillée et ne se laissera plus endormir.

Photo: Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Un étudiant qui s'est radicalisé.

«Une des plus belles choses que j'aie vues de ma vie de militante» - Anne-Marie, étudiante en sciences politiques à l'UQAM



Anne-Marie a 24 ans, et déjà de nombreuses années d'engagement militant derrière elle. Entrée au cégep du Vieux Montréal pendant la grève de 2005, elle y a fait ses premières actions militantes. C'est la piqûre: elle s'est alors engagée dans son association étudiante, puis dans la CLASSE, qu'elle a quittée au cours de l'hiver.

Sept ans plus tard, aux balbutiements de ce qui allait devenir l'une des plus fortes mobilisations populaires du Québec, elle a entamé un stage à l'Assemblée nationale, à Québec.

«J'avais fait mon temps. Quand ça fait cinq ans, à un moment donné, il faut savoir quand décrocher», juge-t-elle.

Mais la jeune femme a continué à suivre, à Québec, toutes les humeurs du mouvement.

«Je suis partie en grève en me disant que ça allait durer un mois, un mois et demi, et qu'on rentrerait en classe.» Elle gardait à l'esprit les «volées» qu'ont mangées les étudiants lors de la grève étudiante entourant le dégel de droits de scolarité en 1989-1990.

Mais en 2012, tout a été différent. À sa grande surprise.

«Je dirais que ma perception de ma génération a changé. On est têtes de cochon, il n'y a pas seulement ceux qui sont en grève, il y a ceux qui sont contre, qui sont allés chercher des injonctions. On est une génération de battants. Les gens n'acceptent plus de se faire marcher sur les pieds», constate-t-elle.

De la colline parlementaire, Anne-Marie s'étonne de la force de frappe du mouvement, qui a aussi pris au dépourvu les dirigeants. «Il y a le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. C'est comme si on découvrait maintenant le pouvoir de la rue», analyse-t-elle.

La partition qui se joue depuis plus de trois mois dans les rues du Québec ne ressemble à aucun air connu. «Je n'ai jamais vécu ça, jamais vu ça.»

Et mieux: plus le conflit avance, plus il recrute de nouveaux soutiens dans la société civile. C'est particulièrement vrai depuis l'adoption de la loi spéciale.

«On vient de réussir à faire, depuis quelques jours, le pont entre les droits de scolarité et le ras-le-bol contre le gouvernement. Avant, j'étais d'accord quand on disait que les mesures du gouvernement le favorisaient dans les sondages. Maintenant, je crois que ça va lui nuire.»

Des failles

Le printemps a révélé les failles du système démocratique québécois. «L'exécutif contrôle beaucoup, et l'exécutif est contrôlé majoritairement par les lignes de parti», croit Anne-Marie. Autre faille: la vision du gouvernement de la société, qu'elle qualifie de «statistique».

«Une société, ce n'est pas un assemblage de statistiques. On ne peut pas dire: Il y a seulement 170 000 étudiants dans la rue, ce n'est même pas la moitié. Moi, j'ai une vision sociale de la société. Il y a au Québec quelque chose qui n'a jamais eu lieu, il y a des manifestations de casseroles. Il faut se demander pourquoi les gens sortent de leur canapé pour aller dans la rue.»

Depuis ce conflit qui ne ressemble à rien de ce qu'elle ait déjà vu, Anne-Marie a acquis une certitude.

«On n'est pas encore dans une société individualiste ni dans une société métro-boulot-dodo-banlieue. Quand on s'organise collectivement, rien ne résiste à notre passage, dit-elle. C'est une des plus belles choses que j'aie vues de ma vie militante.»

Photo: André Pichette, La Presse

Anne-Marie, étudiante en sciences politiques à l'UQAM

«Idéologiquement, le PLQ, c'est fini» - Ziyu, 16 ans, élève au secondaire



À 16 ans, Ziyu est un élève que l'on pourrait qualifier de très politisé. Il entre bientôt en cinquième secondaire, mais il a déjà fait du bénévolat pour son député fédéral, lors de la dernière campagne. D'ailleurs, il envisage la politique, mais après des études de médecine. Il a suivi les débats autour de la loi spéciale en direct à la télévision, jusqu'au petit matin. Tout naturellement, quand la loi d'exception a été adoptée, il a appelé son député pour lui poser la question: pourquoi?

«Il m'a dit: Tout le caucus libéral est derrière la loi», raconte Ziyu. Il secoue la tête: «Je suis d'accord avec le fait que les gens n'ont pas le droit de bloquer les portes. Mais cette loi est une loi réactionnaire. Après une telle loi, il devrait y avoir des élections.»

«La loi brime les libertés civiles, le droit de s'associer pacifiquement; la liberté d'expression est touchée et les amendes n'ont aucun sens», énumère-t-il. Le règlement municipal antimasque ne trouve pas grâce à ses yeux non plus. «J'ai trouvé ça horrible», dit-il.

Pourtant, Ziyu est un adolescent qui n'a rien d'un radical ou d'un anarchiste. Dès les débuts de la grève étudiante, il a soutenu la hausse et les bonifications promises au programme de prêts et bourses, d'où son carré vert. «Comme disait Raymond Bachand, un étudiant intelligent et déterminé ira quand même à l'université», dit-il.

Mais plus encore, Ziyu chérit ses libertés civiles. Il se dit en deuil de la démocratie, d'où son carré noir. Depuis une semaine, Ziyu sort manifester. Le jour, et la nuit. Ses parents, qui ont vécu les manifestations de Tian'anmen, le soutiennent. Il continuera à sortir tant que la loi d'exception sera en vigueur.

Aller voter

Cette mobilisation «politise et conscientise» les gens, croit toutefois Ziyu, qui espère que cela pourrait inciter les Québécois à cesser de bouder les urnes. «Les gens doivent voter. Présentement, les gens qui votent ont voté pour le Parti libéral du Québec. Il y a 50% d'abstention, c'est toujours comme ça. Il faut aller voter, c'est important.»

Les élus, eux, gagneraient à mieux connaître leurs électeurs. «Oui, ils travaillent fort, mais il faut aussi qu'ils soient près des citoyens.»

Il s'explique mal la sévérité du Parti libéral envers les manifestants. «En Grèce, il n'y a pas eu de loi spéciale», souligne-t-il. Pourtant, les manifestations spontanées de Montréal se déroulent plutôt bien, croit-il, jusqu'à ce que la police s'en mêle. Il raconte ainsi une soirée où il a échappé à une souricière, près d'une bouche de métro. Il a réussi à s'en éloigner, mais pour mieux se joindre à un autre groupe de manifestants, deux stations plus loin.

Dans son quartier, dans l'Ouest-de-l'Île, Ziyu serait prêt à taper sur des casseroles. Mais il ne le fait pas: il serait bien trop seul, au milieu de ses voisins anglophones. Tant pis. Mais le jeune homme sait qu'il ne pardonnera pas cette loi aux libéraux. «Idéologiquement, le PLQ, c'est fini. Le parti aura peut-être ses chances plus tard, mais présentement, c'est fini.» Il soupire. «Un fédéraliste doit se sentir seul en ce moment. Je me sens seul.»

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Ziyu, 16 ans, élève au secondaire