Au printemps 2020, au plus fort de la pandémie, la place du Dam à Amsterdam, toujours très animée, était déserte, silencieuse et entourée de blocs antiterroristes en béton. L’artiste de rue néerlandais Frank de Ruwe, connu sous le nom de Frankey, s’est dit que ces blocs aux clous intimidants ressemblaient à quelque chose de plus innocent – des blocs Lego géants – et que la ville avait besoin de quelque chose pour éclaircir la morosité ambiante.

Le résultat ? Plus tard dans l’été, Frankey a créé et placé une figurine géante en Lego jaune et noir du chanteur folklorique néerlandais André Hazes, dont les chansons sont les favorites des pubs aux Pays-Bas depuis plus de 40 ans.

PHOTO YVONNE MAK, THE NEW YORK TIMES

En regardant ce conduit d’évacuation, Frankey y a vu un dragon.

« Il s’agit avant tout de voir la bonne chose, explique Frankey autour d’un café dans son quartier d’Amsterdam. Je pense que tout le monde était à la recherche de bonnes nouvelles en ces jours sombres. »

Frankey continue d’enchanter Amsterdam avec son art de rue fantaisiste et plein d’esprit. Oui, chaque samedi, il publie une nouvelle œuvre dans le journal néerlandais Het Parool, ainsi que sur Instagram, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il transforme n’importe quel endroit banal de la ville – un panneau de signalisation, une brique de forme étrange, un rebord – en quelque chose de plus ludique. Vous tomberez certainement sur son travail lors d’un voyage à Amsterdam.

PHOTO ARIE DE LEEUW, THE NEW YORK TIMES

L’artiste Frank de Ruwe

Q : Dans la presse, vos œuvres de rue sont appelées « interventions urbaines ». Que signifie ce terme pour vous ?

R : Je veux simplement faire sourire les gens avec mon travail. Un enfant de 6 ans et une personne de 90 ans peuvent sourire devant la même chose ; c’est incroyable d’égayer la journée de quelqu’un avec un seul objet.

Il est si facile d’être un peu plus amical dans les rues, et je pense que c’est ce que je fais. Et si les gens veulent les appeler des « interventions urbaines », cela ne me dérange pas. C’est un peu un mot à la mode, mais cela fait des siècles que les gens font des choses amusantes pour égayer les rues, cela a toujours existé. Je suis simplement l’un de ceux qui font cela aussi.

Q : Lorsque vous laissez vos œuvres d’art dans la rue, est-ce légal ?

R : Non, c’est illégal. J’ai quelques règles à respecter, parce que j’aime beaucoup Amsterdam. Je ne veux pas du tout nuire à la ville, c’est pourquoi toutes les œuvres que je crée peuvent être enlevées assez facilement sans laisser de traces. Je travaille beaucoup avec des aimants et des attaches – je possède probablement tous les types de ruban adhésif double face du monde. Parfois, je ne sais pas comment construire une pièce sans utiliser de vis, de kits ou autre. C’est alors un beau défi que de s’assurer qu’elle reste sûre et que les gens puissent l’enlever facilement. Mais c’est toujours illégal.

Q : Savez-vous ce qu’il advient de vos œuvres lorsqu’elles sont enlevées ?

PHOTO YVONNE MAK, THE NEW YORK TIMES

Une des créations de l’artiste Frank de Ruwe, alias Frankey

R : Parfois, les rues sont simplement nettoyées et le nettoyeur ne remarque même pas qu’il y avait une œuvre d’art au départ. Il y a aussi un groupe de personnes qui collectionnent les œuvres d’art pour les vendre en ligne, pensant que mon travail vaut de l’argent. Mais ce que j’aime vraiment, c’est que j’ai vu des véhicules gouvernementaux avec mon œuvre sur leur tableau de bord. Ils l’ont donc enlevée, mais l’ont gardée comme trophée. Mais si les gens veulent l’emporter ou la ramener chez eux, je n’y vois aucun inconvénient. Je pense que tout le monde y gagne. Même si l’œuvre disparaît.

Q : Quelle est votre méthode pour placer vos œuvres dans la rue ?

R : Je le fais toujours pendant la journée. Je porte une de ces vestes orange avec des bandes fluorescentes, pour avoir l’air d’un gars qui travaille pour la municipalité. Lorsque je fais une grande œuvre et que j’ai besoin d’espace, j’apporte des cônes orange avec moi. C’est ma méthode depuis 20 ans et je m’en sors toujours.

Q : J’ai lu que vous aviez un faux permis. Est-ce vrai ?

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« C’est incroyable d’égayer la journée de quelqu’un avec un seul objet », dit Frank de Ruwe.

R : Ce n’est qu’un bout de papier avec beaucoup de tampons, qui dit : « Moi, Frank de Ruwe, j’autorise Street Art Frankey à placer tel ou tel… » Mais il a l’air un peu officiel à cause de sa présentation et parce que j’ajoute toujours beaucoup d’annexes. Un agent se trouve alors devant tous ces papiers, tous marqués d’un timbre, qui porte d’ailleurs la mention « Frankey Official », et il se dit : « S’il y a un timbre, c’est que c’est officiel. » C’est la même chose avec la veste orange.

Q : Vous avez réalisé de nombreuses pièces. Laquelle est votre préférée ?

R : Je suis très fier de celle de notre ancien maire pour le Paradiso, la salle de concert. Les meilleurs musiciens du monde y ont joué. C’est une vieille église, en plein centre-ville, c’est un temple culturel. Lorsque j’ai appris que cet endroit ne resterait pas éternellement un lieu de musique, j’ai pensé que ce n’était pas possible ! C’est une partie intégrante d’Amsterdam. Et notre ancien maire Eberhard van der Laan, qui était si aimé, était également très attaché aux arts et à la culture.

J’ai donc réalisé une petite sculpture en bronze à son effigie, et il est assis au sommet du Paradiso, tenant le bâtiment et le protégeant avec un petit sourire. Chaque fois que j’y vais, je lève les yeux et je me dis : « Oui, c’est un bon endroit, protégez ce bâtiment. » J’ai beaucoup d’œuvres que je ne regarde pas quand je passe devant. Mais je suis vraiment fier de celle-là.

Les propos de cette entrevue ont été modifiés à des fins de concision.

La version originale de cet article a été publiée dans le New York Times.

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