(Venise) Le tourisme à Venise « doit changer » si l’on veut protéger cette ville fragile et en péril, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, a déclaré jeudi son maire en saluant le début sans encombre d’une entrée payante de cinq euros dans sa ville.

« Aujourd’hui nous avons dépensé plus d’argent que nous n’en avons encaissé, mais […] c’est un moyen pour faire comprendre qu’on doit changer et donc diluer les visites » sur toute l’année, a déclaré Luigi Brugnaro. « Les gens comprennent cela », a-t-il assuré.

Devant les dégâts provoqués par le surtourisme et faute de mesures adaptées pour le juguler, l’UNESCO avait menacé de placer la ville sur la liste du « patrimonial mondial en péril ».

Pour l’éviter, la ville s’était engagée en septembre auprès du Comité du Patrimoine mondial de l’UNESCO, réuni à Riyad, à mettre en place dès cette année un système de gestion des flux de visiteurs.

Pour cette première mondiale, Venise a vendu quelque 15 700 billets, selon les chiffres officiels diffusés en fin de journée. Aucun plafond n’est fixé au nombre de billets disponibles.

Ces billets, qui se présentent sous forme de codes QR vendus en ligne ou sur place, doivent être présentés à des contrôleurs postés notamment sur le parvis de la gare, principal accès à la Cité des Doges.

« L’objectif est de définir un nouveau système de gestion de flux touristiques et de décourager le tourisme à la journée à Venise à certaines périodes », a rappelé la mairie jeudi.

« Je pense que c’est bien parce que cela va peut-être ralentir l’affluence touristique à Venise », acquiesce Sylvain Pélerin, un touriste français qui vient régulièrement dans la lagune depuis 50 ans.

Devant la gare de Santa Lucia, principal point d’entrée dans la ville, une billetterie a été montée de toutes pièces pour venir en aide aux touristes dépourvus du précieux sésame.

Pour le maire, « la plus grande satisfaction a été de voir des gens s’approcher (des points de contrôle, NDLR) en agitant leur code QR ». « Ces gens-là ont compris » l’enjeu, s’est-il réjoui.

« Une expérimentation »

Venise est la première ville touristique au monde à imposer un droit d’entrée à l’instar d’un parc à thème, alors que des mouvements hostiles au surtourisme se multiplient, notamment en Espagne, poussant les autorités à agir pour concilier le bien-être des habitants avec un secteur économique crucial.

Le maire a reconnu début avril qu’il s’agissait « d’une expérimentation », qui sera sans aucun doute suivie de près par d’autres grandes villes touristiques à travers le monde.

Venise, l’une des villes les plus visitées au monde, a déjà banni de son centre historique les navires de croisière géants, dont les nuées de passagers doivent aussi montrer patte blanche.

En pic de fréquentation, 100 000 touristes dorment à Venise, en plus de dizaines de milliers de visiteurs journaliers. À comparer aux quelque 50 000 habitants du centre-ville, qui ne cesse de se dépeupler.

À ce stade, l’expérience reste toutefois de portée très limitée : pour 2024, seuls 29 jours de grande affluence sont concernés par cette nouvelle taxe, qui sera appliquée presque tous les week-ends de mai à juillet.

Nombreuses exemptions

Cette taxe cible en outre uniquement les touristes journaliers entrant dans la vieille ville entre 8 h 30 et 16 h locales. Ils peuvent télécharger leur code QR sur le site dédié (https://cda.ve.it/fr/), disponible en anglais, espagnol, français et allemand, outre l’italien.

Une amende de 50 à 300 euros (73 $ à 440 $) est prévue pour sanctionner les touristes qui chercheraient à passer entre les mailles du filet, même si les autorités locales ont affirmé vouloir privilégier la persuasion à la répression.

Les touristes dormant au moins une nuit sur place sont exemptés et reçoivent gratuitement un code QR de leur lieu d’hébergement. De nombreuses autres exemptions sont prévues : moins de 14 ans, étudiants… Jeudi, environ 97 300 personnes en ont bénéficié, selon la mairie.

Mais cette nouvelle mesure ne fait pas l’unanimité chez les Vénitiens, certains y voyant une atteinte à la liberté de circulation et un pas de plus vers la muséification de leur ville.

« Nous ne sommes pas un musée ou une réserve naturelle, mais une ville, on ne devrait pas payer » pour y accéder, s’insurge ainsi Marina Dodino, une quinquagénaire remontée qui fait partie d’une association locale de résidents, ARCI Venezia.

Une manifestation en fin de matinée non loin de la gare a rassemblé dans une ambiance bon enfant quelque 300 personnes, qui ont défilé derrière une grande banderole disant « Non au billet ! Oui à des logements et des services pour tous ».

Ce billet est « l’apothéose de la muséificaiton de Venise […] Nous sommes dans une ville où les Airbnb accaparent tous les logements, où le maire pourrait réglementer les locations touristiques, mais ne le fait pas », déplore pour l’AFP Federica Toninello, 32 ans, porte-parole d’une association locale.

« Si on veut résoudre le problème du tourisme, il faut commencer par le problème du logement », conclut-elle.