« Il faut bien en profiter, de cette belle liberté. » C’est ce qu’écrivait Edith Blais sur Facebook, le 24 mars dernier. Trois années se sont écoulées depuis qu’elle a fui le campement où elle a été captive pendant 450 jours, dans le désert du Sahara. Trois années de bonheur, de liberté et de temps boni…

Sur la table devant nous, Edith Blais déplie délicatement les bouts de carton sur lesquels sont écrits ses poèmes, seuls objets qu’elle ait gardés de sa captivité. Plusieurs, tels Âme sauvage et La mort, ont été écrits sur des emballages de boîtes de thé. D’autres, sur des emballages de boîtes de sardines.

Elle a réussi à sauver 57 de ses écrits en s’enfuyant. Il n’en reste toutefois qu’une dizaine aujourd’hui. C’est qu’elle en a brûlé plusieurs, après les avoir retranscrits à l’ordinateur lors de l’écriture de son livre paru en 2021, Le sablier : otage du Sahara pendant 450 jours. Sa mère, qui l’a surprise, l’a exhortée à en garder quelques-uns, raconte Edith Blais en riant.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Edith Blais a réussi à sauver 57 de ses écrits en s’enfuyant.

Notre rencontre se déroule dans son appartement de Saint-Jean-sur-Richelieu, où elle habite avec son copain, Pierre-Luc Bissonnette, depuis le mois d’octobre. Chaque pièce du douillet logement est habillée de quelques plantes, rappelant l’affection de la femme pour la nature et la vie. Si Edith Blais a accepté de nous recevoir, c’est parce qu’elle souhaite donner espoir à ceux qui vivent des moments sombres.

« Je trouve ça encourageant pour les gens de voir que je vais bien, confie-t-elle. Les gens qui ont des difficultés, j’aime qu’ils voient que ça ne va pas tout le temps rester noir. »

Profiter de chaque instant

Edith Blais a souvent raconté son histoire au cours des dernières années. Capturés par des djihadistes, son compagnon italien (Luca Tacchetto) et elle ont subi pendant des mois la chaleur accablante du désert. Souvent privés de nourriture, ils ont passé des semaines entières à ne rien faire, sinon ouvrir et fermer les yeux.

Réfléchir.

Attendre.

Pendant ces journées à fixer le vide, elle ignorait si elle verrait un jour un autre décor que du sable à perte de vue. Elle s’est alors promis une chose : « Si jamais je sors et que je ne suis pas morte, que j’ai la chance d’être libre, ce sera du temps boni et je vais en profiter. »

Le 13 mars 2020, le duo a fui ses geôliers. Trois ans plus tard, Edith Blais profite de ce temps boni dont elle a tant rêvé. « Là, je peux faire ce que je veux ! », s’exclame-t-elle.

PHOTO FOURNIE PAR EDITH BLAIS

Edith Blais et son conjoint, Pierre-Luc Bissonnette, au Skyline Trail Jasper, en Alberta

« Je regarde les gens qui ont une vie vraiment [mouvementée], qui courent après leur queue. Ça bouge tellement, ça va tellement vite. […] Moi, je suis contente de ne pas être là-dedans. Je fais ce que je veux, mais je suis responsable. Je fais quand même ce que j’ai besoin de faire, mais je profite de la vie. Je fais vraiment ce que j’ai envie de faire. »

Edith Blais a baptisé le 13 mars la « journée de la liberté ». Chaque année, elle la souligne sur sa page Facebook consacrée à son art — et elle envoie un mot à Luca. « On se souhaite une belle journée », dit-elle.

  • Edith Blais a visité les Îles-de-la-Madeleine.

    PHOTO FOURNIE PAR EDITH BLAIS

    Edith Blais a visité les Îles-de-la-Madeleine.

  • Vue sur le Grand Canyon

    PHOTO FOURNIE PAR EDITH BLAIS

    Vue sur le Grand Canyon

  • Edith Blais contemple le paysage, quelque part en Arizona.

