On le voit avec les nouvelles productions comme L’horizon de Khéops ou Space Explorers – L’infini : les expériences de réalité virtuelle sont de plus en plus convaincantes et nous permettent de voyager dans des endroits autrement inaccessibles. Est-ce qu’elles pourraient éventuellement supplanter le voyage en chair et en os ? Mise au point.

« Je pense que ça serait bien qu’on voyage moins, mais qu’on voyage mieux, affirme d’emblée Stéphane Rituit, producteur exécutif, PDG et cofondateur du studio montréalais Félix & Paul, qui a notamment créé l’expérience Space Explorers – L’infini, présentée au Vieux-Port de Montréal l’an dernier. La réalité virtuelle peut-elle être un support pour mieux choisir ses destinations, et malgré tout continuer à découvrir le monde qui nous entoure ? Oui, tout à fait. »

L’idée de limiter ses déplacements grâce à la réalité virtuelle fait d’ailleurs son chemin – l’un des thèmes l’an dernier à HUB Montréal faisait justement référence aux façons de transposer le participant dans un projet, un lieu ou une activité au moyen de la technologie.

PHOTO LISA VALLESPIR, FOURNIE PAR HUB MONTRÉAL

Rachel Parent, gestionnaire de projets et responsable de la programmation, HUB Montréal

« C’est sûr qu’avec tout ce qui se développe, il va y avoir un changement dans la manière dont on va voyager, soutient Rachel Parent, gestionnaire de projets et responsable de la programmation pour l’évènement annuel qui se veut un marché international de la créativité numérique. On va développer une conscience collective sur la notion du voyage et de ses impacts environnementaux. Un de nos objectifs est d’ailleurs de favoriser les studios qui conçoivent ce genre de projets et de prendre contact avec les lieux de diffusion pour créer des expériences totales. »

Je ne sais pas si ça va remplacer le voyage, mais ça va permettre de découvrir des lieux inconnus. Toutefois, le sentiment d’être sur place, le contact avec les gens, on ne pourra probablement pas remplacer ça.

Rachel Parent, gestionnaire de projets et responsable de la programmation pour HUB Montréal

C’est pourquoi les créateurs parlent d’abord et avant tout de complémentarité. C’est notamment le cas d’Émissive, le studio français qui a créé l’expérience L’horizon de Khéops, actuellement présentée dans le Vieux-Port de Montréal, juste à côté du Centre des sciences.

IMAGE FOURNIE PAR ÉMISSIVE

Les studios Émissive ont fait le choix artistique de donner un rendu moins réaliste à l’expérience L’horizon de Khéops.

« Je pense que si on fait L’horizon de Khéops avant d’aller voir la vraie pyramide, on va beaucoup plus apprécier la visite réelle, soutient le directeur général Fabien Barati. L’exposition permet de voir la pyramide telle qu’elle est aujourd’hui, mais aussi telle qu’elle était il y a 4500 ans ; on peut accéder à des zones qui sont interdites au public, ou même complètement inaccessibles dans la réalité. On se balade dans le cœur de la pyramide qu’on a vidée de ses pierres pour mieux comprendre son architecture intérieure. »

PHOTO ADIL BOUKIND, FOURNIE PAR LE STUDIO PHI

L’interactivité et le fait de participer en groupe aux expériences immersives virtuelles contribuent à augmenter le niveau de compréhension des informations présentées, selon le directeur d’Émissive, Fabien Barati.

L’expérience virtuelle se veut donc une excellente mise en contexte qui permet de mieux apprécier la réalité, qui peut apparaître rébarbative selon M. Barati : « La vraie visite se limite à un grand couloir qui monte jusqu’à une pièce rectangulaire vide où il fait très chaud, explique-t-il. On n’a pas d’explications sur place, alors c’est un atout de pouvoir comprendre comment ces couloirs ont été construits, à quoi ils servaient et à quel point c’est incroyable d’avoir construit ça il y a 4500 ans. »

Avec des expériences telles que L’infini ou sa série Nomades, le studio Félix & Paul campe plutôt ses réalisations dans le concret, bien que l’on soit bien conscient du fait que ce n’est pas à la portée de tous de visiter la Station spatiale internationale, d’accompagner les Mongols dans les steppes de l’Asie centrale ou les Bajau sur les eaux de la mer des Célèbes. « Pour nous, l’objectif est d’inciter les gens à avoir envie de découvrir, c’est donc plus une invitation au voyage », soutient Stéphane Rituit.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Stéphane Rituit, PDG et cofondateur de Félix & Paul

Actuellement, on travaille sur un gros projet qui va nous emmener encore plus loin dans l’espace. Comme il y a très peu de personnes qui sont capables de faire ça, on vient donc démocratiser le tourisme spatial à travers la réalité virtuelle.

Stéphane Rituit, PDG et cofondateur de Félix & Paul

IMAGE FOURNIE PAR FÉLIX & PAUL

Image tirée de l’expérience Nomads : Sea Gypsies, qui accompagne le peuple Bajau au large de Bornéo.

La nouvelle ère de l’IA

Pour le moment, les expériences de voyage virtuelles s’apparentent donc à des films documentaires immersifs avec une part d’interactivité – un élément essentiel parce que « l’engagement du corps est extrêmement important », selon Fabien Barati. « Le fait de se déplacer dans un environnement physique s’imprime très fortement dans notre mémoire, contrairement au fait de regarder un film. »

Toutefois, avec l’avènement de l’intelligence artificielle, on est à la porte d’une nouvelle ère qui pourrait rendre le voyage virtuel encore plus immersif. « C’est sûr que l’IA va appuyer la création de contenus, puis permettre aux gens de se promener dans un environnement photoréaliste, affirme Stéphane Rituit. On pourrait par exemple se rejoindre au pied de la tour de Pise en Italie pour ensuite se déplacer dans l’espace physique et se voir à travers nos avatars qui auront aussi des formes photoréalistes. Donc ça pourrait étendre la notion du voyage virtuel où, d’un commun accord, on pourrait aller visiter les Masaï au Kenya en étant témoins d’une cérémonie qui aurait été filmée virtuellement. »

IMAGE FOURNIE PAR FÉLIX & PAUL

Les participants à l’expérience Nomads : Herders ont pu voyager virtuellement jusqu’en Mongolie pour être témoins du mode de vie des éleveurs mongols.

On pourrait aussi facilement s’imaginer en train d’avoir une discussion avec un guide virtuel photoréaliste qui bénéficierait de l’intelligence artificielle pour raffiner sans cesse son éventail d’interactions, sans compter les applications de réalité augmentée, qui pourront bonifier les expériences vécues sur place avec un réalisme renversant. « Je ne suis pas sûr qu’on puisse se donner des limites sur ce qu’il est possible de faire en intelligence artificielle », soutient Fabien Barati.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Fabien Barati, directeur général d’Émissive, le studio français qui a développé l’exposition L’horizon de Khéops

Si on pense à quelque chose, on peut se dire que dans un avenir plus ou moins proche, il sera possible de le simuler et de le vivre grâce à des outils comme la réalité virtuelle.

Fabien Barati, directeur général d’Émissive

« Je pense que dans les prochaines années, on va surtout voir des améliorations technologiques biologiques qui touchent à nos sens, principalement la vue et l’ouïe, poursuit le créateur français. Les outils seront par ailleurs plus légers, accessibles, de meilleure qualité, avec des résolutions qui vont vraiment nous donner l’illusion de la réalité. Je considère que, dans quelques années, il sera difficile de savoir si c’est réel ou virtuel. »

Consultez le site de L’horizon de Khéops