    PHOTO FOURNIE PAR EDITH BLAIS

    Edith Blais contemple le paysage, quelque part en Arizona.

  • Avec son conjoint, Edith Blais a aussi visité le Texas.

    PHOTO FOURNIE PAR EDITH BLAIS

    Avec son conjoint, Edith Blais a aussi visité le Texas.

1/4
  •  
  •  
  •  
  •  

Voyager, encore et toujours

Edith Blais a toujours été une voyageuse et une solitaire dans l’âme. « J’aime me promener seule dans la nature, réfléchir, aller sur le bord de la rivière, toucher à l’eau. C’est ça, ma bouffée d’air frais à saveur de liberté », explique-t-elle.

Après avoir recouvré sa liberté, trop longtemps perdue, elle a vite repris goût aux voyages et à la découverte. Animée par le besoin de « regoûter à la vraie vie », elle a visité la Gaspésie avec sa sœur, avant de retourner à Jasper, son deuxième chez-soi.

PHOTO FOURNIE PAR EDITH BLAIS

Le couple a fait un grand tour des États-Unis en autocaravane. Ici, un petit arrêt en Arizona.

Il y a deux ans, elle a rencontré son copain, qui venait tout juste d’acheter une autocaravane. Ensemble, ils se sont promenés d’un bout à l’autre du Québec. En janvier 2022, ils ont pris la route des États-Unis. Caroline du Nord, Floride, Louisiane, Nouveau-Mexique, Texas, Arizona, Californie, Utah, Nevada… « On a fait un grand tour. » Ils ont passé l’été à travailler dans l’Ouest canadien.

Quand on lui demande si elle a l’impression que son rapport au voyage a changé, Edith Blais nous répond instantanément oui. « Avant, j’étais très téméraire. Quand j’étais plus jeune, j’étais agoraphobe. La peur me nuisait vraiment. À un certain moment donné, je me suis dit : je préfère mourir que d’avoir peur de vivre. J’étais écœurée de ne plus pouvoir sortir. À ce moment-là, je suis partie en voyage. La peur, j’avais complètement éliminé ça. À la limite, je me mettais un peu dans des situations risquées. »

Aujourd’hui, dit-elle, elle voyage avec sa « nouvelle vision ». Plus mûre, elle n’a plus rien à prouver. « Je pense que je calcule un peu plus. Ça ne sert à rien de me lancer tout le temps dans la gueule du loup. »

Dans toutes les épreuves, tu évolues. J’ai eu quelques épreuves et j’ai évolué à travers tout ça. La Edith de maintenant, ce n’est pas la Edith d’avant. Tout ce que je vis là, c’est la Edith de maintenant.

Edith Blais

Elle ne planifie pas de retourner en Afrique, même si sa sœur et sa mère y sont toutes deux allées au cours des derniers mois. « Je ne ferais pas ça à ma famille, je pense. Si c’était juste moi et qu’il n’y avait personne d’autre qui regardait et me jugeait… », laisse-t-elle tomber en riant.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Son long emprisonnement prend davantage la forme d’un rêve étrange pour Edith Blais.

Un rêve

Même si Edith Blais souligne chaque année sa liberté retrouvée, sa longue mésaventure n’occupe plus ses pensées ni même ses discussions. Le temps a fait son travail, comme il en a la réputation.

« C’était tellement étrange, tellement hors du commun, que j’ai l’impression que c’était un rêve. […] J’ai l’impression que ça fait 10 ans que je suis sortie parce que ça semble tellement loin et irréel. »

« Cette histoire-là, aussi bizarre a-t-elle été, n’est pas l’histoire qui m’a marquée le plus dans ma vie, ajoute-t-elle. J’étais assez bien outillée pour traverser ça. »

Edith Blais et son conjoint envisagent d’ouvrir un petit café végétarien et végétalien un de ces jours. Ils ignorent quand exactement. « Je suis vraiment la vie », dit-elle. Et elle est libre de le faire.

Lisez L'ex-otage Edith Blais se raconte